20 avril – (traduction Carole Sandrel) « Au Pdt de la cour suprême, Aharon Barak
« Mon fils, Jonathan (Yoni) Ben-Artzi est pacifiste. Il a refusé d’être incorporé au service militaire et demandé d’être affecté ailleurs, dans un service civil. Etant étudiant en physique et mathématique, il croyait pouvoir mieux servir la société israélienne en donnant des cours à des écoliers défavorisés, par exemple.
L’Armée a repoussé la requête de Yoni Il a été appelé le 8 août 2002. Il s’est rendu au centre d’incorporation, a refusé d’endosser l’uniforme et a été immédiatement incarcéré à la prison militaire N°4 pour une période d’un mois. Voici la déclaration qu’il a faite à l’officier qui l’a condamné ce jour-là :
« Moi, Jonathan Ben-Artzi, je refuse de rejoindre l’armée parce que j’ai fait choix du pacifisme. Ma foi profonde dans la non violence a commencé quand j’étais encore un petit enfant et s’est développée au fil des années se muant en une large conscience politique et philosophique. En raison de mes convictions, mon propre pays se prépare à me jeter en prison , au mépris de toutes les lois internationales et des valeurs morales les plus élémentaires. J’irai en prison fièrement, sachant que c’est le moins que je puisse faire pour améliorer l’image de ce pays ».
Yoni a été condamné sept fois consécutives, pour le même crime, et a passé plus de deux cents jours dans la prison militaire N°4. Je suis sûr que dans vos fonctions de Président de la Cour Suprême, la réputation de dureté de la prison est parvenue à vos oreilles. Mais je suppose que vous ne l’avez jamais visitée ni par les jours caniculaires d’août, ni par les nuits glacées de janvier. Je vous épargne les détails de la vie en prison, pour vous dire seulement que l’Armée n’est pas parvenue à briser la force morale de Yoni ni à le faire changer d’avis. Bien au contraire, il s’est trouvé encouragé quand il s’est rendu compte que s’étaient ajoutés à la liste des détenus dix sept jeunes gens honnêtes qui, ne supportant pas la violence gratuite de l’armée israélienne avaient demandé à choisir le service civil.
Inquiète du nombre croissant de ces garçons courageux, l’Armée a décidé de faire ce qu’elle sait faire de mieux : utiliser plus encore la force. Le 19 février 2003, Yoni a reçu un ordre de comparution devant la Cour Martiale. Derrière cette décision de l’Armée, une logique simple : la cour militaire est seule autorisée à s’occuper de la situation des soldats et Yoni est déjà un soldat qui refuse de signer les papiers qui feront de lui un soldat…Après tant de mois de détention arbitraire, Yoni était préparé à affronter l’épreuve. Il n’y mettait qu’une condition ; il voulait la vraie justice.
Il s’est alors adressé à vous qui êtes le Président de la Cour Suprême, demandant que son procès soit soumis à l’examen d’une cour civile. L’appel a été dressé par Avigdor Feldmann, un grand avocat des droits de l’homme, et Michael Sfard, jeune avocat spécialiste du droit international.
Vous serez sûrement d’accord sur le fait que ce document déposé au nom de Yoni représentaient un travail d’expert, un travail digne de ses auteurs et plus encore digne de l’esprit supposé de notre société. Ce document vous rappelait qu’aucun tribunal militaire n’a le pouvoir de décider si une personne est un soldat ou un civil ; que les cas de conscience devraient se débattre dans le cadre de la société civile, en raison de leur nature même ; que tous les aspects du service civil sont sous juridiction du système civil. Il rappelait les décisions des tribunaux étrangers (qui vous sont parfaitement familières) indiquant que ces principes sont universels, et sont universellement acceptés dans tous les pays démocratiques, depuis bien des décades.
L’audience de ce procès a été fixée au 8 avril 2003. Séance qui a pris place tôt le matin, et les deux juges qui vous accompagnaient semblaient très endormis et n’ont jamais pipé mot. Vous, d’un autre côté, étiez très actif. Tellement d’ailleurs, que vous avez veillé à ce que l’avocat représentant l’Armée n’ait pas grand chose à faire. Premièrement, vous avez convenu avec l’Armée que Yoni était déjà un soldat. Puis vous avez déclaré que les juges militaires étaient parfaitement qualifiés pour traiter correctement des questions de pacifisme et en toute connaissance de cause. Peut-être ne le savez-vous pas, mais deux des trois juges du tribunal de Yoni sont des officiers qui n’ont aucun diplôme universitaire et n’ont jamais assisté à un cours ni de droit ni de philosophie. Finalement, quand l’avocat de Yoni a souligné que les objecteurs de conscience ont toujours été poursuivis devant des cours civiles vous avez rétorqué en déclarant que Dreyfus ( !) avait été condamné par un tribunal militaire (et finalement acquitté par une cour civile…). Yoni n’avait aucune chance. Vous l’avez donné à l’Armée qui l’avait déjà condamné sept fois.
Yoni était assis juste en face de vous durant l’audience mais on n’a pas eu l’impression que vous l’ayez remarqué. Laissez-moi vous dire de petites choses à son propos. Son grand-père maternel Moshe a réussi à échappé à l’Europe nazie et est arrivé en Palestine juste à temps pour prendre part à la guerre d’indépendance d’Israël. Blessé, il a passé six mois à l’hôpital. Lorsqu’il était à l’hôpital, est né Szvi, son fils. Deux ans plus tard, est née Ofra, la mère de Yoni. Vingt ans plus tard, Svi, parachutiste, est tombé au combat. Le frère aîné de Yoni a reçu le même nom que lui. Lui aussi a servi dans l’armée. Quand le tour de Yoni est arrivé, il a tracé la ligne qu’il était décidé à ne pas franchir. Plus de guerre inutile. Plus de bains de sang.
Il peut paraître ironique que Yoni et vous aient étudié dans le même prestigieux établissement, la Hebrew University High School. Quand vous êtes venu dans cette école pour parler des droits de l’hommes il avait été profondément impressionné. Malheureusement, cette expérience l’a aidé à le mettre sur le chemin qui l’a conduit la semaine dernière devant votre Cour.
Vous donnez l’impression d’aimer l’image que vous donnez d’un juge incarnant les valeurs les plus respectées des droits de l’homme. Cela vous sert ici et à l’étranger, parmi vos pairs. Vous ne manquez jamais une conférence consacrée au sujet. A la dernière, la semaine dernière à l’Hebrew University, vous avez prôné devant notre Parlement (et je traduits le texte hébreu ) :
« La Knesset devrait établir haut et fort les principes d’égalité, de liberté d’expression, des droits de la défense, et de tous les autres droits humains civils, politiques et sociaux ». Je regrette profondément le fait que la Knesset ne le fasse pas.
Les annales de notre Cour Suprême, nous disent une histoire différente. Quand vous étiez en charge de juge, (comme Président depuis 1995), les Droits de l’Homme dans ce pays ont été sérieusement affaiblis. Votre Cour s’est honteusement pliée à chaque caprice des militaires. Des jeunes innocents ont été kidnappés au Liban pour servir de monnaie d’échange et votre Cour a approuvé. Des détentions administratives ont été imposée par milliers, mais vous avez repoussé tous les appels. Les assassinats ciblés qui ont emporté la vie de centaines de passant innocents, les cruels bouclages qui infligent des dégâts à des millions de Palestiniens (pour que des fanatiques Juifs puissent continuer avec la même énergie à célèbrer leursfêtes), la destruction inhumaine de la vie quotidienne de dizaine de milliers de familles – tout cela a été inlassablement légitimé par votre Cour.
Vous avez laissé aux généraux de l’armée les mains libres, sous une façade fallacieuse. Et quand quelques jeunes ont osé exprimer leurs scrupules de conscience devant ces exactions vous leur avez dénié le droit à se faire entendre correctement, leur droit minimum à une défense légale.
Yoni et ses amis, aussi jeune soient-ils, ont fait montre de leur humanité. Vous n’avez pas jugé utile de respevter leurs droits.
Respectueusement
Matania Ben-Artzi
PS : Au cours de la semaine des Droits de l’Homme en décembre dernier (oui, toute une semaine de célébration, pas seulement un jour) vous deviez venir au Van Leer Institue avec le Procureur militaire, le général Finkelstein. A cette occasion Ofra et moi avons distribué un tract aux participants. Je le joins ici pour information.
Aharon Barak et Menachem Finkelstein,
Vous célébrez ici aujourd’hui la « Semaine internationale des droits de l’Homme » – un festival hypocrite et supérieur. Cette même semaine : des millions de gens sont soumis à une occupation cruelle et brutale.
VOUS DONNEZ A CA UNE FACADE DE JUSTICE ET DE CLARTE ;
Cette même semaine : plus de sept mille personnes sont enfermées dans des camps de détention, privées des conditions humaines minimales. Ils n’ont jamais comparu devant une cour de justice.
VOUS EN ETES RESPONSABLES
Cette même semaine et depuis des années, la brebis du pauvre est volée par un démon, une main qui recherche la guerre. A travers les champs de Samarie, les chiens lèchent le sang de Naboth
VOUS NE LES AVEZ JAMAIS ARRËTES
La même semaine :VOUS avez jeté en prison des garçons aux yeux clairs et au cœur pur. Leur unique péché était qu’ils ont écouté leur conscience. VOUS savez que vous ne ferez jamais taire leur voix. VOUS savez qu’ils gagneront.
Les Chroniques de l’Humanité vous le diront.
Quand le prophète Isaïe a dit « Il a passionnément cherché la Justice, mais voyez, c’est un bain de sang ! Pour le droit, hélas, je pleure de détresse IL PARLAIT DE VOUS
VOUS N’ECHAPPEREZ PAS AU JOUR DE LA PUNITION ;
« POUR FAIRE TRIOMPHER LE MAL IL N’EST BESOIN QUE LES HOMMES BONS NE FASSENT RIEN» ( Edmund Burke)
« Le monde repose sur trois piliers : La vérité, la justice et la paix. Et ces trois piliers ne sont qu’un. Quand la justice est respectée, la justice est respectée, la paix est respectée (Rabbin Shimon Ben Gamliel, sage du Talmud )
(CS)