8 juillet (tribune publiée par le journal Le Monde, le 5 juillet) Arabes et Palestiniens progressistes connaissent bien les tendances antidémocratiques et corrompues d’Arafat. Celles-ci ne posèrent aucun problème aux Américains tant que les Israéliens en furent contents.
J’ai réalisé en 1996, alors que j’étais observateur international des
élections en Palestine, quels dangers le régime naissant de Yasser Arafat
faisait planer sur la démocratie palestinienne. Mon équipe d’observateurs
avait rencontré plusieurs conseillers et responsables de la sécurité proches
d’Arafat, ainsi que des dissidents : hommes politiques, journalistes ou
militants des droits humains en Palestine.
Il était déjà évident que les cadres de l’OLP de retour d’exil avec Arafat
avaient évincé les responsables locaux révélés durant les décennies
d’occupation. Certains d’entre nous s’inquiétèrent alors ouvertement de la
création de fiefs personnels dans plusieurs villes : ceux-ci augmentaient
fortement le risque de voir se développer des poches de corruption.
Le labyrinthe de services de sécurité, dont seul Arafat était responsable,
soulevait également des inquiétudes : il entraînerait automatiquement la
mise en place d’un système judiciaire autoritaire et arbitraire.
Et bien qu’Arafat eût à l’évidence gagné le soutien populaire en Palestine,
nous fûmes à l’époque témoins d’un nombre assez important de manipulations
électorales, notamment à Gaza, pour craindre que l’Autorité palestinienne ne
se dirigeât dans une mauvaise direction.
Notre plus grande crainte, en fait, était que cette période fondatrice pour
la nation palestinienne ne succombât aux impulsions antidémocratiques qui
gâchent un si grand nombre de régimes arabes. Nous insistâmes sur le fait
que cette structure naissante d’autoritarisme nous souciait plus que le
résultat lui-même des élections.
A l’époque, aucun des principaux acteurs américains et occidentaux n’avait
souhaité examiner nos avertissements. Arafat était l’homme providentiel des
Etats-Unis et d’Israël. C’était l’homme qui allait « vendre » les accords
d’Oslo au peuple palestinien et gérer le « processus de paix » selon les
paramètres établis par Israël et les Etats-Unis.
Bref, les Américains ne se souciaient guère de la « démocratie » en Palestine
: ainsi, le vice-président Al Gore fut envoyé en Palestine pour encourager
Arafat à entretenir des tribunaux de sécurité d’Etat secrets destinés à
juger les « terroristes » arrêtés.
Arabes et Palestiniens progressistes connaissent bien les tendances
antidémocratiques et corrompues d’Arafat. Celles-ci ne posèrent aucun
problème aux Américains tant que les Israéliens en furent contents.
Aujourd’hui, nombre d’entre nous, pour qui la cause palestinienne représente
l’engagement de toute une vie, estiment qu’il est grand temps pour Arafat
d’assumer son rôle symbolique de père de la nation et que les tâches
incombant au gouvernement doivent être confiées à des dirigeants plus jeunes
et plus compétents. Nous attendons avec beaucoup d’espoir les élections
démocratiques et l’arrivée d’une meilleure équipe dirigeante, qui mènerait
des politiques honnêtes et transparentes pour le peuple palestinien.
Si une nouvelle équipe dirigeante est élue en Palestine, elle devra engager
une stratégie plus efficace de résistance à l’occupation. Mais une telle
stratégie serait problématique pour Israël et, par conséquent, pour les
Etats-Unis. Elle s’éloignerait – nous l’espérons – des tactiques d’horreur
et d’autodestruction que sont les attentats-suicides et de l’inefficace
poursuite obsessionnelle de la puissance américaine. Du reste, la tentative
d’Arafat d’obtenir les faveurs de Bush en approuvant son récent discours ne
fait que prouver son échec.
Existe-t-il vraiment quelqu’un pour croire qu’Américains et Israéliens
trouveront un leader palestinien plus accommodant ? Pense-t-on vraiment
qu’ils accepteront un leader palestinien s’opposant véritablement à
l’occupation israélienne et aux menaces américaines, qu’il soit ou non
honnête et élu démocratiquement ? Un leader plus menaçant car représentant
véritablement la volonté du peuple ?
En vérité, Arafat n’est pas écarté pour ses carences « antidémocratiques »,
mais parce que le gouvernement israélien a changé d’avis. Aujourd’hui dirigé
par le Likoud et Sharon, depuis toujours opposés à Oslo ou à tout « processus
de paix » risquant d’ébrécher l’occupation et l’avancée de la colonisation
sur les terres palestiniennes, Israël a décidé la fin d’Arafat et de
l’Autorité palestinienne. Sharon est résolu à ne parler qu’à un leader plus
« coopératif » qu’Arafat, qui, du reste, n’existe pas.
Dès lors, la tenue de négociations sérieuses se trouve renvoyée aux calendes
grecques.
Et puisque Israël a changé d’avis, les Etats-Unis suivent, se contentant
d’informer Arafat et son équipe de sécurité – qui avaient pourtant bâti de
fortes relations professionnelles, voire personnelles, avec les services
secrets américains – qu’il est temps de partir. « Désolés. C’est l’heure. »
Déplorable mais sans surprise. Ne mâchons pas nos mots. Je suis un ami de
l’Amérique. Je me suis épanoui de multiples façons au contact de cette
remarquable nation, dont aujourd’hui je connais et respecte le peuple et les
valeurs fondatrices.
C’est pourquoi je suis profondément attristé de voir le président des
Etats-Unis prononcer un discours uniformément considéré par les
commentateurs israéliens comme digne de Sharon ou du comité central du
Likoud. J’ai peur pour l’avenir immédiat du Moyen-Orient et du monde entier.
Les régimes arabes ont tort de se concentrer sur tel ou tel élément positif
du discours, cherchant à en donner une lecture positive. Ce discours de Bush
résume la déplorable propension de son administration à tout réduire à une
question de « terrorisme », et à accepter sans broncher les paradigmes
proposés par la droite israélienne la plus extrême. Une fois encore, tout
est centré sur la sécurité israélienne, alors que l’évidente injustice de
l’occupation est oubliée. Et l’idée erronée selon laquelle il suffirait
d’attaquer l’Autorité palestinienne pour résoudre l’un ou l’autre de ces
problèmes s’en trouve avalisée. Du reste, l’éternelle inaction volontaire
israélienne se trouve aussi justifiée : c’est un Oslo bis qui est légitimé,
et pourtant on n’a plus le temps ! d’effectuer de telles manouvres. En
somme, c’est la recette d’un véritable désastre.
Le prince Moulay Hicham El Alaoui est l’un des cousins du roi du Maroc,
Mohammed VI.