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TRIBUNE : « UNE FEUILLE DE ROUTE POUR PERPETUER LE STATU QUO »

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29 juin – Voici l’analyse du mécanisme de la « Feuille de Route », publiée à titre de tribune libre par Meron Benvenisti dans le quotidien Ha’aretz du 19 juin 2003 (traduction Carole Sandrel)


Une feuille de route pour perpétuer le statu quo
Par Meron Benvenisti

Apparemment le principe de « deux états pour deux peuples » et le principe de souveraineté nationale ont gagné. Mais, en fait, ce qui est proposé est un régime de cantons ethniques à l’intérieur d’une unité géopolitique comparable à l’ancienne Afrique du Sud, dans laquelle le lien entre terre et nationalisme n’est garanti qu’à la nationalité juive et dominante ;

Il est impossible de séparer la feuille de route, ses formules et ses définitions de la réalité politique et militaire en cours dans les territoires occupés et qu’elle cherche, en apparence, à changer. Deux symboles de cette réalité : les colonies (« avant- postes ») et les checkpoints. Les deux ont pour fonction de peindre les zones libres de la Cisjordanie aux couleurs juives.

Les colons s’efforcent d’établir des zones de contrôle pour garantir la continuité « juive » entre leurs colonies et pour morceler la continuité des villes et villages palestiniens.

C’est pourquoi ils établissent des avant-postes, des stations d’essence, des zones industrielles et des routes de contournement. Sachant qu’ils sont minoritaires dans leur environnement immédiat, ils font confiance aux Forces israélienne de défense – leur milice militaire – pour rendre les choses difficiles et pour qu’il soit évidemment impossible aux Palestiniens d’utiliser la force de leur avantage démographique, l’armée garantissant que les masses humaines restent bouclées dans leurs camps. Ce territoire restera néanmoins sous contrôle juif, puisque seuls les liens juifs avec le territoire sont légaux ; on sait bien que c’est l’essence du sionisme.

Les avant-postes ne sont pas une manifestation politique hostile au gouvernement et les checkpoints n’ont rien à voir avec la réalité de la sécurité. Ils sont les symboles du contrôle, et entre eux, s’il y a de la place, un Etat palestinien provisoire est supposé pouvoir s’établir. Il n’y a pas de lien entre cet état et le territoire palestinien, national et souverain . Le premier ministre prétend, acclamé par la gauche, que l’occupation doit finir, mais il annonce aussitôt qu’il voulait parler de l’occupation d’un peuple, non celle du territoire. Le peuple, coupé de sa terre, gagnera une libération nationale faite de cantons qui leur seront octroyés au-delà du « mur de séparation » et leur « continuité territoriale » s’accomplira par le biais de ponts et tunnels.
« l’Etat » qu’on établira sera d’une essence totalement inédite : sa « souveraineté » sera éparpillée, privée d’infrastructure physique, sans aucune ouverture directe sur le monde extérieur, et limitée à la hauteur de ses bâtiments résidentiels et à la profondeur de ses tombes. L’espace aérien et les ressources en eau resteront sous souveraineté israélienne. Les patrouilles d’hélicoptère, le contrôle du réseau hertzien, les mains sur les pompes à eau et les interrupteurs électriques, les laissez-passer pour entrer et sortir, les marchandises qu’on passe « dos à dos », tout cela va recevoir l’agrément des inspecteurs de la feuille de route.

A l’évidence, cette contribution israélo-américaine à la science politique est très particulière, de même qu’à la définition de souveraineté nationale et au partage de la Terre Sainte qui ont valu à Ariel Sharon l’éloge appuyé du président Bush « pour son exercice du pouvoir et son engagement dans la construction d’un futur meilleur pour les Palestiniens ». Et tout cela se produit, évidemment, à la condition que les Palestiniens soient reconnaissants et paient de retour.

Sharon fait aussi l’objet d’insultes de la part des colons, parce qu’il « trahit la cause » même si les leaders du mouvement des colonies savent que la feuille de route rend permanentes leurs entreprises territoriales. La gauche est hors d’elle en raison de ce rival idéologique qui a finalement adopté ses positions comme si cette caricature ridicule d’un Etat palestinien décapité et sans pieds, ni futur, ni aucune chance de développement, était l’accomplissement de l’objectif de symétrie et d’égalité incarnés dans ce vieux slogan « deux Etats pour deux pays ».

La feuille de route ne mènera nulle part parce qu’une solution basée sur le lien entre territoire et identité ethnique – en vigueur jusqu’à il y a environ vingt ans – ne peut pas s’appliquer et que toute tentative pour la mettre en place ne fera que compliquer le problème au lieu de le résoudre. On doit maintenant en trouver la clef ailleurs, dans un champ qui n’a rien à voir avec la division géopolitique en tant qu’idéal national. La feuille de route sera apparemment le dernier projet à se référer au partage – ou au besoin d’un lien entre identité et territoire – en tant que seule solution. Les ignorants de la droite et les aveugles de la gauche vont prendre cela pour une défense du « Grand Israël » et vont examiner des propositions alternatives selon leurs comportements habituels. Mais le seul choix qui reste se situe entre l’administration par une minorité juive d’une majorité arabe dépourvue de droits civils ou un cadre de gouvernement multiculturel, qu’on appelle habituellement « état binational ». La feuille de route et tout ce qui s’appuie sur la « séparation » sont tout simplement des rêves pour perpétuer le statu quo.

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