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UNIVERSITES : A PROPOS D’UN PSEUDO-BOYCOTT

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7 février – Par Monique Chemillier-Gendreau (professeur de droit international à l’université Paris-VII-Denis-Diderot). Publié dans Le Monde daté du 8/2/2003


L’affaire du prétendu « boycottage des universités israéliennes »qui aurait été réclamé en décembre 2002 par le conseil d’administration de l’université Paris-VI (Pierre-et-Marie-Curie) a fait l’objet de confusions très graves dont les enjeux implicites sont lourds de sens et qu’il faut impérativement dévoiler. Des appels à critiquer la position de cette université ont circulé et de fortes pressions ont été exercées (sans succès) sur les membres de son conseil pour les inciter à revenir sur leurs positions.

Cette campagne a eu pour objectif de renforcer l’impunité d’Israël et de laisser croire que les collègues qui ont soutenu la démarche de Paris-VI auraient basculé dans l’antisémitisme (certains appels ont tenté d’entretenir la confusion en évoquant les mesures de Vichy).

Heureusement, d’autres universités (Grenoble, Montpellier-III) se sont prononcées à leur tour, limitant ainsi l’indifférence inquiétante de nos sociétés envers le sort fait au peuple palestinien.

Dans ce contexte, il paraît indispensable de poser ici une série de questions.

– Pourquoi avoir ignoré grossièrement le contenu exact de la motion de Paris-VI ? Selon les termes adoptés, cette université a demandé que l’Union européenne ne renouvelle pas l’accord qu’elle avait passé en 1995 avec Israël accordant à cet Etat des avantages commerciaux, mais aussi des financements d’infrastructures ou de programmes de recherche, qu’elle appelle les collègues israéliens à prendre position sur le sort fait aux universités palestiniennes qui sont mises dans l’impossibilité de travailler et qu’elle mandate son président pour nouer des contacts avec les universitaires des deux parties afin d’aider à la paix. Il n’y a là aucun « boycottage ». Il est seulement demandé que l’UE ne renouvelle pas l’accord d’association afin de ne pas cautionner par des mesures très favorables à Israël l’évolution dramatique de la situation.

– Pourquoi refuse-t-on de prendre en considération une clause qualifiée d’essentielle dans un accord international ? L’accord d’association UE-Israël, signé en 1995, était soumis à la condition centrale du respect des droits de l’homme et des principes démocratiques considérés comme les fondements des relations entre les deux parties et de toutes les dispositions de cet accord (article 2).

Ignore-t-on qu’Israël viole les droits des Palestiniens massivement ? Que la répression fait chaque jour son lot de morts et de blessés, notamment parmi les enfants, que les assassinats extrajudiciaires sont fréquents et revendiqués par le gouvernement israélien, que la torture est pratiquée, les emprisonnements arbitraires multipliés, que les terres des Palestiniens sont depuis cinquante ans confisquées et qu’on y érige des colonies de peuplement afin de rendre la paix impossible ? Que les maisons et les plantations sont détruites quotidiennement ?

Combien de temps va-t-on rester sans comprendre que tant d’injustices conduisent les plus fragiles des Palestiniens à l’horreur d’une mort qu’ils se donnent en y entraînant des civils israéliens innocents et que c’est en rompant avec l’injustice que l’on enrayera la spirale de la violence ?

Ignore-t-on que les infrastructures développées en Palestine avec les sommes versées par l’UE ont été détruites avec provocation par l’armée israélienne dans les derniers mois ?

Toutes les raisons sont ainsi réunies pour suspendre l’accord sur la base des dispositions de son article 2, ce que le Parlement européen (serait-il gagné par l’antisémitisme ?) a voté le 10 avril 2002. Refuser d’évoquer cette clause droits de l’homme, c’est donc considérer qu’elle ne vaut rien, que ce sont des mots pour les mots, des mots pour rire ou pour grincer des dents.

Aussi est-ce l’honneur des collègues de Paris-VI que d’avoir pris ce texte au sérieux. La neutralité universitaire est un mauvais argument pour critiquer leur position car elle consiste à se laver les mains de violations graves du droit international. Et l’invocation de la laïcité et du respect de la diversité des opinions invoquée par d’autres universitaires pour ne porter aucun jugement sur l’application de l’accord voudrait-elle dire implicitement que les violations massives des droits des Palestiniens ne seraient que les conséquences d’une « opinion » acceptable parmi d’autres et que le respect des droits de l’homme et du droit international seraient une « religion » que le principe de laïcité autoriserait à ne pas pratiquer ?

– Cela nous mène à la dernière question que ceux qui ont manifesté contre le prétendu « boycottage » ne peuvent pas esquiver. Que faisons-nous, que proposons-nous pour mettre un terme à la descente aux enfers des Palestiniens ? La réponse est : rien. Nos gouvernements se dérobent. Les efforts de la société civile sont inéluctablement limités. Les universités sont des établissements publics qui ne peuvent être indifférents aux conditions dans lesquelles se déploie la coopération internationale. Qu’une poignée d’universitaires lancent un appel pour exiger que cette coopération soit conforme aux principes affichés, est une lueur d’espoir dans un océan d’indifférence.

La détermination était plus forte lorsque nous tentions d’enrayer l’apartheid de l’Afrique du Sud. La démission collective face aux dérives criminelles de certaines sociétés éloigne l’heure des solutions et encourage les pires répressions. Le sort fait au peuple tchétchène mériterait lui aussi une mobilisation autour de mesures fortes contre la Russie au lieu des marques d’amitié que l’on ne cesse de prodiguer au gouvernement de Vladimir Poutine.

Demander que l’accord d’association entre l’UE et Israël ne soit pas renouvelé ou plutôt que ce renouvellement soit l’occasion de faire pression sur Israël pour un changement radical de politique, est le premier pas dans la voie d’une attitude enfin conforme au respect des droits de l’homme que nous prétendons défendre. Comment pouvons-nous invoquer les textes sur les droits de l’homme contre les répressions ou contre le racisme et l’antisémitisme dans toutes les situations où ces fléaux se développent si, lorsque ces textes sont la base d’un engagement concret, nous en faisons aussi peu de cas ? Les manifestants contre la motion de Paris-VI qui brandissent le risque d’antisémitisme feraient bien de se poser cette question.

Monique Chemillier-Gendreau est professeur de droit international à l’université Paris-VII-Denis-Diderot.

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