13 septembre – Yitzhak Frankenthal, père de Arik, 19 ans, enlevé et tué par le Hamas, et Coordinateur du Cercle des Parents – un groupe d’Israéliens et de Palestiniens qui ont perdu des êtres chers dans des actes de violence et qui consacrent leurs efforts à mettre fin à cette violence – intervient contre la politique israélienne.
« Il est maintenant 23 h 59, une demi-heure après l’attentat au Café Hillel (ndt : café de Jérusalem, dans le « quartier Allemand »). La nuit d’avant, ma femme et moi ainsi que deux de nos amis étions assis dans ce café jusqu’à environ 23 h 40. L’endroit était plein à craquer. J’entends en ce moment même les sirènes des ambulances fonçant à travers les rues de Jérusalem. Je n’arrive pas à m’enlever ces images de la tête : des images de bras coupés, de têtes décapitées, de gens avec des clous et des bouts de métal enfoncés dans le corps, des tables cassées, le bar à sandwiches et gâteaux fracassé en mille morceaux. Qu’est-il arrivé à la gentille serveuse qui nous a servis ? Qu’est-il arrivé au jeune garçon de l’autobus ? Nous étions assis au milieu du café ; tous ces gens étaient venus là pour passer agréablement le temps, et en sont sortis dans des cercueils. Est-ce que le haut plafond est toujours en place ? Le miroir mural éclaté en un million d’échardes, couvrant les morceaux de chair et flottant dans le sang qui a recouvert le sol comme de l’eau ? Shema Israël, Ecoute O Israël, nous prions – mais Israël n’entend pas. Et je me sens tout vide, me demandant qui de mes amis ou de mes voisins était dans ce café ce soir ? Je pense à ces gens qui avaient leur tasse de café à la main quand la bombe a explosé, et à la chance qu’ils ont eue si les éclats ont seulement atteint leurs yeux sans les tuer. Je pense à celui qui mordait dans son sandwich, sans savoir que ce serait là sa dernière bouchée ; au bras coupé enfoncé dans cette jeune femme encore assise à sa table, mais elle ne sent rien, elle est en état de choc ou tout simplement morte. Je vois comment les tables ont été soufflées, atteignant les clients, et comment dans cette boule de feu la chair humaine se mélange au fromage tout fraîchement servi ; et le calme après l’explosion, et les cris de douleur et de commotion, cette commotion qui vient après le calme.
Je pense à cette victoire que le Chef des Armées a annoncé il y a deux mois, disant que nous avions vaincu les Palestiniens, et mon coeur saigne : comment se fait-il que notre chef des armées soit un tel imbécile ? Je pense à la folie de nos politiciens qui nous conduisent d’une catastrophe à une autre, et je pense à tous ceux qui restent silencieux. Tout le monde a donc oublié ?
Adonai elohenou – Dieu est notre Dieu, pas le Grand Israël. Je connais la terrible vérité. Le décompte des morts va continuer, parce que nos politiciens sont de petits mecs sans importance. Tellement pleins d’eux-mêmes, ils ne savent rien de rien en matière de résolution de conflits ; ils massacrent les Palestiniens et s’attendent à ce que ceux-ci s’auto-restreignent.
Ces hommes pleins de sagesse croient que l’occupation peut perdurer ; ces glorieux généraux ont toutes ces années permis aux « Forces Israéliennes de Défense de gagner », comme dit le slogan. Ce sont peut-être des soldats endurcis, mais ils sont totalement ignorants en matière de résolution de conflit. Ils sont persuadés qu’en utilisant la terreur pour vaincre la terreur, ils peuvent garantir notre sécurité. Ils croient qu’ils peuvent dévaster toute l’infrastructure nationale palestinienne et en même temps arrêter les milices de semer le chaos.
Depuis deux ans, ils disent qu’Arafat est « hors jeu », mais qu’en est-il du précédent ministre de la défense Binyamin (Fuad) Ben-Eliezer, du précédent premier ministre Ehud Barak, comme de l’actuel, Ariel Sharon ? Est-ce que cela les rend moins « hors jeu » que lui ? Combien de temps encore avant qu’on sorte de cette folie permanente ? Il faudra encore combien de cercueils ?
Adonai e-had, Dieu est notre seule vérité, non un quelconque credo politique. La beauté d’Israël est massacrée sur l’autel du rêve Messianique ; pendant combien de temps encore nos misérables leaders vont-ils triompher ?
Maintenant, c’est le matin d’après, et je viens juste d’apprendre que le Dr Appelboim a été tué, aux côtés de sa fille qui se mariait ce soir. Je connaissais cet homme merveilleux, et si particulier. Mon coeur saigne pour lui ; il y a seulement deux mois, nous avions bavardé ensemble, et nous étions même chamaillés à propos de mes opinions politiques. Comme il est douloureux et désespérant de voir tout ce sang versé en vain. La jeune mariée, heureuse à l’idée de créer une famille avec son fiancé, est mariée pour toujours à son père, dans un mariage de sang. Ils reposeront côte à côte, alors que le silence de l’éternité étouffe les sons joyeux d’une noce qui n’aura jamais lieu. Shema Israël, yitgadal, veyitkadash shem ? raba – écoute O Israël, que le nom du grand Souverain soit exalté et sanctifié – ce sont les mots du Kaddish, la prière juive récitée au-dessus de toute tombe fraîchement creusée. Honte à vous, leaders des nations.
(Transmis par Gush Shalom le 10 septembre après l’attentat contre le café Hillel. Traduit par Claire Paque)
