Header Boycott Israël

GUERRE DE BUSH : LE SOMBRE PRONOSTIC DU PACIFISTE ISRAELIEN URI AVNERY

Partagez:

26 mars – Riz amer : Quelques réflexions sur la guerre, par Uri Avnery
* Méfiez-vous des Chiites. Les difficultés de l’occupation commenceront après la fin des combats. Voici une histoire personnelle et ses enseignements :


Le quatrième jour de l’attaque israélienne sur le Liban en 1982, j’ai traversé la frontière à un endroit perdu près de Metulla et j’ai cherché la ligne de front qui avait déjà atteint les environs de Sidon. Je conduisais ma voiture personnelle, seulement accompagné d’une femme photographe. Nous avons traversé une dizaine de villages chiites et nous avons partout été reçus avec une grande joie. Nous avions du mal à quitter les centaines de villageois qui insistaient tous pour nous inviter à prendre le café chez eux. Les jours précédents, ils avaient arrosé les soldats avec du riz.

Quelques mois plus tard, j’ai rejoint un convoi de l’armée allant dans la direction inverse, de Sidon à Metulla. Cette fois-ci les soldats portaient des gilets pare-balles et des casques, nombre d’entre eux étaient au bord de la panique.

Que s’était-il passé ? Les Chiites avaient reçu les Israéliens comme des libérateurs. Quand ils ont réalisé qu’ils étaient venus pour rester en occupants, ils ont commencé à les tuer.

Quand les troupes israéliennes sont entrées au Liban, les Chiites étaient une communauté méprisée, sans pouvoir, rejetée par tous les autres. Après une année de combats avec les occupants, ils sont devenus une force politique et militaire. Le Hezbollah chiite est la seule force militaire dans le monde arabe qui ait battu la puissante armée israélienne.

Sharon est le père véritable de la force chiite au Liban. Bush pourrait bien devenir le père du pouvoir chiite en Irak. Les Chiites – 60% de la population irakienne – ont été jusqu’à maintenant méprisés et sans pouvoir. Quand ils réaliseront que les Américains ont l’intention de rester, ils commenceront une guérilla sans merci. Bush n’a pas l’intention de quitter l’Irak, comme Sharon n’avait pas l’intention de quitter le Liban.

Et alors ? L’Amérique va prétendre que l’Iran, le grand voisin chiite, est derrière la guérilla chiite. En Iran il y a beaucoup de pétrole. C’est la prochaine cible.

* Effusion de sang pour le pétrole. George Bush est un homme primitif, mais les gens derrière lui sont loin d’être stupides. Ce sont les barons du pétrole et les géants de l’industrie des armes. Ils veulent faire ce que les grandes puissances ont toujours fait : utiliser leur puissance militaire pour acquérir l’hégémonie économique. En d’autres termes : voler les peuples pauvres pour s’enrichir encore plus.

L’occupation militaire de l’Irak durera de nombreuses années et garantira à l’Amérique le contrôle sur les vastes réserves de pétrole de l’Irak ainsi que sur celles de la mer Caspienne et sur celles de tout le monde arabe. Cela lui donnera le contrôle sur l’économie mondiale et empêchera l’émergence d’un bloc économique européen compétitif et indépendant. L’Amérique combat contre l’Europe autant que contre l’Irak. C’est une des raisons de la colère de l’Europe.

* Allemagne. L’Allemagne est contre la guerre. Contre toute guerre. Dans aucun autre pays, la réaction anti-guerre n’a été aussi authentique, exprimant le sentiment profond des masses.

Et qui en est furieux ? Israël, le pays des survivants de l’Holocauste. Comment osent-ils, ces maudits Allemands, être contre la guerre ?

Triste ironie de l’histoire : toutes les chaînes de télévision allemandes montrent des citoyens, intellectuels et gens du peuple, qui prient pour la paix ; tous les écrans de la télévision israélienne montrent des généraux à la retraite, imbus d’eux-mêmes, qui discutent avec beaucoup de délectation de la façon d’utiliser des bombes géantes et autres instruments de mort.

* Ivresse du pouvoir. C’est la première guerre du XXIe siècle et elle est de mauvais augure.

Ce siècle a hérité du précédent un monde dominé par une seule super puissance. L’Amérique n’a pas de concurrents ; aucun autre regroupement de forces ne peut se mesurer à elle. Elle peut littéralement faire ce qu’elle veut, et c’est justement ce qu’elle fait ouvertement et brutalement aujourd’hui.

Quand l’Amérique a obtenu une victoire facile et bon marché en Afghanistan, en utilisant des bombes intelligentes et des valises remplies d’argent, il était clair qu’elle ne pourrait plus s’arrêter. Une si énorme machine a besoin de continuer à fonctionner et cherche sans cesse un ennemi. Aujourd’hui c’est l’Irak. Qui sera le prochain ? L’Iran ? La Corée du Nord ?

C’est ce qui est arrivé à l’Empire romain. C’est ce qui est arrivé à Napoléon et à Hitler. L’ivresse du pouvoir ne connaît pas de limites. Et aucun d’eux n’était dans la situation actuelle des Etats-Unis : seule puissance dans le monde, sans ennemi susceptible de s’opposer à elle.

* Une guerre juive ? Les antisémites déclarent que ce n’est pas une guerre pour les intérêts américains, mais pour Israël. Pour preuve ils désignent le groupe de Juifs américains qui ont joué un rôle déterminant dans le déclenchement de cette guerre, des gens comme Paul Wolfowitz, Richard Perle et Douglas Feith au ministère de la Défense, Elliott Abrams au Conseil national de Sécurité (voire Ari Fleisher à la Maison Blanche ou même Dan Kerzer, l’ambassadeur américain à Tel-Aviv). Ils soutiennent Sharon et l’extrême droite en Israël ; certains d’entre eux parlent hébreu ; certains d’entre eux ont conseillé Benyamin Netanyahou quand il est devenu Premier ministre. Avec les deux non-Juifs, Cheney et Rumsfeld, ils ont poussé Washington à la guerre. C’est ainsi que parlent les antisémites.

C’est vrai en soi, mais c’est d’abord et avant tout une guerre pour les intérêts américains. Cependant Bush et Sharon croient que les intérêts américains et israéliens sont pratiquement les mêmes. Le groupe juif belliciste à Washington agit en étroite coopération avec les fondamentalistes chrétiens, qui contrôlent désormais le parti républicain et ont des arrière-pensées antisémites.

Les antisémites mettront en évidence un autre fait : Israël est le seul pays au monde où aucun homme politique à titre personnel ni qui que ce soit dans les médias n’a élevé la voix contre la guerre. Alors que des millions de gens manifestent dans le monde entier, une seule manifestation anti-guerre organisée par Gush Shalom et quelques autres organisations pacifistes a eu lieu en Israël. Elle a mobilisé 2500 personnes.

Dans la lutte entre Bush et l’opinion mondiale, le gouvernement d’Israël a choisi Bush. Pour le moment, ce choix semble raisonnable étant donné que Bush a le pouvoir et est du côté de Sharon. Mais, à long terme, il pourrait s’avérer que ce soit le mauvais pari.

* Les divisions du Pape. « Combien le Pape a-t-il de divisions ? » a demandé Staline d’un ton sarcastique quand on lui a dit que le Saint-Père s’opposait à ses actions. Aujourd’hui on demanderait : combien de divisions l’opinion publique commande-t-elle ?

Dans le monde entier, l’opinion publique s’oppose à la guerre. Il y a une immense majorité contre elle, même dans les pays dont les dirigeants ont rejoint la « coalition » de Bush. Pour la première fois, il existe quelque chose que l’on peut appeler « opinion mondiale ».

Seul l’avenir dira si elle constitue une force réelle. Thomas Jefferson, un des pères de la démocratie américaine, a déclaré un jour qu’aucun pays ne pourrait fonctionner sans « un minimum de respect pour l’opinion mondiale ».

Il se peut que le XXIe siècle voie l’affrontement entre la force brute d’une superpuissance militaro-économique et l’opinion publique mondiale, avec l’aide désormais de la technologie moderne.

* Mercenaires. C’est une guerre menée par des mercenaires. Les combattants sont des soldats professionnels, les fils des pauvres, dont beaucoup de Noirs. Il est donc facile pour les citoyens des classes moyennes, et en particulier les électeurs républicains, d’approuver la guerre. Ce ne sont pas leurs fils qui seront tués.

Par le passé, la gauche européenne a demandé l’abolition de l’armée de métier et l’introduction de la conscription générale. A l’époque, c’était une idée « progressiste ». Quand la gauche devient puissante, elle oublie tout.

La guerre du Vietnam était encore faite par des appelés. La résistance à la guerre s’est développée quand les cercueils ont commencé à arriver. George W. Bush, qui soutenait la guerre de tout son cœur, ne l’a pas faite. Son père s’est arrangé pour qu’il rentre à la maison. Il n’était rien de plus qu’un tire-au-flanc.

* Jefferson à nouveau : « Je tremble vraiment pour mon pays quand je me dis que Dieu est juste. »

[Traduit de l’anglais : RM/SW pour la liste al oufok]

Partagez: