« Une figure de l’espoir et des luttes du peuple égyptien vient de s’éteindre. Ahmed Seif al Islam, un avocat qui a passé sa vie à combattre l’injustice, a rendu son dernier souffle au Caire, alors que deux de ses enfants, emprisonnés pour raisons politiques, manquaient à son chevet. »
Son fils Alaa Abdel Fattah avait lancé l’un des premiers blogs engagés avec sa femme Manal. Il a déjà été arrêté et emprisonné plusieurs fois pour ses opinions, et cette fois-ci il il avait commencé une grève de la faim afin d’être autorisé à rester auprès de son père – en vain. En 2011 il était en prison lors de la naissance de son fils, répétant l’histoire, car Ahmed Seif al Islam était en prison quand sa fille Mona était née.
Sanaa, autre fille de Seif al Islam, est en détention provisoire depuis juin, pour avoir manifesté.
Leur soeur, Mona Seif, est aussi une activiste, fondatrice de la campagne « Non aux tribunaux militaires pour les civils ».
C’est une famille qui n’a eu de cesse de s’opposer au pouvoir, comme la maman, Laila Soueif, professeur de mathématiques à l’université du Caire, et sa soeur, l’écrivain Ahdaf Soueif.
Engagé du côté des socialistes, un groupe relativement peu nombreux, à l’époque ou aujourd’hui, Ahmed Seif al Islam est arrêté dans les années 1980 – et le régime lui permet de choisir l’exil. Mais, têtu, le militant préfère purger sa peine de prison, plutôt que de dire adieu à son pays pour trop longtemps. Incarcéré, il en profite pour finir ses études de droit. La torture subie le pousse aussi à s’intéresser particulièrement à ce sujet lorsqu’il co-fonde, en 1999, le « Centre Hisham Moubarak », un bureau d’avocats principalement bénévoles, pour aider les victimes d’atteintes aux droits de l’homme. Le nom rend hommage à un autre avocat égyptien. Le centre est régulièrement inquiété par le pouvoir, Ahmed Seif al Islam visite quatre fois les geôles égyptiennes.
Certains lui reprochent encore aujourd’hui, à lui et à son courant politique, d’avoir défendu les islamistes, lutté pour une liberté d’expression absolue qui aurait entraîné l’instabilité politique actuelle. Mais Seif et ses collègues, s’ils ont défendu les prisonniers politiques, parmi lesquels beaucoup étaient des islamistes, ont aussi défendu des gauchistes, et entre autres cas qui ont fait du bruit bien que non purement politiques, les homosexuels du Queen Boat.
Ahmed Seif al Islam est considéré comme un mentor par toute une génération d’activistes et d’avocats. Il n’y avait qu’à voir le couloir de l’hôpital du centre du Caire, où amis de la famille, collègues, disciples et simples admirateurs faisaient les cent pas ou conversaient à voix basse, assis par terre, ces derniers jours, autour de la porte de sa chambre.
« Saint patron de la justice » pour Zizo Abdo, un activiste du 6 Avril, « le soutien des malheureux et des opprimés », « professeur d’humanité, avocat de la révolution » d’après certains journaux, il se serait excusé amèrement en janvier, lors d’une conférence de presse, d’avoir « espéré léguer à la génération d’aujourd’hui une société démocratique, alors qu’elle se retrouve face aux mêmes cellules de prison ».
Quand je l’avais rencontré, chez lui, auprès de sa femme Layla, au début du printemps, c’est avant tout la grande simplicité et l’immense bienveillance de ce couple qui m’avaient frappée. Un appartement de taille modeste, un salon rempli des photos de famille, de livres et de dossiers, et des traces des activités des enfants (par exemple les stickers de la campagne « Non aux tribunaux militaires »). Engagement et honnêteté intellectuelle semblaient aller de pair chez Ahmed Seif al Islam, calme mais passionné, pour la justice, l’égalité et la vérité. Sa combativité était intacte, malgré les revers politiques, sa santé déjà bien vacillante, et son inquiétude pour ses enfants.
Il a succombé ce mercredi 27 août aux complications d’une opération à cœur ouvert, après plusieurs jours dans le coma. »
Par sophieanmuth
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