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UN CHANGEMENT DE TERMINOLOGIE QUI EN DIT LONG SUR LA DEGENERESCENCE MORALE EN ISRAEL (PAR URI AVNERY)

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2 novembre – Sous le titre « Les cellules cancéreuses », le militant pacifiste Uri Avnery constate à quel point le sens moral a dégénéré dans son pays, où les soldats de l’occupation qui tombent au combat sont désormais considérés comme « assassinés » par des terroristes.


« Au cours de la guerre des Six-Jours, des centaines de soldats israéliens ont été assassinés au cours de l’assaut du désert du Sinaï, de la Cisjordanie et des hauteurs du Golan.
Pendant la guerre du Kippour, plus de 2.000 soldats israéliens ont été assassinés en défendant les territoires conquis.
Dans la guerre du Liban qui a duré 18 ans, plus d’un millier de soldats israéliens ont été assassinés au cours de la conquête et de l’occupation du Sud Liban.
Ils auraient été surpris d’apprendre qu’ils avaient été « assassinés ». Peut-être auraient-ils ressenti cela comme une insulte. Car ce n’était pas des Juifs sans défense dans le ghetto tués pendant un pogrom par des Cosaques ivres. Ils sont tombés en soldats à la guerre.
Maintenant nous sommes retournés au ghetto. De nouveau nous sommes de pauvres Juifs craintifs. Même quand nous sommes en uniforme. Même quand nous sommes armés jusqu’aux dents. Même quand nous avons des tanks, des avions, des missiles et l’arme nucléaire. Hélas, on nous assassine.
L’emploi du verbe « assassiner » appliqué à des soldats qui tombent au combat est une nouveauté sémantique de la présente Intifada de la période Sharon. Deux incidents militaires l’ont mis particulièrement en lumière la semaine dernière.
Dans le village palestinien de Ein Yabroud, trois soldats ont été pris dans une embuscade et tués. Ils avaient pour tâche de sécuriser la route menant à la colonie Ofra, au nord de Ramallah. Ils patrouillaient à pied dans la rue principale du village comme à l’accoutumée. Au retour, trois combattants palestiniens les attendaient, en ont tué trois et blessé un. Les assaillants se sont enfuis.
Une classique action de guérilla. Pas du terrorisme. Pas une attaque contre des civils. Mais une action de combattants de la guérilla contre des soldats armés dans une zone occupée. S’il s’était agi de soldats allemands en France ou de soldats français en Algérie, personne n’aurait songé à dire qu’ils avaient été « assassinés ». Mais à notre télévision, les correspondants militaires ont parlé de nos trois soldats comme ayant été « assassinés » par des « terroristes ».
Quelques jours plus tard, un événement encore plus choquant s’est produit. Un combattant palestinien isolé a traversé la clôture de la colonie de Netzarim dans la bande de Gaza, a pénétré dans un camp militaire et a tué trois soldats – un homme, deux femmes. Il a été poursuivi et tué.
A propos de cet événement aussi, les correspondants militaires ont dit à la télévision, sans ciller, que ces trois soldats avaient été « assassinés » par des « terroristes » dans une action « terroriste ».
Meurtre ? Terrorisme ? Contre des soldats en uniforme ? A l’intérieur d’une colonie fortifiée ?
Il est intéressant d’analyser cet incident pour comprendre la campagne militaire actuelle dans son ensemble.
Netzarim est une petite colonie isolée au bord de la mer, au cœur de la bande de Gaza, loin de toute autre colonie. Elle a été installée au milieu d’une population palestinienne d’un million 250.000 personnes, dont la moitié sont des réfugiés, à l’endroit où la densité démographique est la plus forte au monde. Un bataillon entier des FDI la protège, et il n’y suffit pas. Pour y aller à partir d’Israël, il faut traverser toute la bande de Gaza. Tous les transports et déplacements se font avec des véhicules blindés. Jusqu’à présent, plus de 20 soldats ont été tués en défendant la colonie et sa route d’accès.
De la folie ? Les colons eux-mêmes soutiennent que c’était l’armée qui avait demandé d’installer la colonie comme base d’observation et de contrôle. Les fondateurs, des nationalistes-religieux fanatiques, ont disparu depuis, remplacés par des aventuriers qui risquent leur vie et celle de leurs enfants – sans parler des soldats, hommes et femmes, qui n’ont pas le choix et que le gouvernement sacrifie sur l’autel de la colonie.
Les Palestiniens, évidemment, souffrent plus que quiconque. On tire sur tous ceux qui s’approchent de la colonie. Tout ce qui se trouvait ou poussait dans les parages, ou le long de la route, a été détruit ou déraciné depuis longtemps. Cette semaine, l’armée a démoli deux immeubles hauts de 12 étages, à quelque cent mètres de la colonie, parce que, de là, ceux qui entraient dans la colonie pouvaient être « observés ». C’est typique : comme un cancer dans le corps qui étend graduellement son emprise maligne, chaque colonie détruit lentement son environnement dans un cercle toujours plus large.
On peut décrire comme suit le processus : (1) Sur une colline, un « avant-poste » comprenant un ou deux mobile-homes est installé sans autorisation du gouvernement. (2) Le gouvernement déclare qu’il ne tolérera pas ces actions illégales et parle d’enlever les mobiles-homes. (3) L’armée envoie des soldats pour défendre l’avant-poste, disant qu’elle ne peut pas laisser sans protection, dans une région hostile, des Juifs aussi longtemps qu’ils y sont, même illégalement. (4) Pour la même raison, l’avant-poste est connecté aux réseaux d’eau, d’électricité et de téléphone. (5) La discussion au gouvernement est reportée et pendant ce temps la colonie s’étend. (6) Le gouvernement décide d’accepter le fait accompli et l’avant-poste devient une colonie légale (selon la loi israélienne, ndt). (7) Le gouverneur militaire exproprie de larges surfaces de terres cultivées pour le développement de la colonie. (8) Une route de contournement est construite pour permettre la libre circulation des colons et des soldats. Pour cela, l’armée exproprie de nouvelles surfaces de terres cultivées des villages palestiniens voisins. La route avec sa « zone de sécurité » a 60 à 80 mètres de largeur. (9) Des Palestiniens essaient d’attaquer la colonie qui se trouve sur leurs terres. (10) Pour empêcher les attaques, une zone de 400 mètres de largeur autour de la colonie est déclarée « zone de sécurité » fermée aux Palestiniens. Les oliveraies et les champs de cette zone sont perdus pour leurs propriétaires. (11) Cela nourrit la motivation pour de nouvelles attaques. (12) Pour des raisons de sécurité, l’armée déracine tous les arbres qui pourraient faciliter une attaque de la colonie ou de la route y conduisant. L’armée a même inventé un nouveau mot hébreu pour cela, qui signifie quelque chose comme « pouvant servir de cachette ». (13) L’armée détruit tous les immeubles à partir desquels la colonie ou la route pourrait être attaquée. (14) Pour faire bonne mesure, tous les immeubles à partir desquels la colonie peut être observée sont également démolis. (15) On tire sur quiconque s’approche de la colonie, suspecté de venir espionner ou attaquer.
De cette façon, la colonie répand la mort et la destruction dans un périmètre de plus en plus large. La vie dans les villages palestiniens du voisinage devient infernale. Ils perdent leurs sources de revenus. Des centaines de ces villages se trouvent piégés entre deux colonies ou plus, clôturés de tous côtés, quelquefois tout près de leurs maisons. Leurs vies et leurs biens sont à la merci de gangs de colons.
Ce processus dure déjà depuis des décennies sur tous les territoires occupés. C’est une offensive lente, continue, hors de la vue des Israéliens. L’année dernière, le « mur de séparation » s’y est ajouté, un monstre qui serpente en pénétrant profondément à l’intérieur de la Cisjordanie afin de « défendre » les colonies. Il rend la vie de centaines de milliers de Palestiniens à la limite de l’impossible.
La barrière est supposée coûter 10 milliards de shekels (plus de deux milliards de dollars). Il est impossible de calculer le coût des colonies elles-mêmes qui représente certainement beaucoup de milliards de shekels chaque année.
Il est plus facile de calculer le prix en vies humaines. La mort des trois soldats à Netzarim a causé un choc. De nombreux Israéliens commencent à se demander – peut-être pour la première fois – pourquoi ? dans quel but ?
Le père d’un des soldats tués à Ein Yabroud a appelé cela « la roulette israélienne ». La mère d’une soldate tuée à Hébron a laissé éclater sa colère à la télévision : « Elle est morte à cause des colons ! » Il y a de nombreux signes de dégrisement, même dans le commandement militaire.
Est-ce le début d’un changement dans l’opinion publique ? Cela se pourrait.

[Traduit de l’anglais : RM/SW]

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