URL has been copied successfully!
Header Boycott Israël

LETTRE OUVERTE DE THEO KLEIN A ARIEL SHARON

URL has been copied successfully!
URL has been copied successfully!
Partagez:

25 avril – Ancien Président du CRIF, avocat, Théo Klein souligne, dans une lettre ouverte à Ariel Sharon, combien la politique dite sécuritaire de ce dernier a failli. «Quant à la sécurité, vous avez vous-même prouvé l’incapacité de l’armée à éradiquer le terrorisme. L’armée peut capturer, abattre des terroristes ; mais quand le terrorisme traduit la volonté de survie d’un peuple, il ne peut être combattu qu’en accordant sa dignité à ce peuple », écrit-il notamment.


Monsieur Sharon, à vous maintenant…, par Théo Klein
LE MONDE
Monsieur Ariel Sharon,

Je vous ai écrit, le 23 octobre 2002, j’attirais votre attention sur l’urgence de définir les objectifs politiques d’Israël et, plus particulièrement, ses limites territoriales, c’est-à-dire, aussi, le mode de relations proposé avec les Palestiniens et les Syriens, puisque avec les autres voisins les limites me paraissent acquises et acceptées.

C’était avant les récentes élections, et j’attirais en particulier votre attention sur la perte de légitimité que vous alliez subir.

Vous avez été, certes, réélu – je ne l’excluais pas -, mais seulement comme chef du Likoud. Vous avez perdu une part de cette légitimité tirée, en 2001, de votre élection au suffrage direct par plus de 60 % des électeurs. Cependant, vous voilà à nouveau à la tête du gouvernement d’Israël – hélas, un gouvernement incapable de définir en commun une perspective politique.

Cela vous donne sans doute une large capacité de manœuvre que vous comptez utiliser, avec l’appui du président des Etats-Unis d’Amérique, pour aboutir à un compromis que vous tenterez d’imposer, contre certains de vos ministres, en ralliant à cette solution des députés du parti Avodah.

Personne n’est en mesure de prévoir ce que seront les conséquences, à moyen et long terme, de la guerre en Irak. Peut-être allez-vous participer à une « redistribution des cartes » ; peut-être l’aurez-vous simplement souhaité, sans que les Américains ne vous le permettent. Toutes sortes d’hypothèses peuvent être formulées. Aucune ne changera la réalité profonde pour l’Etat d’Israël : il est situé au Proche-Orient, entouré de pays adhérant à la Ligue arabe. J’évoque à dessein la Ligue arabe pour ne pas avoir à distinguer entre les pays qui entourent la terre d’Israël. Elle se réunit unanimement, pour traiter des problèmes intéressant Israël et les Palestiniens. Elle a même, à Beyrouth, évoqué une large ouverture possible.

Je souhaite attirer particulièrement votre attention aujourd’hui sur la nécessité impérieuse de faire entrer Israël dans une politique d’intégration dans sa région géographique, et donc de chercher à établir des liens de voisinage paisibles. Aucun tank, aucun bulldozer, aucun hélicoptère, aucun assassinat ciblé, aucune destruction de demeure n’abolira cette réalité : les Palestiniens sont nos voisins.

Ce n’est pas une question de sympathie ou de préférence ; mais l’élément fondamental dans toute réflexion politique puisque, quel que soit le tracé des frontières, ce seront toujours les mêmes peuples qui nous entoureront, et avec lesquels le sionisme a voulu que nous revenions cohabiter.

C’est avec les Palestiniens que nous devons établir des liens politiques, économiques et culturels. C’est avec l’ensemble des pays voisins que nous devons établir ou raffermir des liens diplomatiques. C’est la société civile qui bâtira la paix ; l’armée ne peut ensuite que défendre sa pérennité.

Quant à la sécurité, vous avez vous-même prouvé l’incapacité de l’armée à éradiquer le terrorisme. L’armée peut capturer, abattre des terroristes ; mais quand le terrorisme traduit la volonté de survie d’un peuple, il ne peut être combattu qu’en accordant sa dignité à ce peuple.

C’est pourquoi, malgré, voire à cause des combats, il est urgent de faire connaître les objectifs d’Israël. Et de les faire comprendre, pour pouvoir les faire respecter et nous faire respecter nous-mêmes ; alors qu’aujourd’hui, à travers le monde, notre peuple est rejeté parce qu’il rejette un autre peuple. Après plus de cinquante ans, nous en sommes au point crucial de notre destin politique : notre capacité de trouver, ou non, une relation équilibrée et normalisée avec le peuple palestinien et nos autres voisins.

J’exclus toute idée d’éradiquer, de quelque manière que ce soit, la volonté d’existence et d’indépendance de ce peuple auquel nous avons nous-mêmes apporté la preuve que la respectabilité nationalement et internationalement s’acquiert par la volonté et, au besoin, le combat. Comme nous naguère, eux savent ce que signifie être oppressés, dédaignés et savent le prix de l’espérance.

Le temps est venu pour Israël de dire ce qu’il veut. C’est votre devoir impératif, en qualité de chef du gouvernement. Aucun gouvernement israélien n’a eu la clairvoyance de comprendre – ou le courage politique de prendre en considération – qu’un pays fort, sûr de lui-même, ne se laisse jamais entraîner à subir des pressions extérieures et à se laisser dicter ce qu’il doit avoir le courage de décider lui-même. L’Etat d’Israël ne doit pas être un Etat ghetto soumis à la malveillance ou même à la bienveillance d’une souveraineté extérieure. Israël doit établir son avenir lui-même, dans la perspective d’une relation paisible et équilibrée avec ses voisins.

Notre chance, ce sont les Palestiniens. Ce peuple est en train de se construire lui-même, à notre exemple, et il doit devenir notre allié naturel, pourvu que nous sachions lui dire nos regrets du passé et nos espoirs communs pour l’avenir.

Aucune excuse ne peut être tirée des attentats-suicides pour échapper à cette obligation. Depuis 1967, rien d’autre n’a été fait par les gouvernements successifs que de vouloir gagner du temps. Pendant plus de vingt ans, il n’y a pas eu d’attentats. Mais il n’y avait pas non plus une prise de conscience du problème palestinien. Que nous ayons été aveugles si longtemps ne nous autorise pas à attendre des Etats-Unis le dénouement d’un problème auquel nous avons le devoir de proposer une solution.

Il est extrêmement urgent de reconnaître, enfin, l’existence et le droit à l’indépendance des Palestiniens, aux côtés d’un Israël respecté et indépendant. N’attendez pas l’intervention du Grand Médiateur. Celui-ci risque de faire peser sur vous les conséquences de ses grands choix stratégiques. Vous avez cru – vous croyez peut-être encore – au « Grand Israël ». Mais vous n’avez jamais expliqué quelle serait la possibilité de créer un grand Israël démocratique, dans un espace géographique où les juifs seraient minoritaires.

Ni les Palestiniens ni les Israéliens ne sont mûrs, aujourd’hui, pour un grand Etat démocratique et profondément laïque où la langue, la culture juive et l’enseignement dont nous sommes porteurs pourraient cohabiter avec une population majoritairement non juive. C’est pourquoi il faut sur cette terre commune une ligne de partage des souverainetés, que les Palestiniens d’un côté, les Israéliens de l’autre, y vivent chacun pleinement leur indépendance nationale.

Mais il y a un autre impératif qui pourrait construire la paix : la terre commune est trop étroite et pas assez riche en énergies naturelles pour disperser les efforts fondamentaux. Il faut y développer des infrastructures communes : des réseaux d’énergie, de communication, sans doute avec le temps des réseaux économiques complémentaires. Il faudra fédérer les moyens et coordonner les effets. Jérusalem, alors, pourra être la capitale des deux Etats et le lieu fédérateur.

Oui, Ariel Sharon, vous êtes aujourd’hui – malgré moi, je le reconnais – le porteur du destin d’Israël. Vous pouvez continuer de vous entêter à vouloir la sécurité avant la paix ; vous n’aurez, alors, ni l’une ni l’autre. Vous devez, au contraire, puisque vous avez une armée puissante pour assurer la sécurité du territoire d’Israël, proposer au nouveau chef du gouvernement palestinien, dès qu’il aura formé son gouvernement, d’ouvrir sans condition préalable une négociation ouverte, pour discuter de vos objectifs et examiner les siens. Peut-être faudra-t-il aussi reconnaître nos erreurs, nos bavures, nos excès, notre propre violence, pour les conduire à abandonner les leurs.

C’est à vous, le général vainqueur, d’aller de l’avant ; à vous de cueillir la rose et de l’offrir à votre nouvel interlocuteur, Abou Mazen. Mais, je le crains, vous ne saurez pas le faire parce que vous restez enfermé dans un raisonnement qui confond sécurité et domination. Croyez-vous qu’un peuple puisse accepter la patrie de bantoustans que vous lui proposez ? Accepteriez-vous que les frontières d’Israël soient surveillées par un gouvernement étranger ? Ne comprenez-vous pas que le Palestinien a le même droit à l’indépendance que l’Israélien ? Comment pouvez-vous demeurer dans le mépris, vous qui prétendez agir avant tout comme juif ? Auriez-vous oublié la blessure du mépris ?

Voilà deux ans que vous n’avez su ni assurer pleinement la sécurité ni préparer la paix ; deux ans d’inaction politique avec, comme seul résultat, l’éloignement d’Arafat, au prix de combien de morts et de blessés israéliens et palestiniens ? Peut-être reste-t-il dans votre impétuosité naturelle, et dans le souvenir que vous avez gardé du grand Ben Gourion, une ardeur suffisante pour que vous entrepreniez – enfin ! – de tracer la route de la paix. L’histoire vous y attend. Nous aussi.

Bekavod rav (respectueusement).

Théo Klein

Partagez: