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SEUL CONTRE CENT, TARIQ RAMADAN RESISTE AU LYNCHAGE POLITICO-MEDIATIQUE

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31 octobre – Cible depuis trois semaines d’un lynchage politico-médiatique impressionnant de la part d’une bande de défenseurs de la politique israélienne, l’Universitaire Tariq Ramadan, professeur de philosophie et d’islamologie à Fribourg et à Genève (Suisse) n’a pas flanché, parvenant même à rendre quelques coups dans une arène qui lui est pourtant foncièrement hostile, la « grande presse », notamment celle qui se dit « de gauche ».


Tout au long du mois, en effet, Tariq Ramadan a dû faire face à une campagne l’accusant d’antisémitisme, parce qu’il avait écrit un texte critiquant l’alignement, sur la politique israélienne, d’un série d’écrivains et intellectuels, juifs ou d’origine juive, (à l’exception de Pierre-André Taguieff lequel, observe avec pertinence et modération Ramadan, « s’est mué en défenseur d’une communauté en danger dont le nouvel ennemi réel est l’Arabe, le musulman, fût-il français »).

Le texte de Ramadan, intitulé « Critique des –nouveaux- intellectuels communautaires » (que nous reproduisons intégralement au bas de cette dépêche) avait été refusé à de nombreuses reprises par ces modèles de déontologie que sont Le Monde et Libération, et Tariq Ramadan avait dû se contenter de publier son papier sur internet, via le site musulman oumma.com.

Alors, et alors seulement car il s’agissait bien entendu d’avoir enfermé préalablement Ramadan dans son ghetto « communautariste arabo-musulman », la meute a été lancée.

Contrairement à ce qui est enseigné dans toutes les écoles de journalisme, on commence par donner la parole à ses détracteurs, qui disposent, eux, de tout le temps et l’espace qu’ils désirent pour traiter Ramadan d’antisémite. C’est Bernard-Henri Lévy, coutumier du genre, qui donne le signal de la charge dans Le Point, bientôt suivi par Le Nouvel Observateur, Le Monde, etc. Avec une telle méthode, le sujet, ce n’est pas le texte, mais le « scandale » qui en résulterait si ce dernier était publié ! Denis Sieffert décortique très bien le procédé, dans un article de la revue Politis.

Des politiciens arrivent en renfort, en particulier des représentants du Parti Socialiste : Manuel Valls, Jean-Luc Mélenchon, Vincent Peillon, et Bertrand Delanoë, dont la complaisance à l’égard des pires éléments du gouvernement Sharon est par ailleurs notoire. Ces responsables socialistes pensent en effet disposer d’un levier, matériel, pour proscrire Tariq Ramadan. Ils ont accordé quelques subventions au Forum Social Européen (FSE), qui se tient en novembre en région parisienne, et ils font donc pression sur les organisateurs pour qu’il n’y ait pas de présence musulmane emblématique, celle de Tariq Ramadan en tout cas, dans cette manifestation à laquelle l’universitaire est invité. Heureusement, les responsables du FSE ont apparemment réussi à résister au chantage.

Que reprochent tous ces gens à l’article de Tariq Ramadan ? D’avoir mis dans un même panier « des intellectuels juifs », que l’auteur nomme ensuite au fil de son papier, et auxquels il reproche de « développer des analyses de plus en plus orientées par un souci communautaire qui tend à relativiser la défense des principes universels d’égalité ou de justice ». (deuxième paragraphe de l’article, à lire ci-dessous).

Les Juifs critiqués sont Bernard-Henri Lévy, Bernard Kouchner, Alexandre Adler , Alain Finkielkraut et André Gluksman.

Faire le reproche à Tariq Ramadan de les avoir caractérisés comme « intellectuels juifs » est bien entendu risible, car chacun de ces intellectuels assume volontiers ses origines juives, plusieurs d’entre eux en usant dans leur vie publique. L’un d’entre eux, Alexandre Adler, pratique un judaïsme très organisé, puisqu’il est conseiller politique du patron du CRIF Roger Cukierman, et conseiller/éditorialiste au Figaro en même temps.

Dire, comme le fait, arguments à l’appui, Tariq Ramadan, qu’ils ont un même discours en matière de conflit israélo-palestinien, est parfaitement exact également. Et dire, comme il poursuit, en citant plus particulièrement le cas d’Alain Finkielkraut, qu’ils font leur besogne « en tant que Juifs », car telle est la posture prise par de tels individus pour continuer de vendre leur soupe frelatée, notamment en matière de chantage à l’antisémitisme, l’est tout autant.

Mélenchon, Peillon et Valls ont de leur côté commis un faux, en affirmant que Ramadan traitait les personnes citées comme s’il s’agissait d’une bande, c’est-à-dire un ensemble d’individus agissant de manière concertée.

Ramadan ne l’a pas fait (comme vous pourrez le constater à la lecture de son papier). Mais il aurait parfaitement pu le faire, car il est exact que les BHL, Finkielkraut, Adler et compagnie sont des gens qui se connaissent, se parlent, ne s’affrontent jamais sur les questions juive et israélienne, et pratiquent le tir groupé dans des campagnes médiatiques données : cela fut patent, début 2003, dans l’offensive contre les universitaires de Paris 6 début 2003 favorable à la suspension de la collaboration scientifique avec Israël, et cela l’est aujourd’hui …. avec l’affaire Tariq Ramadan précisément !

A bon droit, Tariq Ramadan constate qu’en se comportant de la sorte, ces intellectuels sont entrés dans des « logiques communautaires », contrairement à d’autres temps, y compris après le génocide nazi et la naissance d’Israël, où les plus célèbres des Juifs de France se faisaient remarquer par la force de leurs convictions citoyennes et universalistes. Ils se comportent, en réalité, de la même manière que des dizaines de groupements communautaristes qui forment des associations de « Patrons juifs », de « Journalistes juifs », voire « d’Informaticiens juifs » (le défunt humoriste américain Sammy Davies Jr qui se définissait, par auto-dérision, comme « Noir, Juif et borgne », doit en remuer dans sa tombe !)

Ramadan relève, enfin, qu’il y a heureusement aussi des Juifs « qui ont décidé de s’insurger contre toutes les injustices, et notamment celles qui sont le fait de Juifs ». « Avec les Arabes et les musulmans qui ont la même cohérence, ils sont la lumière et l’espoir de l’avenir parce que celui-ci a plus que jamais besoin de cette exigence et de ce courage », conclut-il.

L’opiniâtreté de Tariq Ramadan, qui a multiplié les réponses, les plus posées possibles, aux calomnies dont il est l’objet depuis trois semaines, semble avoir été payante, et il faut s’en féliciter.

Le Monde, qui avait joué un rôle certain dans la tentative de lynchage médiatique, a ainsi fini par passer un nouveau papier de Tariq Ramadan, plus pugnace que le premier d’ailleurs, sous le titre « Antisémitisme et communautarisme : des abcès à crever ». En effet ! (nous reproduisons également ce papier ci-dessous)

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LE TEXTE INCRIMINE : Critique des (nouveaux) intellectuels communautaires
Par Tariq Ramadan
Publié vendredi 3 octobre 2003 sur oumma.com après avoir été refusé de manière répétée par Le Monde et Libération.

« La rentrée est agitée. On ne compte plus les livres traitant de l’antisémitisme ou du sionisme. Pour les uns, il existerait un nouvel antisémitisme parmi les jeunes français d’origine immigrée (arabes et musulmans) ou dans les rangs du mouvement altermondialiste qui le dissimuleraient derrière leur critique du sionisme et de l’Etat d’Israël. En face, on dénonce « Un intolérable chantage » à la judéophobie.

Force est de constater, en amont de ce débat, un phénomène qui brouille les données. Depuis quelques années (avant même la seconde intifada), des intellectuels juifs français que l’on avait jusqu’alors considérés comme des penseurs universalistes ont commencé, sur le plan national comme international, à développer des analyses de plus en plus orientées par un souci communautaire qui tend à relativiser la défense des principes universels d’égalité ou de justice.

Les travaux de Pierre-André Taguieff sont très révélateurs. Son pamphlet La nouvelle judéophobie est le prototype d’une réflexion « savante » faisant fi des critères scientifiques. Le sociologue s’est mué en défenseur d’une communauté en danger dont le nouvel ennemi réel ou potentiel est l’Arabe, le musulman, fût-il français. On ne trouve pas ici de mise en perspective fondée sur une analyse critique de la politique sociale de l’Etat, des réalités de la banlieue ou même de la scène internationale. La conclusion est limpide : la communauté juive de France ferait face au nouveau danger que représente cette nouvelle population d’origine maghrébine qui, de concert avec l’extrême gauche, banaliserait la judéophobie et la justifierait par une critique très retors d’Israël et un « antisionisme absolu ». C’est surtout Alain Finkielkraut qui excelle dans le genre : on savait le penseur impliqué dans les grands débats sociaux mais voilà que l’horizon se réduit et que le philosophe est devenu un intellectuel communautaire. Son dernier ouvrage Au nom de l’Autre, réflexions sur l’antisémitisme qui vient se présente comme une attaque sans nuance de toutes les dérives antisémites (altermondialistes, immigrées ou médiatiques). Alain Finkielkraut verse dans tous les excès sans être gêné de soutenir Sharon. Le débat n’est plus fondé sur des principes universels et même s’il prétend être lié à la tradition européenne commune, sa prise de position révèle une attitude communautariste qui fausse les termes du débat, en France comme au sujet de la Palestine. Sa dénonciation du « culte de l’Autre » ne cesse, en miroir, d’exacerber le sentiment d’altérité du juif-victime et le mur de la honte devient « une simple clôture de sécurité » qu’Israël construit à contre cœur. Juifs ou sionistes (ceux qui font la différence sont antisémites) ne seront jamais des victimes ou des oppresseurs comme les autres.

Alexandre Adler avait témoigné, au côté de Finkielkraut, dans le procès surréaliste intenté au journaliste Daniel Mermet. On pouvait s’étonner. L’analyse attentive de ses écrits nous éclaire néanmoins. La lecture du monde qu’il nous propose se comprend surtout au regard de son attachement à Israël. Il ne s’en cache pas et dans l’ouvrage collectif Le sionisme expliqué à nos potes il avance qu’il « devient de plus en plus inenvisageable de concevoir une identité juive qui ne comporterait pas une composante sioniste forte »1 et plus loin : « Un équilibre va s’instaurer entre diaspora et appartenance israélienne, autour duquel le nouveau judaïsme va se développer »2. On relèvera le mélange de genres mais on retiendra la leçon au moment d’analyser ses positions en politique internationale, de même que celles de certains intellectuels juifs français, notamment lorsque Adler rappelle lui-même que les Etats-Unis ont renforcé leur soutien à Israël, lequel a par ailleurs établi une alliance stratégique avec l’Inde.

La récente guerre en Irak a agi comme un révélateur. Des intellectuels aussi différents que Bernard Kouchner, André Glucksman ou Bernard-Henri Lévy, qui avaient pris des positions courageuses en Bosnie, au Rwanda ou en Tchétchénie, ont curieusement soutenu l’intervention américano-britannique en Irak. On a pu se demander pourquoi tant les justifications paraissaient infondées : éliminer un dictateur (pourquoi pas avant ?), pour la démocratisation du pays (pourquoi pas l’Arabie Saoudite ?), etc. Les Etats-Unis ont certes agi au nom de leurs intérêts mais on sait qu’Israël a soutenu l’intervention et que ses conseillers militaires étaient engagés dans les troupes comme l’ont indiqué des journalistes britanniques participant aux opérations (The Independent, 6 juin 2003). On sait aussi que l’architecte de cette opération au sein de l’administration Bush est Paul Wolfowitz, sioniste notoire, qui n’a jamais caché que la chute de Saddam Hussein garantirait une meilleure sécurité à Israël avec des avantages économiques assurés. Dans son livre Ouest contre Ouest, André Glucksman nous livre un plaidoyer colérique pour la guerre qui passe sous un silence très parlant les intérêts israéliens. Bernard-Henri Lévy, défenseur sélectif des grandes causes, critique très peu Israël à qui il ne cesse de témoigner sa « solidarité de juif et de Français »3. Sa dernière campagne contre le Pakistan semblait comme sortie de nulle part, presque anachronique. En s’intéressant à l’abominable et inexcusable meurtre de Daniel Pearl, il en profite pour stigmatiser le Pakistan dont l’ennemi, l’Inde, devrait donc naturellement devenir notre ami… Lévy n’est bien sûr pas le maître à penser de Sharon mais son analyse révèle une curieuse similitude quant au moment de son énonciation et à ses visées stratégiques : Sharon vient d’effectuer une visite historique en Inde afin de renforcer la coopération économique et militaire entre les deux pays.

Que ce soit sur le plan intérieur (lutte contre l’antisémitisme) ou sur la scène internationale (défense du sionisme), on assiste à l’émergence d’une nouvelle attitude chez certains intellectuels omniprésents sur la scène médiatique. Il est légitime de se demander quels principes et quels intérêts ils défendent au premier chef ? On perçoit clairement que leur positionnement politique répond à des logiques communautaires, en tant que juifs, ou nationalistes, en tant que défenseurs d’Israël. Disparus les principes universels, le repli identitaire est patent et biaise le débat puisque tous ceux qui osent dénoncer cette attitude sont traités d’antisémites. C’est pourtant sur ce terrain que doit s’engager le dialogue si l’on veut éviter le choc des communautarismes pervers. S’il faut exiger des intellectuels et acteurs arabes et musulmans qu’ils condamnent, au nom du droit et des valeurs universelles communes, le terrorisme, la violence, l’antisémitisme et les Etats musulmans dictatoriaux de l’Arabie Saoudite au Pakistan ; on n’en doit pas moins attendre des intellectuels juifs qu’ils dénoncent de façon claire la politique répressive de l’Etat d’Israël, de ses alliances et autres méthodes douteuses et qu’ils soient au premier rang de la lutte contre les discriminations que subissent leurs concitoyens musulmans. On relèvera avec respect le courage de celles et de ceux, juifs (pas forcément altermondialistes ou d’extrême gauche), qui ont décidé de s’insurger contre toutes les injustices et notamment celles qui sont le fait de juifs. Avec les Arabes et les musulmans qui ont la même cohérence, ils sont la lumière et l’espoir de l’avenir parce que celui-ci a plus que jamais besoin de cette exigence et de ce courage.

Tariq Ramadan

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LE DEUXIEME PAPIER DE RAMADAN, finalement publié dans Le Monde, après trois semaines de calomnies.
Antisémitisme et communautarisme : des abcès à crever
Par Tariq Ramadan
Le Monde daté du mercredi 29 octobre 2003

« Mon article sur Internet publié sur le site oumma.com- concernant les « (nouveaux) intellectuels communautaires » a provoqué une vive polémique (Le Monde du 11 octobre).

Critiquer l’attitude communautariste et pro-israélienne d’un certain nombre d’intellectuels (juifs mais pas uniquement : je savais que Pierre-André Taguieff ne l’était pas, contrairement à ce que le déficit de ma formulation laissait entendre) n’a pas eu l’heur de plaire. Quelques réactions, minoritaires mais très médiatisées, ont été passionnées, mais la plupart des voix qui se sont exprimées ont relevé que s’il n’y avait pas là d' »antisémitisme », le texte était « maladroit » et tombait bien mal à quelques semaines du Forum social européen (FSE), soupçonné, parce que trop propalestinien, de faire le lit de la nouvelle judéophobie. Voire.

En France, m’a-t-on rappelé, on ne peut parler d' »intellectuels juifs » sans risquer, contrairement aux Etats-Unis, de prêter le flanc au soupçon d’antisémitisme. Or la France a changé, et devant le danger des replis communautaires il devient impératif de clarifier les positions respectives. La présence de millions de Français ou de résidents d' »origine immigrée » est en train de transformer la psychologie collective de la société et exige que nous abordions cette question de front. Le conflit israélo-palestinien a désormais des résonances très fortes jusque dans les cités françaises, et il faut en tenir compte.

Certains intellectuels pro-israéliens, craignant l’émergence de revendications publiques propalestiniennes (avec parfois des expressions antisémites), agitent le spectre de la « nouvelle judéophobie ». S’ils ont raison de dénoncer cette dernière, il reste que, par certains de leur excès, ils poussent les juifs de France à développer des réflexes de peur et alimentent en eux le sentiment d’appartenance prioritaire à la « communauté juive ».

L’apparition de cette logique communautariste est malsaine et prend en otage les Français qui pour s’affirmer juifs n’en sont pas moins des critiques de la politique israélienne. Ils sont les premiers à se plaindre de la monopolisation abusive de la parole par « quelques institutions et hommes publics » et d’un chantage à l’antisémitisme ou à la traîtrise. Dans Le Monde du 16 octobre, ils ont exprimé « une autre voix juive », contraints, avancent-ils, à cause de l’atmosphère qui règne en France, de « revendiquer la part juive de leur identité personnelle » afin de se démarquer des partisans inconditionnels de la politique israélienne. Leur démarche est fondamentale : face à ceux qui, par crainte ou stratégie, appellent au repli identitaire, ils sont, paradoxalement, obligés de revendiquer leur identité juive afin de mieux la dépasser dans l’expression de la citoyenneté française. Ils exigent, en son nom, la condamnation de toutes les formes d’oppression.

Parallèlement on assiste, parmi les Français d' »origine immigrée » et/ou musulmans, à des phénomènes apparemment similaires mais dont les causes sont très différentes. Force est de constater qu’un certain type de communautarisme prend corps parmi ces populations. L’erreur serait d’y voir un phénomène exclusivement identitaire et religieux. Si son expression passe souvent par l’une ou l’autre de ces revendications, c’est d’abord à cause de la façon dont la société elle-même identifie ces populations, les parque dans des ghettos urbains et scolaires, et les pousse à une certaine représentation d’elles-mêmes.

Dans un collège où près de 50 % des élèves sont « musulmans », comment penser qu’ils se percevront autrement ? Le communautarisme dont il est question est d’abord économique et ses manifestations concrètes sont le chômage, la discrimination à l’emploi, à l’habitat, à l’instruction comme au faciès. La double dimension culturelle de l’origine arabe et de l’islam joue certes un rôle qui s’ajoute aux réalités économiques mais qui ne les remplace ni ne doit les cacher. Le phénomène est complexe et exige des approches qui différencient les causes sociales, économiques et religieuses.

Les Français d' »origine immigrée » et musulmans ne sortiront des ghettos qu’à la double condition d’une réforme profonde de la politique économique, sociale, urbaine et éducative, en même temps que d’une reconnaissance du fait qu’il existe un réel problème en France vis-à-vis de l’islam, toujours considéré comme une religion étrangère.

La bonne nouvelle de ces dernières années est l’apparition de nouveaux cadres qui sont de plus en plus partie prenante de la société civile, qui s’y expriment et y agissent en tant que citoyens. Le processus est forcément lent et difficile car le terrain est nouveau et la confiance reste à construire. Le cas des partenariats du FSE est exemplaire : des acteurs issus de l’immigration (les plus touchés par la paupérisation sans être les seuls) s’engagent désormais et certains le font en revendiquant leur appartenance musulmane. Cette revendication choque (alors qu’elle ne choque pas pour les chrétiens) parce qu’elle donne l’impression d’être une identité trop exclusive : on craint l’entrisme et l’infiltration d’une pensée communautariste. Or c’est le phénomène inverse qui est en train de se produire : à l’instar des partisans de « l’autre voix juive », qui réaffirment leur identité pour mieux pouvoir la dépasser, les acteurs musulmans expriment la réalité de leur appartenance religieuse (au sens de la « communauté spirituelle ») pour accéder, sans se renier, à une citoyenneté fondée sur les valeurs communes (opposée au communautarisme).

Ils sortent des ghettos, et si ceux qui s’engagent dans le FSE ne sont pas représentatifs de l’ensemble des populations subissant la discrimination (ils ne l’ont jamais prétendu), ces acteurs peuvent néanmoins jouer un rôle de pont entre deux univers socioculturels.

Un pont n’est pas l’autre rive, mais il y mène. Si, de surcroît, ces acteurs parviennent à dépasser la seule identité religieuse pour épouser les combats globaux contre la mondialisation néolibérale, les multiples formes d’injustices, l’oppression des femmes, alors les partenariats qui sont à l’œuvre aujourd’hui sont riches de promesses universalistes.

Il faut oser crever des abcès et questionner les non-dits dangereux. Il y a aujourd’hui des intellectuels juifs comme musulmans qui poussent les membres de leur communauté à se définir contre les autres, enfermés dans leur ghetto intellectuel, ethnique ou religieux et dont la lecture du monde est périlleuse pour notre avenir commun. Il faut les critiquer, et c’est ce à quoi je me suis sciemment engagé en ouvrant ce débat : il fallait à mon sens le faire maintenant, avant le FSE, en regardant en face l’état de la France sans chercher à éviter les vraies questions (sous peine, à terme, de faire le lit des thèses d’extrême droite).

Le forum des altermondialistes ne doit pas être un rassemblement durant lequel on s’aveuglerait sur les courants contradictoires qui le constituent : ce débat nous concerne tous et chacun doit contribuer à l’évolution des mentalités en préservant cet équilibre fondé sur une diversité forte parce que prête à toutes les confrontations d’idées constructives. Déjà, on voit apparaître des acteurs qui se trouvent devant ce paradoxe de devoir revendiquer leur appartenance spécifique aux fins de la dépasser.

Pour « l’autre voix juive », il s’agit de lutter contre la confiscation de la parole par ceux qui voient de l’antisémitisme derrière toute critique d’Israël et considèrent le monde sous ce seul angle.

Pour « l’autre voix arabe et/ou musulmane », il s’agit, contre toutes les nouvelles tentations racistes et islamophobes, de faire respecter leur origine et/ou leur religion, de s’ouvrir aux luttes politiques communes en refusant l’enfermement communautariste, vers lequel on les pousse insensiblement (que certains d’entre eux acceptent) par l’exacerbation de faux débats passionnés et politiciens, et d’oser la critique des dictatures et des extrémismes islamiques. Le FSE doit être le moment de cette rencontre entre citoyens de tous horizons : les débats ont déjà commencé, la confiance n’est pas acquise, mais au moins on se rencontre et on apprend à mieux se connaître. Passage difficile mais obligé.

Le FSE doit refuser d’être la plate-forme où s’expriment les judéophobes ou les islamophobes ; il ne doit être, en soi, ni propalestinien ni anti-israélien. A l’heure où s’entendent les propos inacceptables de Mahatir, le FSE doit refuser les expressions de racisme et être un espace où toutes les injustices sont dénoncées : de la Russie à la Chine, de l’Arabie saoudite à Israël, des bidonvilles aux banlieues. Sans distinction. Qu’importe d’où viennent les individus, qu’importe leur culture ou leur religion si, dans leur volonté commune de changer le monde, ils refusent de façon déterminée de différencier les victimes et de distinguer les bourreaux ». FIN

QUELQUES EXEMPLES DE LA CAMPAGNE DE CALOMNIES

Bernard Kouchner : « Ramadan est une crapule intellectuelle »

(dépêche d’agence du 28 octobre)
L ‘ancien ministre socialiste Bernard Kouchner a qualifié mardi Tariq Ramadan de « crapule intellectuelle », en réponse à un texte controversé de l’islamologue intitulé « Critique des (nouveaux) intellectuels communautaires » et dans lequel il s’attaque aux « intellectuels juifs français ».
« Il ne me stigmatise pas », a affirmé Bernard Kouchner sur RTL. « Il m’honore. Cet homme est une crapule intellectuelle. »
Interrogé sur France-Inter, l’islamologue a dit « respecter entièrement l’engagement humaniste » de Bernard Kouchner, mais s’est « révolté » contre son « silence quand il s’agit de la question israélienne. Il ne parle jamais de cette question-là ». « On ne peut pas être un humaniste complet si on oublie aujourd’hui la terreur qui s’abat quotidiennement sur les Palestiniens. » « A partir d’un certain moment, on ne peut pas critiquer sélectivement les injustices du monde. On ne peut pas être un humaniste sélectif », a-t-il estimé.
Revenant sur sa tribune, l’islamologue suisse a réaffirmé qu' »un certain nombre d’intellectuels, juifs et non juifs, (…) ont aujourd’hui une lecture de ce qui est en train de se passer en France ou sur la scène internationale qui est liée à un soutien dit ou non dit d’Israël ». « Il y a des juifs que je respecte, et je fais la différence entre un soutien aveugle à Israël et le fait de se considérer comme juif », a ajouté Tariq Ramadan.

============================================================================= »La réthorique de M. Le Pen »
(autre dépêche d’agence)
Le président de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) Patrick Gaubert a qualifié Tariq Ramadan de « raciste ». « Il est raciste » et « ce qu’il dit est inacceptable aujourd’hui (…) Il essaye d’exister et de jouer un rôle sur la scène française en utilisant la même rhétorique que M. Le Pen en son temps quand il désignait des journalistes à la vindicte en raison de leur patronyme juif », a-t-il dit sur France Internet.
La venue de Tariq Ramadan au Forum social européen (FSE) qui se tiendra du 12 au 15 novembre en France a par ailleurs déclenché la polémique dans les rangs du Parti socialiste. Malek Boutih, secrétaire national du PS chargé des questions de société et ex-président de SOS-Racisme, a dit « ne pas comprendre » sa venue, tandis que Manuel Valls, Vincent Peillon et Jean-Luc Mélenchon ont estimé que Tariq Ramadan, par ses propos, « porte bel et bien à la haine raciale ».
L’animateur du FSE Pierre Khalfa a rappelé dans Libération daté de vendredi que « la décision d’accepter Tariq Ramadan comme un des nombreux orateurs du FSE est le fruit d’un processus démocratique », qui « a abouti à un consensus général ». Et de préciser: « Son texte n’est pas selon moi antisémite, mais communautariste ». (AP)

L’UEJF veut poursuivre Tariq Ramadan

(à noter que d’une manière générale, les agences de presse ne rendent compte de plaintes, quand elles le font, que lorsque celles-ci sont effectivement déposées. Et cela, afin de décourager les farceurs et velléitaires. Mais ici, la parole est donnée aux assaillants de Tariq Ramadan à la seule annonce d’une intention.

« L’UEJF demande au parquet de Paris de poursuivre Tariq Ramadan pour des « propos stigmatisant l’engagement d’intellectuels français sur la seule base de leur appartenance religieuse, réelle ou supposée ».
L’Union des étudiants juifs de France (UEJF) a annoncé jeudi dans un communiqué qu’elle allait engager des poursuites judiciaires à l’encontre de l’intellectuel musulman suisse Tariq Ramadan, pour des propos « incitant à la discrimination et à la haine raciale ».
L’UEJF demande au parquet de Paris de poursuivre Tariq Ramadan pour des « propos stigmatisant l’engagement d’intellectuels français sur la seule base de leur appartenance religieuse, réelle ou supposée ».
Tariq Ramadan a publié le 3 octobre une tribune libre sur le forum de discussion du Forum social européen (du 12 au 15 novembre en région parisienne) dans laquelle il mettait en cause « des intellectuels juifs français », en les accusant notamment de défendre Israël par réflexe communautaire.
Selon Yonathan Arfi, président de l’UEJF, « il n’existe pas de bon ou de mauvais antisémitisme: Tariq Ramadan est antisémite et doit être jugé comme tel ».

============================================================================= Cette interview de Ramadan a été publiée par Le Nouvel Observateur, en contrepoint d’articles plus volumineux, et plus mis en valeur, qui l’attaquaient. Histoire, pour le journal, de pouvoir affirmer : « nous on est objectifs, on donne la parole aux deux parties ». A noter le caractère particulièrement agressif de la journaliste, et ses dérapages. La journaliste parle par exemple de « logique antisémite », ce qui revient à conférer une logique à cette pulsion bestiale qu’est le racisme.

(Ce3 QUESTIONS A… Tariq Ramadan NOUVELOBS.COM | 23.10.03 Jean-Luc Mélenchon, Vincent Peillon et Manuel Valls considèrent certains de vos propos comme antisémites. Dans ces conditions, n’est-il pas logique qu’ils contestent votre présence au Forum social européen ?

– Si mes propos étaient antisémites, je n’aurais effectivement rien à faire au FSE. Mais il n’y a pas une once d’antisémitisme dans mon parcours ou dans le texte que vous évoquez. Celui-ci est une critique d’intellectuels, qui, il se trouve, sont en majorité juifs, mais pas seulement, et je tiens à préciser que je savais pertinemment que Pierre-André Taguieff n’est pas juif. C’est au positionnement pro-sioniste que je m’attaque dans ce texte. D’ailleurs, au-delà de la réaction passionnée de certains, comme BHL ou André Glucksman, la majorité des gens qui l’ont lu ne le considère pas comme antisémite.
Je tiens d’ailleurs à rappeler que j’ai moi-même déjà condamné l’antisémitisme islamique dans une tribune parue dans Le Monde du 24 décembre 2001.

Néanmoins, derrière de belles phrases, vos formules rappellent quand même une logique antisémite, non ?

– Mais les mauvais souvenirs de la France ne doivent pas altérer notre jugement. On parle d’intellectuels musulmans et cela ne semble pas poser de problème. Je veux qu’on ôte l’idée d’une appartenance ethnique, mais les intellectuels universalistes présentent une vision biaisée par leur posture pro-israélienne. Certains l’affirment d’ailleurs, comme Alexandre Adler, mais d’autres le taisent.
Il ne faut pas nier la part identitaire qui est en nous et son influence sur notre jugement, mais il faut la dépasser pour tendre à l’universalisme. Et on ne peut pas être universaliste si on ne condamne pas, par exemple, les agissements d’Israël. Je ne condamne d’ailleurs pas moi-même l’existence de ce pays mais sa politique.
J’ai dit que certains intellectuels avaient une posture communautariste. Mais on n’est plus dans les années 1970 ou 1980, et il faut aujourd’hui traiter cette question des communautés car elle risque de se retourner contre nous. Reconnaître le réel ne veut pas dire qu’on s’y enferme. Il existe des communautés. Commencer par ce constat, ce n’est pas s’y enfermer.

Mais se fonder sur ce principe communautariste, n’est-ce pas entrer en opposition avec l’esprit laïque français ?

– Je ne suis pas communautariste. Mais il existe une réalité concrète. Il existe aujourd’hui des gens qui se voient rejeter vers leur identité, perpétuellement définis comme « d’origine maghrébine ».
Le vrai débat c’est: comment on s’en sort. Soit on en fait des citoyens de seconde zone, soit on revalorise leur identité pour les amener à la citoyenneté.
Il existe aujourd’hui une révolution silencieuse. Bien sûr, si on est malveillant, on peut voir la venue d’associations de musulmans au Forum social comme de l’entrisme. Mais on peut, aussi, considérer cela comme une première marque d’un partenariat qui s’instaure au-delà des communautés. Ce phénomène ne doit d’ailleurs pas être réduit à une confrontation entre juifs et musulmans. C’est une question qui concerne tous les citoyens. Il faut comprendre que le dépassement des communautarismes ne se fera pas sur les crispations des uns et des autres.

Propos recueillis par Céline Louail, du Nouvel Observateur
(le mercredi 22 octobre)

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