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LA CAPJPO ET LE DOCUMENT DE GENEVE

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6 novembre – Les négociations officieuses engagées par plusieurs personnalités israéliennes d’opposition et palestiniennes, et qui sont présentées par les médias, de manière quelque peu exagérée comme “ les accords de Genève ”, font couler beaucoup d’encre, et pour cause.


Dans un contexte on ne peut plus décourageant, où le gouvernement israélien durcit la répression contre la population palestinienne et annexe chaque jour des bouts supplémentaires de son territoire déjà très restreint dans la plus totale impunité, où ni l’Europe ni les Etats-Unis ne lèvent le petit doigt pour faire respecter le droit international, où la loi du plus fort semble être entérinée, cette nouvelle initiative n’a pas manqué de susciter un intérêt légitime, voire l’espoir, chez bon nombre de personnes.

Certes, ces propositions n’engagent pas le gouvernement israélien qui a fait savoir tout le mal qu’il pense de ces accords en sous-main, et l’on ne sait pas ce qu’en pensent la plupart des Palestiniens. Mais tout de même, disent certains, — y compris en l’absence du texte intégral (il manque notamment les annexes qui sont très importantes puisque le texte s’y réfère plus d’une dizaine de fois sur des aspects essentiels)– il faut le soutenir et le signer parce qu’il représente une avancée, qu’il engage à une reconnaissance mutuelle, qu’il parle de frontières définitives et se passe des nombreuses “ phases transitoires ” énoncées à d’autres reprises, et notamment dans la “ Feuille de Route ”.

On pourrait ajouter que cette initiative a le mérite de montrer aux Israéliens et au monde entier que Sharon est un menteur quand il dit qu’il n’y a pas d’interlocuteurs pour la paix en Palestine et que c’est quelqu’un qui est en fait farouchement opposé à tout règlement pacifique. En bonne logique militaire, il ne voit pas pourquoi il devrait renoncer à s’emparer de toute la Palestine un jour, puisqu’il ne rencontre aucun obstacle au niveau international. Mais les Israéliens sont peut être un peu fatigués de cette logique qui leur promettait la sécurité et qui ne la leur a pas apportée. Et ils seront peut-être plus réceptifs aujourd’hui aux arguments de ceux qui leur disent qu’il n’y a pas de bout au tunnel dans lesquels les a engagés leur gouvernement.

Ceux qui participent du côté israélien à ces négociations ne sont pas dignes de confiance, ils ont contribué à la politique d’occupation, ils n’ont rien fait pour combattre Sharon pendant 3 ans et essaient de se refaire aujourd’hui une virginité à bon compte, font valoir ceux qui rejettent l’initiative.

Et on ne peut pas écarter le soupçon d’opportunisme, parce qu’ils sentiraient le vent tourner, parce que la protestation des 27 pilotes israéliens qui ont refusé d’aller bombarder des populations civiles n’est pas passée inaperçue, parce que même minoritaires les gestes d’Israéliens comme Uri Avnery et sa femme allant servir de boucliers humains à Arafat font désordre, parce que Sharon en fait trop quand il a l’impudence d’annoncer publiquement la construction de nouveaux logements dans les colonies israéliennes en Cisjordanie ou à Gaza, parce que l’image de marque d’Israël, “ petit Etat démocratique agressé de toutes parts et luttant pour sa survie ” commence à battre de l’aile (comme le montre le récent sondage européen, qui place Israël en tête des pays qui menacent la paix dans le monde).

Et puis, il est exact que les déclarations de l’un des négociateurs, le dirigeant travailliste Amram Mitzna, dans la presse israélienne aujourd’hui même ne peuvent pas laisser d’illusions sur son parti pris :
“ L’Etat d’Israël peut vaincre le terrorisme palestinien, mais seulement si le combat est accompagné d’un processus politique. Une séparation d’avec les Palestiniens en accord avec eux, qui rendra possible la re-création d’Israel en tant qu’Etat juif et démocratique à l’intérieur de frontières reconnues par la communauté internationale toute entière, sera une véritable victoire, non seulement sur la menace terroriste, mais aussi sur la menace démographique. La voie militaire a échoué, et le moment est venu de revenir à la voie de la négociation. ” *

Mais, quelles que soient leurs motivations, si ces opposants d’aujourd’hui peuvent contribuer à vaincre l’autisme de la population israélienne et l’amener à se poser des questions sur son soutien au gouvernement Sharon, cela peut constituer une brèche que les vrais pacifistes israéliens ont tout intérêt à exploiter avec leurs propres arguments.

D’autres, comme le député palestinien israélien d’opposition Azmi Bishara, ont également souligné, à juste titre, que ce document comprenait de nouveaux “ renoncements ” de la part des Palestiniens (par rapport aux discussions de Taba, en janvier 2001), puisque notamment les colonies israéliennes installées de plus en plus nombreuses à Jérusalem Est pourraient y demeurer, réduisant à une partie plus que congrue la souveraineté palestinienne sur une partie de la capitale, et que par ailleurs, le droit au retour serait passé par “ pertes et profits ”, Israël étant même dispensé de la moindre déclaration de principe concernant la reconnaissance de sa part de responsabilité historique dans le sort des réfugiés palestiniens.

De même, le texte autorise Israël à rester armé jusqu’aux dents, y compris à l’intérieur des territoires qui seraient sous autorité palestinienne, ainsi qu’aux frontières, tandis que l’Etat palestinien resterait indéfiniment démilitarisé.

Et si ce document a le mérite de stipuler pour la première fois la nécessité impérieuse de mettre en place une force d’interposition internationale sur les futures frontières, il évoque par ailleurs de manière inquiétante la création d’un “ Comité de Sécurité Trilatéral ” ne comprenant une fois de plus que les Etats-Unis, Israël et la Palestine. Ce “Comité de Sécurité Trilatéral” illustre on ne peut mieux le degré d’affaiblissement des Palestiniens. Même dans le cadre d’un accord officieux, ils sont obligés encore et toujours de remettre leur sort entre les mains du meilleur allié d’Israël, les Etats-Unis. Ils n’ont pas le droit d’en appeler à l’Europe ou à l’ONU.

Ces nouvelles concessions de la part des négociateurs palestiniens sont elles acceptables ? Nous sommes malheureusement obligés de répondre par une autre question : est-ce à nous, ici en France, d’en juger ? Est-ce à nous de rentrer dans le détail de négociations entre Palestiniens et Israéliens, si tant est qu’elles aient véritablement lieu ? De quel droit ? Il nous semble aussi inacceptable de dire, comme le font certains, que les Palestiniens doivent être “ réalistes ” et faire toujours davantage de concessions parce que le rapport de force leur est défavorable, que de s’arc-bouter dans une intransigeance qui sied mal à ceux qui vivent en France et non en Palestine.

Le peuple palestinien ne s’est pas prononcé pour le moment : 60.000 citoyens palestiniens seulement auraient à ce jour signé un texte, assez voisin de celui des accords de Genève, intitulé “ initiative Ayalon-Nusseibeh ”, sauf sur le dossier du droit au retour des réfugiés, où le renoncement pur et simple à la revendication est exprimé de manière plus franche et catégorique. Il semble, d’après les récits de terrain que nous lisons et collectons, qu’il soit difficile à une majorité de l’opinion palestinienne de s’intéresser à ce genre de négociations en coulisses pendant que l’armée israélienne les bombarde, leur confisque leurs terres, les empêche de circuler, de travailler et d’étudier.

Des “ accords ”, ils en ont vu passer un certain nombre et quel en a été le résultat ? Pendant ceux d’Oslo, de 1993 à 2000, non seulement le nombre de colonies dans les territoires palestiniens a doublé, mails leur vie sous occupation est devenue encore plus infernale qu’avant. La “ Feuille de route ”, très favorable à Israël, bien qu’acceptée par les dirigeants palestiniens, s’est vite envolée de même que ceux qui étaient censés la faire appliquer. Et comme d’habitude le terrorisme d’Etat israélien n’a fait l’objet d’aucune opposition au plan international tandis que seuls les attentats suicide étaient montrés du doigt.

Et que dit ce nouveau texte de Genève à propos de l’arrêt de l’occupation et du retrait de l’armée israélienne des territoires palestiniens qui seraient censés devenir indépendants ? Y a-t-il des échéances concrètes proposées pour une telle évacuation ? Aucune. “ L’accord de Genève ”, s’il prévoit un calendrier (toutes les mesures doivent être mises en œuvre dans les trente mois qui suivraient la signature par les deux parties, Etat d’Israël d’une part, Organisation de Libération de la Palestine d’autre part), est muet sur les étapes concrètes de ce calendrier.

Lorsqu’il était candidat au poste de Premier Ministre, l’un des négociateurs israéliens actuels, Amram Mitzna, avait au moins fait une promesse, très modeste certes, mais tangible : si je dirige le gouvernement, avait-il promis, j’entreprends tout de suite, avec finalisation en quelques mois, l’évacuation complète de Gaza. Mais l’accord de Genève ne comporte même pas une disposition de ce genre, aussi modeste soit-elle, qui permettrait au peuple palestinien de penser que la fin de l’Occupation, au bout de 36 ans, pourrait effectivement commencer avec un tel processus.

Comment alors se passionner pour une enième “ proposition de paix ” qui ne dit à aucun moment quand les Palestiniens retrouveront la liberté de circuler dans leur pays (et les voyageurs celui de rentrer en Palestine), et la liberté tout court ?

Notre association ne peut, dans la situation actuelle, que reprendre à son compte le jugement énoncé par Shamaï Leibowitz, israélien, juif pratiquant et refuznik, qui explique :
“ Bien entendu, j’aimerais voir conclure un accord de paix. Mais il ne peut y avoir de paix entre occupant et occupé ; c’est un peu comme si on demandait qu’il y en ait une entre le violeur et sa victime pendant le viol même. L’occupation doit d’abord prendre fin, parce que c’est un crime moral. Ensuite, nous pourrons commencer à discuter d’arrangements à long terme ”.**

En guise de conclusion, s’il ne nous appartient pas de nous substituer aux représentants palestiniens dans quelque négociation que ce soit, nous devons en revanche œuvrer pour que le soutien à la reconnaissance des droits nationaux du peuple palestinien soit le plus large possible, afin que nos propres dirigeants, en France, en Europe, et au niveau mondial, prennent enfin leurs responsabilités. Ce n’est qu’à ce prix que les Palestiniens ne seront pas contraints de brader leurs droits et leurs symboles, et qu’ils négocieront en position de partenaire véritable.

* (Haaretz, 4 novembre)
** “ Rompre les rangs ” de Ronit Chacham aux Editions Fayard, p. 141.

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