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VOYAGE EN PALESTINE (du 11 au 22 décembre, Par Olivia ZEMOR)

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31 décembre – Ce voyage d’une dizaine de jours fut à la fois éprouvant et instructif. Eprouvant à cause du stress (contrôles, risques..), de la fatigue (tout déplacement est épuisant car il doit être fait en plusieurs étapes, à cause des check-points et couvre-feux), du froid et de la boue (maisons non chauffées, chemins détournés moyennement praticables).


Instructif, car j’ai rencontré des tas de gens formidables et pu constater (ce que ne nous montrent jamais les médias) que beaucoup de Palestiniens se livrent non seulement à des actes de désobéissance civile très courageux, mais qu’ils se battent pour des idéaux, pour construire, malgré l’occupation, la terreur et le désespoir, une société démocratique où les femmes et les enfants joueront un rôle primordial.

J’ai été très impressionnée par le nombre d’associations composées de volontaires oeuvrant pour l’émancipation des femmes, pour l’éducation laïque des enfants, sans compter tous ceux qui donnent leur temps (et ce qui leur reste d’argent) pour la défense des prisonniers, pour apporter de la nourriture à ceux qui n’en ont pas.

Et malgré une vie quotidienne insupportable (couvre feux, check-points, nourriture et soins médicaux de plus en plus difficiles, incertitude permanente sur ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas, sur l’humeur des soldats), les gens restent souriants, prêts à aider, à renseigner.

Il y a de leur part un mélange de désespoir (« tout le monde nous a abandonnés », « les israéliens ont carte blanche pour faire ce qu’ils veulent de nous ») et de résistance (« ils peuvent nous tuer un par un, nous ne partirons pas d’ici », « C’est notre terre, nous ne refairons pas l’erreur de partir comme en 1948 ») parmi toutes les couches de la société. Il y a certes des Palestiniens aisés qui sont déjà partis à l’étranger, mais j’ai été frappée de rencontrer à Naplouse des bourgeois, des businessmen qui pourraient aller se refaire une santé en Occident (qui ont plusieurs nationalités dont la nationalité américaine), mais qui restent par patriotisme, par esprit de résistance, car ils disent qu’ils ne pourraient pas se regarder dans une glace s’ils partaient dans cette situation. C’est notamment le cas d’Amer Abdelhadi qui dirige Radio Tariq al Mahabbeh et de son frère qui possède plusieurs hôtels superbes (dont l’hôtel Al Yasmeen à Naplouse), aujourd’hui vidés de leurs clients. Ils sont tous deux d’une grande famille bourgeoise qui a perdu l’essentiel de ses biens, mais qui ne veut pas capituler.

J’ai vadrouillé à Naplouse et dans le camp de réfugiés de Balata avec Manal, une jeune de 23 ans qui s’occupe toute la journée d’animer des jeunes de 10 ans à 18 ans « pour qu’ils goûtent à l’enfance », qu’ils puissent exprimer leur stress au travers de dessins, de graffitis et peintures murales. Elle fait cela de manière totalement bénévole avec plusieurs centaines d’autres jeunes bénévoles dans tout le pays, et avec les moyens du bord. Parfois dans les rues, d’autres fois sur les toits de maisons, ou encore dans des villages. Et ceci en dépit du couvre-feu. Ils ont décidé que les enfants ne pouvaient rester enfermés en permanence et qu’il valait mieux prendre le risque de désobéir et de braver le couvre-feu.

Son association « Ansar Al Insan », notamment implantée dans la région de Naplouse, organise des spectacles de rues et a même amené 150 enfants en septembre dernier devant un check-point pour demander aux soldats de faire cesser le couvre-feu et de rouvrir les écoles. Ils étaient encadrés d’une quarantaine d’internationaux et ont réussi à manifester pendant une heure, malgré les gaz lacrymogènes. Finalement les soldats leur ont dit qu’ils allaient leur tirer dessus s’ils ne décampaient pas, mais que « par humanité, comme il s’agissait d’enfants », ils ne viseraient que les jambes.

Manal a eu sa maison dans la vieille ville de Naplouse complètement détruite par l’armée israélienne, en avril dernier. Elle a perdu tout ce qui lui était cher à l’intérieur, notamment des dessins auxquels elle tenait énormément. En possession d’une licence de psychologie, Manal est en outre une artiste. En ce même mois d’avril plusieurs de ses amis ont été tués par l’armée. Une de ses meilleures amies, qui n’avait rien d’islamique est morte en commettant un attentat suicide. Elle en avait parlé à Manal, qui ne l’avait pas prise au sérieux et qui traîne depuis un grand sentiment de culpabilité. Ce fut ensuite au tour de Manal, totalement désespérée, de vouloir se transformer en kamikaze. Pendant un mois, cela a été son obsession, mais heureusement ses amis l’en ont dissuadée. Manal est une jeune femme réservée, qui n’a pas l’habitude de s’épancher, mais elle a voyagé en Europe, parle anglais et n’est pas portée sur la religion. Pour gagner sa vie et rembourser les emprunts qu’elle a faits pour payer ses études, elle tape des thèses d’étudiants la nuit, mais comme les étudiants sont eux mêmes de plus en plus démunis, cela devient très dur.

Si nous pouvons aider son association, Ansar Al Insan (« Human’s Supporters ») en lui permettant d’acheter des crayons, des feutres, de la peinture, des cahiers, pour les enfants, ce serait bien.

J’ai découvert lors de mon passage à Naplouse à quel point cette ville avait été martyrisée. Elle a été envahie en même temps que Jénine et à subi davantage de pertes (87 morts à Naplouse contre 54 à Jénine), de terribles démolitions (les plus belles maisons historiques de la vielle ville), ainsi qu’un couvre-feu total (24 H sur 24) pendant 4 mois d’affilée. Pourtant presque personne n’en a parlé. les médias ont très peu suivi. Les projecteurs ont été braqués sur Jénine, en raison à la fois des estimations au départ plus importantes de morts dans ce camp, et du fait que 15 soldats israéliens y avaient été tués lors des combats. Et Naplouse est passée complètement à la trappe.
Aujourd’hui, il y a des jours avec et des jours sans couvre feu. Les habitants ne sont informés par la télé que le jour même, mais même en l’absence de couvre-feu, les tanks et les jeeps paradent dans la ville, provoquant les jeunes qui se mettent à lancer des pierres, ce qui permet aux soldats de tirer sur eux, de les blesser, de les tuer. Mais la population, lassée d’être enfermée, a décidé de prendre le risque de braver le couvre-feu et vaque le plus souvent à ses activités sans tenir compte des annonces de l’armée.

La volonté d’humiliation est constante. En plus de l’attente aux check-points, des fouilles corporelles, des hurlements dans les hauts parleurs, qui rappellent de tristes périodes, j’ai vu des soldats confisquer sans raison les papiers d’identité de certains Palestiniens, juste pour s’amuser et les obliger à repartir sans leurs papiers malgré leurs supplications, (car on ne peut rien faire sans ses papiers). Ils les ont parait-il remis plus tard à d’autres Palestiniens, au hasard. Un jeu hilarant.

On m’a raconté également qu’une femme soldat s’amusait régulièrement à prendre le contenu de la gamelle de certains travailleurs palestiniens traversant les check-points pour les jeter aux chiens.

Je me suis également rendue à Yanoun, ce fameux village au sud-est de Naplouse que ses familles avaient totalement évacué, lasses d’être attaquées par les colons au cours des deux dernières années. La solidarité et notamment la présence constante de plusieurs volontaires internationaux qui se relaient désormais pour assurer la protection des villageois a ramené les deux tiers des familles au village.
Le jour même où je suis arrivée à Yanoun, 17 colons étaient descendus de leurs hauteurs pour agresser les villageois, mais ont fait demi-tour en voyant des étrangers.
Nous (un Palestinien de LAW qui coordonne certaines actions sur Yanoun, un responsable de l’ATMF, et moi-même) avons tenu « conseil » avec les villageois pour discuter de l’avenir de ce village, des meilleurs moyens de résister aux colons, et de faire revenir un certain nombre de familles réfugiées dans le bourg voisin. Nous avons établi avec eux une liste de priorités, dont la première est apparue être la prise en charge du transport des enfants vers Aqraba, le bourg voisin à plusieurs kms de distance, en raison des agressions dont ils sont régulièrement victimes lorsqu’ils s’y rendent à pied.

Nos deux associations (CAPJPO et l’Association des Travailleurs Maghrébins de France) se sont engagées concernant le paiement, sur un an, des frais de transport par un taxi collectif qui fera deux aller-retour quotidiens, permettant par la même occasion aux villageois de Yanoun (qui vivent actuellement de leurs oliviers et de leurs chèvres) d’aller faire leurs courses à Aqraba. La dépense totale pour une année s’élève à 4.000 euros, dont 2.000 pour CAPJPO et 2.000 pour l’ATMF.

Nous avons aussi étudié avec les villageois et les internationaux présents les possibilités de développer des activités dans le village (artisanat, échanges culturels avec les bénévoles internationaux), de permettre aux jeunes femmes qui restent enfermées dans les maisons d’avoir des activités, d’amener l’électricité au village et d’améliorer la route difficilement praticable qui relie Yanoun à la « civilisation ».

Il nous a semblé en effet, que Yanoun représentait un symbole de la résistance palestinienne aux colons et de la solidarité internationale (des Israéliens de Ta’ayoush s’y rendent également tous les samedi actuellement) et qu’il était important de remporter une victoire qui serait médiatisée et contribuerait à redonner de l’espoir et des idées à d’autres villages palestiniens également en butte à un bras de fer avec les colons et l’armée.

Et puis, il nous parait très important d’inciter un maximum de gens et d’associations en France à apporter une aide à tous ceux qui luttent en Palestine pour des idéaux laïques et démocratiques, car les organisations palestiniennes islamistes gagnent dangereusement du terrain, grâce aux subsides dont elles bénéficient. Elles sont actuellement quasiment les seules à pouvoir apporter une aide matérielle aux gens dans le besoin, concernant les services sociaux, ce qui renforce nécessairement leur influence.

Si notre combat en France doit être avant tout un combat politique pour mobiliser l’opinion publique et faire pression sur notre gouvernement, il me semble important d’apporter une aide concrète, chaque fois que possible, dans la mesure de nos moyens, à des associations laïques qui ont choisi des moyens de résistance non violents. Faire connaître ces actions de désobéissance civile, est d’ailleurs une action politique qui permet de donner une autre image des Palestiniens que celle véhiculée par les médias et la propagande israélienne.

Je suis également passée voir AbdelFattah Abu Srour qui anime un théatre pour enfants dans le camp d’Aïda à Béthlehem. J’y suis parvenue par des chemins détournés. Inutile de dire qu’il travaille dans des conditions très difficiles, le couvre-feu en vigueur depuis plus d’un mois n’arrangeant pas les choses.

Au cours de ces 10 jours, j’ai eu plusieurs dizaines de rendez-vous, qui m’ont permis de constater que les Palestiniens luttent souvent en ordre dispersé (peu de coordination entre les diverses associations), entretiennent des rivalités personnelles (comme nous parfois en France), sont souvent très critiques vis-à-vis de l’Autorité Palestinienne, et prennent très au sérieux les risques de transfert, notamment à la faveur d’une attaque contre l’Irak.

Parmi mes rencontres, plusieurs avocats, afin d’envisager la possibilité d’une collaboration avec des avocats français pour engager en France des poursuites judiciaires contre des responsables de l’armée israélienne. Un sujet délicat, car on ne peut plaider une affaire que devant une seule cour de justice : un avocat palestinien qui se défait d’un cas pour nous passer le dossier se résigne donc à ne jamais le plaider en Israël. Même s’il a peu de chance de voir l’affaire aboutir en Israel, il en a encore moins en France. En effet, la législation française fait qu’il ne peut y avoir procès pour crimes contre l’humanité ou tortures que si l’accusé met les pieds en France, ce qui restreint les chances de procès. En revanche, l’impact politique et médiatique d’une « black list » de gradés israéliens prenant un risque s’ils voyagent en France, peut être considérable. Non seulement finies les « petites tournées » pour récolter des fonds pour l’armée israélienne, comme ils en ont l’habitude, mais surtout l’idée que des militaires israéliens peuvent être considérés comme des criminels, dont les noms se retrouvent « wanted », peut battre en brèche la notion d’impunité aujourd’hui prédominante.

Toujours en matière de justice, j’ai assisté le 18 décembre au procès à la Cour Suprême concernant la décision de l’armée de détruire de nombreuses maisons palestiniennes à Hébron pour permettre aux colons de circuler en toute sécurité. Le jugement devait être rendu trois semaines plus tard, mais les jugements rendus par la cour suprême, autrefois quelque peu indépendante, sont de plus en plus favorables à l’armée.

J’ai par ailleurs rencontré des pacifistes israéliens très actifs : Michel Warschawski et Sergio, responsable de l’AIC (Alternative Information Center), Jeff Halper (Comité contre la démolition des maisons palestiniennes), ainsi qu’Uri Avnery et Oren Medicks de Gush Shalom. J’ai également discuté avec plusieurs militants du groupe pacifiste israélien Ta’ayush, et assisté à l’une de leur réunion à Jérusalem. Les actions de solidarité qu’ils entreprennent avec les Palestiniens sont assez spectaculaires (manifs aux check-points, convois de biens de première nécessité, récolte des olives, vente de l’huile d’olive palestinienne en Israël), mais ils sont peu nombreux et ces actions sont malheureusement espacées. Ils ont en outre renoncé à faire de la propagande large auprès de l’opinion israélienne (pas de meetings, pas de tracts….), estimant que cela ne servait à rien et que les israéliens qui avaient envie de les rejoindre dans leur action n’avaient qu’à le faire. Ils ont ainsi décidé de ne pas intervenir pendant la campagne électorale israélienne.

Olivia Zémor

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