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«L’ETAT BI-NATIONAL OU LE LOUP ET L’AGNEAU DANS LA MEME BERGERIE»

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Nous publions un article de Uri Avnery, envoyé le 12 juillet 2003, dans lequel le dirigeant de Gush Shalom explique pourquoi il est opposé actuellement à la revendication d’un Etat bi-national, considèrant qu’il s’agit d’une fuite en avant qui détourne de la
lutte à l’ordre du jour pour deux Etats, un israélien et un palestinien. NOTE : au 18ème paragraphe, nous avions initialement traduit, par erreur, les termes « American Jewry », par « Juiverie internationale ». Merci lire, en lieu et place de cette expression, les termes « Le lobby juif américain ». Reste sans changement.


13 juillet – «Le loup habitera avec l’agneau», prophétisa Isaiah (11 :6). C’est également possible actuellement, mais à condition de fournir un nouvel agneau chaque jour. C’est cette cruelle plaisanterie qui me vient à l’esprit à chaque fois que j’entends parler d’un Etat bi-national.

Dans toutes les époques désespérées, les idées messianiques prospèrent. Elles permettent de s’évader d’un présent lugubre vers un monde meilleur, plus intelligent; d’un sentiment d’impuissance vers un esprit de création.
Rien d’étonnant donc que par les temps qui courent, l’idée d’un Etat bi-national reface surface dans des cercles de gauche. C’est une belle et noble idée, imprégnée de foi en l’humanité. Mais, tout comme la prophétie d’Isaiah, c’est une idée pour le temps du Messie. Si elle a des chances de se concrétiser, ce ne peut être avant deux ou trois générations. Entre temps c’est une manière de fuir la réalité. Une fuite dangereuse, comme nous le verrons.

Selon l’idée d’un Etat bi-national, les territoires compris entre la Méditerranée et le Jourdain – Palestine / Eretz Israel – ne constitueront qu’un seul Etat comme à l’époque du mandat britannique, avant 1948. Israéliens et Palestiniens, Juifs et Arabes, vivront ensemble, en tant que citoyens égaux. La forme exacte de ce régime – bi-national ou non-national- étant secondaire.
Tous les citoyens voteront pour le même parlement et le même gouvernement, serviront dans la même armée et dans la même police, paieront les mêmes impôts, enverront leurs enfants dans les mêmes écoles, utiliseront les mêmes livres. Une idée très attirante, à dire vrai.
Il pourrait paraître étrange que cette vision idéaliste réapparaisse maintenant, après qu’elle a échoué dans le reste du monde. L’union soviétique multi-nationale a disparu et même l’actuelle fédération multi-nationale de Russie risque de s’écrouler (voir la Tchétchénie). La Yougoslavie s’est désintégrée, de même que la Bosnie recollée artificiellement par des forces armées étrangères. La Serbie a été contrainte d’abandonner le Kosovo, et l’intégrité de la Macédoine est douteuse.
L’unité du Canada est menacée depuis longtemps par sa population francophone. Chypre unie avec sa constitution modèle en tant qu’Etat bi-national n’est plus qu’un souvenir. Et la liste pourrait être allongée avec l’Indonésie, les Philippines ou le Liban.

Mais il n’est pas utile d’aller chercher ailleurs. Notre propre réalité est suffisante. Les racines immédiates du conflit israélo-palestinien remontent à plus de 100 ans. Une cinquième génération a vu toute sa structure mentale façonnée par ce conflit. Fondamentalement il s’agit d’un choc entre le mouvement sioniste et le mouvement national arabo-palestinien. Après une centaine d’années on ne peut pas dire que la force du sionisme soit épuisée. Son credo essentiel – expansion, occupation et colonisation — est en plein essor. Du côté palestinien, le nationalisme (y compris dans sa version islamique) se renforce, et chaque martyr supplémentaire y contribue. Il faut vraiment avoir la foi pour penser que ces deux peuples nationalistes vont renoncer à l’essence de leurs espoirs et passer du combat à la paix totale, renoncer à leur histoire nationale pour vivre ensemble en tant que citoyens supra-nationaux.

Chacun doit se poser ces trois questions essentielles :
1. Est-ce que les deux parties accepteront cette solution ?
2. Est-ce qu’un tel Etat bi-national peut fonctionner ?
3. Est-ce que cela mettra un terme au conflit ?

Ma réponse aux trois questions est « non ».

Il n’y a aucune chance pour que la génération israélienne actuelle post-holocauste ou celle qui lui succèdera accepte une telle solution, qui est en contradiction totale avec les mythes et les fondements d’Israël. L’objectif des fondateurs de l’Etat d’Israel était que les Juifs ou au moins une partie d’entre eux prennent enfin leur destinée en main. Un Etat bi-national représente l’abandon de cet objectif, et dans les faits le démantèlement de l’Etat d’Israel lui-même. Les Juifs en reviendraient à l’expérience traumatisante d’un peuple sans Etat, avec tout ce que cela implique. Et non pas après une défaite militaire écrasante mais en fonction d’un choix. Pas très probable.
Et pour les Palestiniens ? Certains Palestiniens évoquent un Etat bi-national, mais j’ai du mal à croire que pour certains d’entre eux cela ne recouvre en fait la destruction de l’Etat d’Israel, et pour d’autres une négation de l’amère réalité et un refuge dans le rêve de retourner dans leurs maisons et villages d’autrefois. Mais la grande majorité des Palestiniens veut vivre dans un Etat qui soit enfin le sien, un Etat qui exprime son identité nationale, sous son drapeau et son gouvernement, comme tous les autres peuples.

Un tel Etat bi-national, s’il voyait le jour, pourrait-il fonctionner ?
Pour qu’il puisse fonctionner, il faut que les deux parties renoncent à leur identité nationale ou qu’elles exercent des pouvoirs économiques et politiques égaux.
Or nous assistons exactement à l’inverse dans ce pays. Un fossé d’inégalité sépare les Israéliens et les Palestiniens quasiment dans tous les domaines. Dans un Etat commun, les Juifs domineraient l’économie et la plupart des autres fonctions étatiques, pour essayer de préserver leur situation actuelle. Et cet Etat bi-national, au jour d’aujourd’hui, ne serait qu’un régime d’occupation d’une forme nouvelle, cherchant à masquer la réalité de l’exploitation comme de la répression économique, culturelle et probablement politique. La situation des Arabes israéliens en Israel, au bout de 55 ans, est à cet égard peu encourageante.

Les tenants d’un Etat bi-national savent tout cela bien entendu. Et pour échapper à la contradiction entre leur vision et la réalité, ils ont développé la théorie suivante :
Au début, cet Etat commun aura effectivement des aspects d’apartheid. Mais la situation changera progressivement. Peu à peu les Arabes deviendront majoritaires démographiquement à l’intérieur de cet Etat. Et cette majorité palestinienne se battra pour l’égalité des droits. Le monde la soutiendra, comme il a soutenu la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud. Et c’est ainsi que nous parviendrons à un Etat réellement égalitaire.

Ceci n’est qu’une douce illusion. Les Blancs racistes d’Afrique du Sud étaient détestés du monde entier. Contrairement aux Israéliens juifs, ils n’avaient aucune base de soutien solide. Le lobby juif américain exerce un pouvoir politique, économique et médiatique immense, et elle ne le perdra pas avant un bon nombre d’années. Israël continue à s’appuyer sur les sentiments de culpabilité –et compte bien continuer ainsi pendant un petit moment- ressentis par le monde chrétien après l’holocauste.
Parallèlement, les Arabes deviennent de plus en plus les «empêcheurs de tourner en rond» aux yeux du monde occidental. Il va être très difficile pour la communauté internationale d’exercer des pressions sur les Juifs qui domineront cet Etat bi-national. Cela prendra des générations, et pendant ce temps-là les colonies s’étendront sans cesse. Dans un Etat bi-national, il est convenu que chaque Juif pourra s’installer là où il l’entend. Les Palestiniens ne cesseront de perdre au plan économique, le fossé entre les deux peuples ne fera que s’élargir. Et la lutte pour le pouvoir s’accompagnera bien entendu de violences.
Ma conclusion est la suivante : il faut deux peuples pour deux Etats. Ce qui permettra aux sentiments nationaux des deux peuples d’être canalisés de manière constructive vers la coopération et la réconciliation.
La structure politique indépendante de l’Etat de Palestine pourra disposer de barrières nationales et internationales pour empêcher son voisin, bien plus puissant, d’exploiter les Palestiniens ou de les chasser.
Le passé récent a montré combien cet objectif était difficile à atteindre. Il faut encore surmonter la haine, la peur, les mythes et les préjugés. Mais ceux qui se désespèrent devant ces obstacles et adoptent de ce fait la vision incantatoire de l’Etat bi-national, font penser à un sportif qui ne serait pas capable de courir le 100 mètres et qui se rabattrait sur le marathon.
En outre cette revendication est dangereuse dans la mesure où elle effraie la grande majorité des Israéliens qui acceptent peu à peu l’idée de deux Etats ; cela ne fait qu’aiguiser leurs angoisses existentielles et les rejeter dans les bras de l’extrême-droite.
Certains des nouveaux avocats de l’Etat bi-national avancent un argument curieux. Ils disent :
« Sharon affirme être en faveur de deux Etats, mais il a en vue quelques enclaves représentant moins de 50 % des territoires occupés. Par conséquent, nous ne devons pas soutenir la solution d’un Etat Palestinien ».
La réponse est : devons-nous renoncer à une bonne idée simplement parce que les ennemis de la paix la pervertissent et essaient de la détourner à leur profit ? La logique voudrait que l’on fasse le raisonnement opposé : dénonçons les manigances de Sharon et luttons pour un Etat palestinien dans les frontières d’avant 1967.
Et ce n’est pas pour autant que nous devons accepter le terme de «séparation». Nous parlons de deux Etats avec une frontière commune ouverte, une libre circulation des personnes et des marchandises (en fonction d’accords entre les deux Etats). Et je suis intimement convaincu qu’une telle situation conduira progressivement à une fédération et peut-être par la suite à une communauté régionale comme celle de l’Union Européenne.
Peut-être même que plus tard une génération décidera de vivre dans un seul Etat, mais aujourd’hui une telle propagande nous écarte de l’objectif immédiat, « deux Etats pour deux peuples », une idée désormais acceptée par le monde entier et pour laquelle nous devons continuer à nous battre.
(traduit de l’anglais par Olivia Zémor)

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