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SOUS LES FEUX DE LA HAINE (Par Silvia CATTORI)

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4 mai – Il faut obligatoirement passer par Kalandia pour se rendre à Jenine. Il faut prendre un « taxi service », à la sortie du checkpoint qui sépare Ramallah de Jérusalem et ferme la route.


J’ai pris la dernière place dans le petit bus. Cap sur Jenine. J’ai jeté un regard sur mes huit compagnons de route. Des hommes jeunes, discrets, timides. Le chauffeur s’apprêtait à démarrer, quand tout à coup, une jeep de la police a surgi, suivie d’une autre munie d’un mégaphone, d’où on entendait crier, en arabe, que personne ne devait plus bouger d’un iota. Des foules de Palestiniens se croisent en silence, à cet endroit immonde, jamais nettoyé. Je vois des policiers, israéliens bien sûr, qui prennent les pièces d’identité à tous les hommes, dans une fourchette d’âge supposée. Pas un homme ne se rebiffe. Les pièces d’identité collectées avec une déconcertante facilité, les policiers sont allés se planquer dans leur véhicule blindé. Les hommes, privés de leurs papiers, mais dignes, étaient forcés de rester parqués sous la pluie, à attendre que leurs papiers leurs soient rendus, pendant que les soldats, irrespectueux, riaient de cette nouvelle humiliation. Allaient-ils être arrêtés, relâchés ?
En une année des dizaines de milliers de Palestiniens ont été kidnappés, comme ça, de façon illégale, jetés en prison. Durant l’ère Sharon, quelques 35000 ont été emprisonnés pour des périodes plus ou moins longues, ai-je appris l’autre jour. 7500 d’entre eux sont toujours enfermés. Que ressentaient-ils à l’intérieur d’eux mêmes, tous ces hommes, qui ne laissaient rien filtrer ?

Le voyage fut fascinant et pénible tout à la fois. Fascinant par l’accueil spontané et chaleureux que mes compagnons de voyage m’ont réservé. Pénible, par l’amertume qui accompagnait ces hommes chassés en leur terres. On ne voit quasiment jamais de Palestiniens sur les routes. Cela vous donne une idée de l’efficacité du bouclage. On ne voit que véhicules de colons juifs et de militaires qui arborent les drapeaux israéliens.

A l’approche d’un checkpoint en rase campagne, check qu’ils semblaient redouter fort, les Palestiniens se tenaient prêts à montrer leurs papiers. Leurs gestes sont devenus lents. Leurs yeux sont devenus tristes. Leurs visages se sont figés. Ils sont sortis du bus les bras haut au dessus de la tête, tels des vaincus. Je savais cette chose-ci : que je ne devais pas dire aux soldats que j’allais là où je voulais aller (…) Jenine était fortement suspecte aux yeux de ces obsédés. Donc, celui qui voulait y aller, mal intentionné. J’étais encore dans le bus quand les soldats ont fait signe aux hommes de se déshabiller. Ils se sont immédiatement exécutés. Sauf un. Ils ont enlevé leur veste et leur chemise et descendu un bout de leurs pantalons avec gêne. Pendant qu’un soldat s’approchait d’un air hostile, les autres pointaient les canons. Les hommes ne quittaient pas du regard le soldat. Il y avait une force dans ce regard, mêlée d’humilité. Une force magnétique. J’ai croisé le regard de l’homme buté. J’ai compris qu’il ne cèderait pas. Peut-être même qu’il avait eu ce sursaut de bravoure, parce que j’étais là. Il n’était pas mauvais a mon adresse. Ils cherchait même à gagner ma sympathie. Quand celui-ci a fait des gestes de menace avec son arme, demandé à ses acolytes d’embarquer l’homme buté, j’ai tiré sur cette unique corde, pour puiser au tréfonds de son cœur un semblant d’humanité. Je ne sais pas pourquoi peu a peu, un air de détente a circulé. Au moment de la fouille une petite boite en carton peinte a intriguée le soldat qui s’est reculé, comme s’il craignait Dieu sait quoi, puis a ordonné à son propriétaire de l’ouvrir. Il en ait sorti un minuscule poussin. Nous étions à l’approche de Pâques. Le soldat, avait l’air bête. Le Palestinien, avec son oisillon, avait réussi, en l’espace d’une seconde, à désarmer le soldat. Cela a grandement détendu l’atmosphère. Quand le bus est reparti, chacun est rentré dans une espèce de contentement de soi.

A l’approche de Jenine j’ai senti mes voisins comme sur des charbons, aux aguets. Le chauffeur, un être que j’ai appris à aimer en ces minutes angoissantes, glanait des renseignements ici ou là. J’ai compris que nous étions dans une zone ou patrouillait l’armée. Cela n’a pas tardé. Quand le chauffeur a aperçu de loin un tanks, et des soldats en position de tirs, avant même que ces derniers lui ordonnent quoi que ce soit, il a coupé le moteur, est sorti du bus, bras levés, nos papiers en main, chemise ouverte. Il s’avançait doucement. A sa démarche j’ai compris que la peur le tenaillait. Ici ce n’était pas un check, c’était quelque chose d’encore plus terrible. C’était un de ces lieux de mort et d’arbitraire, comme il doit y en avoir beaucoup en Palestine. Voila pourquoi l’on ne voyait pas grand monde. Jenine était donc toujours maintenue en état de siège. Et ses enfants ne pouvaient ni entrer ni en sortir, sans risquer leur vie. C’était intolérable. Ici les soldats n’étaient plus les membres d’une armée mais des tenants d’un gang, des gangsters. Parmi les ID, il y avait mon passeport. Les soldats savaient désormais qu’il y avait un non Palestinien à bord. Leur ton était très menaçant, leur gueules peu rassurantes. Le chauffeur les scrutait d’un air apeuré. Voila un homme qui faisait si bien son travail, qui se battait chaque jour sur la route pour gagner de quoi amortir son bus presque neuf et de quoi nourrir sa jeune famille, qui était forcé à vivre sous la menace permanente de cette soldatesque. Et les autres qui étaient comme lui des travailleurs, qui rentraient voir leur famille à Jenine, parce que jeninois, ils devaient eux aussi s’écraser, accepter l’idée qu’on leur tire éventuellement dessus, se sentir menacés dans leur intégrité, menacés dans leur identité, menacés dans leur personne physique chaque fois qu’ils mettaient le nez dehors ? Mais tout cela était inadmissible. Pourquoi le monde ne comprend pas qu’il y a obligation morale à protéger les Palestiniens contre les abus de l’occupant et ses escadrons de la mort ?

Ils se sont comportés de manière obscène. Ils nous ont fait tous descendre. Ils ont jeté nos effets sur la chaussée. Ils ont lancé des coups de pieds. Les Palestiniens les regardaient sans rien dire, sans lever le petit doigt, l’air de se demander jusqu’où iraient-ils cette fois, en la présence d’une étrangère ? A ce moment-ci j’ai compris que ces hommes-machines conduits par la haine de la race qu’ils avaient pour mission d’éradiquer, dressés à faire le mal pour le mal, n’avaient plus de gardes fous. Et que pour cela, ils étaient très dangereux. Tout s’est arrangé puisqu’ils nous ont fait signe de partir. Après quoi nous sommes devenus muets. La tension avait été grande. Elle avait absorbé toute notre énergie.

Au moment de la séparation, ils ont cru bon de dire, que je leur avait rendu un fier service. Je les ai vu rentrer dans leur pauvres foyers, avec un pincement de cœur. Leur vie est incertaine. Et demain nous ne sommes plus là. A peine avais-je atterri à Jenine que j’ai vu les tanks et autres véhicules effrayants arriver. Les soldats, invisibles, se sont mis à tirer à balles réelles sur les gens qui avaient le malheur de se trouver dans la ligne des canons ; puis à jeter des grenades assourdissantes, des grenades asphyxiantes. C’était la panique. Les ambulances hurlaient. Les gens hurlaient. C’était terrifiant. Ensuite, par hauts parleurs, ils ont annoncé le couvre feu. Devant leur cruauté, devant leur capacité destructive, on ne peut que s’insurger et se demander quand les hommes d’Israel cesseront-ils d’envahir tous leurs lieux de vie aux Palestiniens ? Quand ?

Jenine, toute couverte d’un voile épais de poussière blanchâtre, que les vents contraires soulèvent par vagues, fait mal à voir. Tout est encore plus désolé et plus dévasté que l’an passé. C’est irrespirable là dedans. Alors qu’il eu fallu que l’Occident vole à son secours, rien ; tout est resté en l’état. Ainsi plus de 4000 Palestiniens, jetés à la rue après la destruction de leurs maisons, en avril 2002, sont toujours en pleine déroute.

J’ai trouvé Tobias, un membre de l’ISM, qui est basé à Jenine depuis bientôt six mois, assez démoralisé. En fin de visa, il ne se résigne pas à l’idée de devoir s’en aller. Il s’est attaché à la population, il se sent très concerné par son état de détresse. Tobias se trouvait à côté de Brian Avery, 24 ans, de nationalité américaine, quand les soldats, avec leurs armes de guerre, lui ont arraché plus de la moitié du visage. Brian a déjà subi opérations sur opérations, gardé un moral d’enfer, même s’il devra rester encore une année à l’hôpital de Haifa pour continuer de se faire opérer. Sur la violence croissante de l’armée contre les internationaux, la dureté de la vie ici, Tobias répond doucement : « C’est horrible ce qui se passe ici. Les Palestiniens portent un lourd fardeau. Je ne fais que porter ma part du fardeau. Ma souffrance, après les mois passés ici, n’est rien en comparaison de ce que les Palestiniens ont subi au quotidien en 36 ans d’occupation. Ce sont pour eux 36 années de souffrances continues. Je voudrais rester ici. Je veux faire partie de ce mouvement, même si parfois devant la gravité de la situation, le sentiment d’impuissance m’étouffe. » Tobias âgé d’à peine 30 ans, est réservé, réfléchi. Tout le monde sait à l’ISM, que l’on peut compter sur lui. Il est même, un élément essentiel de la chaîne. Sur son pays, la Suède, son avenir, il répond très posément : « Suédois ou Palestinien, cela ne fait pas de différence pour moi. D’où que l’on vienne, quand l’on croit en quelque chose, l’on peut tous contribuer, chacun à sa manière, à changer la vie » . Sur la mort qui entoure le quotidien ici, Tobias dit gravement : « Je suis assez affaibli en ce moment. Aussi je vois l’heure de mon départ forcé, arriver avec angoisse. Ce que nous pouvons éprouver ici, n’est rien à côté de ce que les Palestiniens endurent. Oui, je pense que les mort et les blessés m’ont marqué. J’ai vu de mes yeux 38 personnes tuées. Je ne serais pas humain si je disais que cela ne m’a pas affecté. Cela dit, j’aimerais dire que toute personne qui vient ici peut contribuer à changé les choses. J’apprécie et j’admire les volontaires qui, après s’être engagés ici, vont informer ensuite le monde, témoigner de ce qu’ils ont vu. » Sur la générosité de la population Tobias s’exprime avec une émotion à peine contenue : « A Jenine les gens sont pauvres. Ils ont fait des collectes pour envoyer des livres scolaires aux Irakiens. Ils ont souffert quand ils les ont vu sous les bombardements américains. Cela les a beaucoup démoralisés de voir leurs grands frères défaits. » Ici Tobias s’est levé de sa chaise. Il a entendu le bruit des chars. Il est allé voir à la fenêtre de quel côté ils venaient, comme chaque soir. Puis nous avons vu les hélicoptères et les avions survoler Jenine. Et ces boules de lumières aux infra rouges, suspendues en plein ciel, qui éclairaient la nuit comme si nous étions en plein jour. Et nous nous sommes sentis très en peine pour les Palestiniens, que ces machines lancées à leur chasse, visaient.

Silvia Cattori
Avril 2003
Palestine occupée

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