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« Pourquoi je ne participe pas aux manifestations à Tel Aviv », par Gideon Levy

« Samedi, des manifestants anti-extrême droite brandissent des drapeaux israéliens au centre Horev à Haïfa. Encore une fois je ne suis pas allé place Habima, ni rue Kaplan, pour rejoindre les manifestations », écrit Gideon Levy dans le journal israélien Haaretz.

"Pourquoi je ne participe pas aux manifestations à Tel Aviv"

« Mes jambes ne m’y ont pas porté et mon cœur m’a empêché de participer à une protestation largement justifiée, mais qui n’est pas ma protestation. Une manifestation recouverte d’une mer de drapeaux bleus et blancs, comme pour faire ses preuves et protéger ses participants, alors que les drapeaux des autres peuples qui vivent sur cette terre sont interdits ou rassemblés dans un ghetto étroit sur un monticule de terre au bord de la place, comme dans la démonstration précédente, ne peut être ma démonstration.

Une manifestation 100% juive, une nation dans un Etat clairement binational ne peut être une manifestation pour quiconque revendique l’égalité ou la justice, qui sont parmi les mots clés de cette contestation mais restent creux en elle. ».

Vide est le discours de « liberté, égalité et gouvernement de qualité » des organisateurs d’une manifestation à Tel-Aviv ; non moins creux est le discours de « se battre pour la démocratie » par ceux de l’autre. Il n’y a pas et il n’y aura jamais de « gouvernement de liberté, d’égalité et de qualité » dans un État d’apartheid, pas plus qu’il n’y a de « lutte pour la démocratie » lorsqu’on ferme les yeux sur l’apartheid.

Certains des Juifs de ce pays sont maintenant indignés face à une menace concrète contre leurs droits et leur liberté. C’est une bonne chose qu’ils aient été poussés à l’action civile, mais leurs droits et leur liberté, même après qu’ils seront restreints, resteront ceux des privilégiés, de la suprématie juive inhérente. Ceux qui y consentent, en paroles ou en silence, prennent en vain le nom de démocratie.

Le silence à ce sujet est un silence sur l’apartheid. La participation à ces démonstrations d’hypocrisie et de doubles standards est inacceptable. La mer de drapeaux israéliens lors de ces manifestations se veut une excuse face à la remise en question par la droite de la loyauté et du patriotisme du camp. Nous sommes sionistes, donc nous sommes loyaux, disent les manifestants. Les Palestiniens et les Arabes israéliens peuvent attendre que nous terminions les choses entre nous. Il est interdit de mélanger les problèmes, comme s’il était possible de ne pas les mélanger.

Une fois de plus, le centre et la gauche tombent morts devant les accusations de la droite, marmonnant et s’excusant ; la pureté du drapeau les ternit bien plus que les accusations. Une fois de plus, il est démontré que ce camp exclut les Palestiniens et leur drapeau pas moins que ne le fait la droite.

Comment peut-on participer à une telle manifestation ? Il n’y a pas et ne peut pas y avoir de manifestation sur la démocratie et l’égalité, sur la liberté et même sur un gouvernement de qualité, dans un format d’apartheid dans un État d’apartheid, tout en ignorant l’existence de l’apartheid.

Le drapeau a été choisi comme symbole parce que c’est une protestation sioniste, mais ce ne peut pas être une manifestation sioniste pour la démocratie et aussi une manifestation juste. Une idéologie qui grave sur son drapeau la suprématie d’un peuple sur un autre ne peut prêcher la justice avant de changer le fondement de son idéologie.

Le drapeau palestinien étant interdit, un habitant de Tel Aviv traverse avec une pancarte marquée : « DRAPEAU PALESTINIEN »

L’étoile de David est en train de couler, comme l’a démontré de manière si déchirante l’illustration de la couverture du magazine hébreu Haaretz de vendredi, mais son naufrage est inévitable tant que le drapeau d’Israël est le drapeau de l’une des deux nations qui le revendiquent.

Le sang palestinien a coulé comme de l’eau ces derniers jours. Pas un jour ne passe sans que des innocents ne soient tués : un prof de gym qui a tenté de sauver un blessé dans sa cour ; deux pères, dans deux endroits différents, qui ont essayé de protéger leurs fils, et un fils de réfugiés de 14 ans – le tout en une semaine. Comment une manifestation peut-elle ignorer cela, comme si cela ne se produisait pas, comme si le sang était de l’eau et l’eau était une pluie bénie, comme si cela n’avait rien à voir avec le visage du régime ?

Pouvez-vous imaginer si les Juifs étaient attaqués tous les jours ou tous les deux ? La contestation les aurait-elle ignorés ? L’occupation est plus loin que jamais de se terminer ; c’est devenu une mouche agaçante qu’il faut faire taire. Quiconque en parle est un fauteur de trouble qu’il faut tenir à l’écart ; même la gauche ne veut plus en entendre parler. « Arrêtez le coup d’État », appellent les annonces, avec un pathos qui semble avoir été emprunté à la Révolution française. Mais il n’y a pas de révolution dans un État d’apartheid, s’il continue d’être un État d’apartheid. Même si toutes les demandes des manifestants sont réalisées, la Cour suprême portée en l’air, le procureur général exalté et le pouvoir exécutif retrouvé à sa stature légitime, Israël restera un État d’apartheid.

Quel est donc le but de cette protestation ? Pour nous permettre de nous réjouir une fois de plus d’être « la seule démocratie du Moyen-Orient ».

Par Gideon Levy

Traduit par CAPJPO-EuroPalestine

Source Haaretz

CAPJPO-EuroPalestine