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NOUVELLE CHRONIQUE DE RAMALLAH, par ANNE BRUNSWIC

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Chronique n°6, du 31 octobre au 7 novembre

« Ces chroniques, je le crains, charrient trop de mauvaises nouvelles. Pas si nouvelles que ça, donc d’autant plus désespérantes. Positivons.


Bâtiment. Les chantiers de construction couvrent Ramallah. L’immobilier connaît une expansion extraordinaire depuis les accords d’Oslo dans la zone A confiée à l’Autorité palestinienne (2% de la surface de la Cisjordanie). Cet enthousiasme bâtisseur, m’a expliqué l’architecte Suad Amiry, résulte en partie de la pression démographique, mais surtout du fait qu’entre 1967 et 1995, l’administration israélienne a refusé tout permis de construire, même lorsqu’il s’agissait d’un étage supplémentaire ou d’un bâtiment de ferme. Certes, chacun déplore la multiplication par dix du prix du mètre carré de terrain en centre-ville. Certes, les gens de culture craignent de voir disparaître les belles villas de l’époque ottomane que leurs propriétaires cèdent à des promoteurs pressés de faire place nette. Certes, on s’inquiète de la multiplication des buildings de dix étages dans une ville qui connaissait surtout des maisons de deux ou trois niveaux. Mais réjouissons-nous : les capitaux palestiniens s’investissent en Palestine, signe de confiance dans l’avenir. Et quand le bâtiment va…

Voirie. Certes, les trottoirs sont régulièrement dévastés par les tanks israéliens qui ne trouvent jamais les routes assez larges pour eux. Mais, réjouissons-nous, dans la zone A, la seule où l’Autorité palestinienne peut décider des travaux de voirie sans subir de véto israélien, on répare après chaque passage des tanks. Grâce à la générosité de l’Union européenne et des Etats-Unis qui favorisent ainsi de nombreuses vocations de cantoniers.

Standing. Le fleuriste d’à côté a terminé des études supérieures de commerce à Naplouse. L’épicier un peu plus loin, animateur bénévole d’un centre culturel, est diplômé en économie de Bir Zeit. Le neveu de la voisine, patron d’une entreprise de falafels comptant trois employés, sort d’une école de management hôtelier aux Etats-Unis. La femme de ménage de la vieille dame d’en-dessous a quasiment achevé sa licence d’anglais. Certes, pour ces sur-diplômés, l’impossibilité d’utiliser leurs compétences du fait de l’asphyxie économique crée des frustrations. Mais pour moi, quoi de plus agréable que d’entrer chez l’agent de voyage et d’y passer une demi-heure à parler théâtre ?

Jeux. Les cafés Internet à Ramallah se comptent par dizaines. Loisir bon marché : l’heure de connexion dépasse rarement quatre shekels (80 centimes d’euros). Leur clientèle est en majorité masculine mais on y côtoie aussi quelques étudiantes friandes de courrier électronique, généralement la tête couverte. Les petits écoliers s’y précipitent dès la sortie de la classe ; ils raffolent des jeux vidéos, surtout des courses-poursuites en voiture. Les adolescents et jeunes adultes s’exercent à tirer virtuellement sur tout ce qui bouge. Ni plus ni moins que partout ailleurs. Rassurant, en somme.

Communication. Le téléphone portable, la parabole, tous les accessoires qui ignorent les check-points, connaissent une expansion illimitée. Avec des conséquences parfois heureuses. On m’assure que le professionnalisme de l’information sur la chaîne indépendante Al-Jazira tire les télévisions locales vers le haut. J’aime croire que le téléphone portable favorise quelques amours clandestines. J’aime croire que les paraboles ne transmettent pas seulement les images des pèlerins de la Mecque tournant inlassablement autour de la Pierre noire, au demeurant fascinantes pour les insomniaques.

Alimentation. Comme les routes reliant Ramallah aux villages environnants sont souvent fermées de longues semaines, la ville prend ses précautions. Les jardins sont plantés de fruitiers. Des moutons paissent à deux cent mètres de la Mukata (ou ce qu’il en reste). Le rez-de-chaussée d’un immeuble résidentiel de quatre étages un peu en contrebas abrite un vaste poulailler. Un peu de campagne à la ville, en somme.

Parfums. Le café moulu en sachet est une denrée qui n’a pas cours ici en raison du principe qu’on ne consomme pas de produits israéliens lorsqu’on peut l’éviter. Toutes les épiceries sentent le café grillé, toujours moulu devant le client. Le parfum s’échappe dans les rues, même les soirs de couvre-feu. Réjouissant, tout de même.

Nature morte. Un camion entier chargé de bananes vient d’arriver des plantations de Jéricho. Certes, ces petites bananes très savoureuses ont franchi cent obstacles administratifs, parcouru deux à trois fois plus de kilomètres qu’il n’est nécessaire et subi au moins cinq inspections militaires. Mais réjouissons-nous, c’est beau un chargement de bananes.

Bonheur conjugal. Certaines boutiques accrochent en devanture de la lingerie féminine sexy. Ici, une combinaison vermillon zébrée de noir, fermée par un lacet sur le devant, avec franges dorées à partir de la taille. Là, des strings violets et roses, pailletés d’argent. Les clientes, pieusement couvertes de la tête aux pieds d’une étoffe sombre et unie, se pressent à l’intérieur pour palper les étoffes et commenter les modèles. A la différence des autres monothéismes, l’islam ne proscrit pas les plaisirs du sexe, dans le cadre du mariage bien entendu. Réjouissons-nous à la pensée de la danse du ventre que ces dévotes offriront ce soir à leur mari.

Automobile. Certes les Palestiniens ignorent les panneaux de signalisation. Mais, réjouissons-nous, à force de rouler sur des routes défoncées, de contourner des obstacles d’une variété infinie, d’emprunter les itinéraires les plus tortueux, ils sont probablement devenus les meilleurs chauffeurs de la planète.

Hygiène. Certes le chant du muezzin amplifié par les puissants haut-parleurs de la mosquée réveille le quartier (en majorité chrétienne) à quatre heures du matin mais, réjouissons-nous, le bon peuple de toutes confessions échappe ainsi à la paresse et profite à plein des joyeux rayons du soleil matinal.

Sécurité. Les voisines ayant un sens aigu de l’observation, le moindre déplacement inhabituel est aussitôt repéré, bien mieux qu’avec des caméras électroniques. Les issues de la ville étant bouclées, voler une automobile est devenu incongru. Les armes à feu étant monopolisées par les services de sécurité de l’Autorité palestinienne (et bien sûr les Israéliens), aucun gangster ne peut prospérer. Seules les violences familiales (viols, sévices, crimes d’honneur…), favorisées par les couvre-feu et la promiscuité, se maintiennent à niveau convenable. Mais délinquance urbaine et criminalité sont tombées si bas que j’oublie souvent de fermer ma porte.
Ma porte était justement ouverte lorsque la voisine Georgette m’a invitée à venir prendre le café.

Histoire de Georgette Khoury.
“ Nous habitions à Ramleh où nos grands-parents possédaient des terres (près de ce qui est maintenant l’aéroport de Lod). Mes parents étaient cousins germains. Mon père a travaillé comme technicien, mécanicien, réparateur de batteries automobiles et maître d’école. Comme tous les hommes de moins de 50 ans, il a été arrêté en 1948. Il est resté trois ans en prison jusqu’en 1951 et il est mort en 1955. Mes oncles – le frère de mon père et les trois frères de ma mère – ainsi que l’aîné de mes cousins ont aussi été faits prisonniers.
“ Lorsque nous avons dû fuir Ramlah, j’avais un mois, un frère âgé d’un an et une sœur de deux ans. Ma mère m’a raconté toute l’histoire. Elle avait d’abord trouvé refuge avec ses trois enfants, moi dans ses bras, au couvent d’à côté. Elle n’a pu emporter que quelques pièces de linge brodé de son trousseau et nos certificats de naissance. Par les fenêtres, elle a vu les Juifs piller notre maison, emporter tout le mobilier.
“ Les Juifs ont fait monter dans des autobus les femmes et les enfants du village. Les vieillards ont reçu l’ordre de rester en arrière. Mon grand-père était un peu sourd, il n’a pas entendu l’ordre et a reçu une balle dans le genou. La panique était complète. Une femme s’est rendu compte seulement lorsqu’elle était déjà dans l’autobus qu’elle avait dans les bras un oreiller au lieu de son bébé. Elle hurlait. Plus tard, il y a eu un arrêt et tout le monde s’est posé à l’ombre des arbres, il faisait très chaud ce jour-là. Quand l’autobus est reparti, ma mère s’est aperçue que ma sœur Angèle manquait. Avec mes sept tantes (les trois sœurs de mon père et les quatre sœurs de ma mère), elles se sont mises à hurler jusqu’à ce que le chauffeur revienne en arrière ; Angèle jouait toujours sous l’arbre où on l’avait laissée. Si le chauffeur n’avait pas fait demi-tour, ces huit femmes l’auraient tué sur place.
“ On nous a fait descendre et il a fallu continuer la route à pied. Sans eau. Certaines femmes ont bu leur urine. Les enfants ont tous été brûlés par le soleil.
“ Avec mes tantes et mes cousins, nous nous sommes retrouvés à Bir Zeit, réunis dans une seule chambre. Nous nous éclairions avec une lampe au kérosène que nous n’allumions qu’une heure le soir, juste avant le coucher.
“ Quand mon père est revenu de prison, on a ajouté au milieu de la chambre un rideau en guise de séparation. Il avait beaucoup souffert : en prison, on ne leur avait pas donné de vêtements mais des sacs pour se vêtir ; quand on leur servait de la morue salée, on les privait d’eau.
“ Nous avons reçu le statut de réfugiés, attribué par les Nations Unies aux familles qui avaient perdu leurs terres ou leurs maisons en 1948. La carte donne droit aux écoles et aux dispensaires gérés par l’UNRWA. Mais nous n’avons jamais vécu dans les camps de réfugiés. Très peu de chrétiens y sont restés. Nous n’allons dans les camps que pour les recevoir des soins médicaux gratuits.
“ Jusqu’en 1967, nous vivions en Cisjordanie sous souveraineté jordanienne. Les Jordaniens nous traitaient convenablement, mais l’accord de cessez-le feu avec Israël ne permettait pas de franchir la frontière. Les familles séparées échangeaient des nouvelles par messages radio. A Noël, certains chrétiens habitant de l’autre côté recevaient des permis de trois jours pour voir leurs familles ; ils passaient à Jérusalem par la porte Mandelbaum. C’est ainsi que les religieuses du couvent de Ramleh sont venues nous voir en 1955 et ont rapporté à ma mère ses pièces de linge brodées. C’est la seule chose que nous avons sauvée de notre ancienne maison. Par chance, nous avons trouvé chez nos cousins au Caire une photo du mariage de nos parents et nous en avons tiré des copies pour toute la famille. Voilà tout ce qu’il nous reste. Notre terre s’appelait Thahabieh, littéralement “ Terre d’or ”, nous l’avons revue après 1967, elle était devenue un aérodrome militaire.
“ Ma mère a élevé seule ses cinq enfants en travaillant comme couturière à domicile. Elle travaillait pour une institution charitable et pour l’université. Nous l’aidions autant que possible.
“ Lorsque la deuxième guerre a éclaté, j’étais en train de passer mon bac à Bir Zeit. Il ne me restait que deux épreuves à composer lorsqu’on a entendu la nouvelle sur les transistors. Quelqu’un a proposé de me conduire à l’abri. Je me suis réfugiée à Ramallah chez une de mes tantes qui habitait juste à côté de la poste. Comme le boulanger avait encore du pain, avec ma tante, on rampé jusque chez lui. A ce moment-là, quatre avions ont bombardé à côté, à hauteur de l’école des filles. Ma mère, qui était sans nouvelles de nous, a appris ce bombardement ; ella a cru que nous étions mortes.
“ Pour ne pas tomber à nouveau sous le pouvoir des Israéliens, beaucoup de gens de Ramallah et de Bir Zeit ont fui vers Amman. Ma mère a refusé de vivre un nouvel exode et de diviser la famille. Nous sommes restés ici à Ramallah et nous n’en bougerons plus. Quoi qu’il advienne maintenant, nous ne partirons pas d’ici. ”

Georgette Khoury vit à deux pas du centre, dans un grand appartement ouvrant sur un jardin. Vers le nord, des collines à perte de vue, vers l’est la mukata détruite et de nombreux immeubles résidentiels récents. La vigne court sur la tonnelle à l’ombre de laquelle elle m’a invitée à m’asseoir, autour d’un café et de gâteaux aux épices aux pommes de sa fabrication. Une statuette en pierre polychrome de la Vierge décore la petite fontaine. Vêtue de ces lainages assortis que ma mère appelait des “ twin set ” et de pantalons étroits, Georgette a quelque chose dans l’allure qui évoque l’ancien empire britannique. Peut-être sa manière de se tenir droite, d’entretenir sa forme avec de longues marches, ou bien sa mise en plis sage et ses cheveux teints en roux clair. Au demeurant elle s’exprime en anglais avec aisance et toujours le souci du mot juste. Dans le salon, sous cadres, les photos de ses cinq enfants, le jour de l’obtention de leur diplôme universitaire, et en grande quantité, des photos de mariage, de bébés au landau, des réunions de famille. Quantité de napperons brodés sur une cheminée qui pourrait bien aussi être anglaise. Ici et là, des images pieuses fort décolorées.
Ses petits-enfants viennent tous les jours chez elle à l’heure du goûter. Le jardin, dit-elle, c’est l’affaire exclusive de son mari. La platebande centrale dominée par un grand palmier centenaire est plantée de rosiers taillés avec soin. Sur les côtés, fleurissent des buissons de lavande, des massifs de jasmin et de bougainvillier.
Le mari de Georgette jouit d’un privilège rare : une retraite décente. Il a travaillé durant quarante ans au service de la compagnie d’électricité du district de Jérusalem-Ramallah, créée par les Anglais au début des années vingt, passée en 1948 sous contrôle jordanien puis en 1967 israélien. Mais il ne pardonne pas aux nouveaux patrons d’avoir arrêté les générateurs de Ramallah, de gros engins que les Anglais fait venir d’Europe par bateau et qui sont restés ici à rouiller. Depuis l’arrêt de la production locale, les Palestiniens de Cisjordanie dépendent pour leur consommation de l’énergie électrique produite en Israël. Et les colons se fournissent à bon compte.

Israël plonge délibérément les Palestiniens dans le sous-développement. Georgette m’en donne encore un exemple : la petite entreprise de son gendre. “ Il fabriquait toute sorte d’objets à base de plastique et de métal, des cintres, des accessoires d’ameublement. La matière première venait de Naplouse. Comme il n’arrive plus à se fournir, il a été obligé de licencier ses trois ouvriers. Il fait tourner l’atelier maintenant avec un de ses frères qui a lui aussi s’est retrouvé au chômage. ” Des histoires d’entreprise qui ont licencié tout ou partie de leur personnel du fait des restrictions de circulation, j’en ai déjà entendu quelques unes. L’avocat d’affaires Jalal Khader m’a raconté l’histoire de son client, la fromagerie de Ramallah, passée l’an dernier de 70 à 17 employés. Il va réclamer pour les nombreux chargements de produits laitiers bloqués en plein soleil dans les check-points.

Mercredi. Georgette va ce matin au camp de réfugiés d’Am’ari. C’est là qu’elle se fait de temps à autre masser le cou et les épaules, dans un petit centre voué à l’action caritative et à la réhabilitation des jeunes handicapés. Elle m’a invitée à l’accompagner. Situé au sud de Ramallah, sur la route de Jérusalem, le camp a été peu à peu absorbé par la ville qui l’entoure. Mais il demeure un quartier à part reconnaissable à ses ruelles étroites, ses maisons édifiées dans des matériaux pauvres avec des façades de béton ou de parpaings nus. Pas un arbre ni le moindre jardinet, des chaussées vaguement asphaltées et une densité humaine nettement plus importante que dans le reste de la ville : 7800 personnes résident officiellement dans le petit périmètre du camp. Avec un fort pourcentage de jeunes : 3 000 moins de 18 ans fréquentent les écoles de l’UNRWA. Et de chômeurs : 70% des chefs de famille.

Des dizaines d’écolières sac au dos envahissent soudain les rues, toutes revêtues de l’uniforme : la longue blouse bleue rayée qu’on porte par-dessus un pantalon (le plus souvent un blue jean). Foulard sur la tête pour les adolescentes, quasiment sans exception. Une gamine de douze ans, sac au dos, nous aborde avec une mine joyeuse. “ Tu ne portes pas l’uniforme de l’école ? – Non, avec ça je suis dispensée ” lâche-t-elle en montrant sa robe-manteau noire à la mode des fondamentalistes.

A l’angle de l’artère principale, cinq ouvriers s’affairent sur le chantier d’une maison neuve. Ils se préparent à couler du béton dans un coffrage. “ L’armée a démoli la maison, son propriétaire est en prison ” commente Georgette. Un peu plus loin un vieux monsieur badigeonne de bleu sa maison. “ C’est mon grand-père, explique une collégienne. Il vous invite à boire un soda à l’épicerie d’en face, chez notre oncle. ”

Le Centre Local de Réhabilitation est une institution modeste qui vit de dons. Une dizaine de personnes y travaille, majoritairement des femmes. Disposées autour d’une courette, de petites pièces de plain pied sont équipées pour rendre les différents services du centre : une salle pour les massages et la gymnastique, une pour la coiffure et les soins de beauté, une pour les jeux éducatifs réservés aux enfants handicapés. Dans la petite salle de classe, une jeune institutrice lit une histoire à trois adolescents handicapés cérébraux. Elle demande au plus habile, Refaat, de réciter en anglais la liste des mois de l’année et des jours de la semaine. Il s’en sort à merveille, tout le monde l’applaudit. A gauche du tableau noir, le portrait du président Arafat est scotché au mur. A la cuisine, deux femmes enjouées préparent les repas pour les indigents et les malades dispensés d’observer le jeune du ramadan. Au total, le centre concentre beaucoup d’activités dans un nombre dérisoire de mètres carrés ; l’équipe semble unie dans la bonne humeur.

Le dispensaire géré par l’UNRWA bénéficie de financements nettement plus importants et l’affluence y est considérable. En ce milieu de matinée, la salle d’attente meublée de bancs de bois contient une centaine de personnes assises ou debout, en grande majorité des femmes. Du côté des soins aux nourrissons, c’est une cohue de mères avec des bébés dans les bras. Une ravissante jeune femme présente devant mon appareil photo ses triplés qu’elle vient de faire vacciner, une fille et deux garçons, chacun dans leur couffin, chacun emmaillotté d’une couleur différente. Partout des femmes assises sur des bancs ou des tabourets allaitent, dénudant un sein au milieu de leurs voiles et foulards de toutes couleurs. Malgré l’affluence dans les files d’attente, qui pour une piqûre, le personnel médical (seules femmes à n’être pas voilées) reste souriant et disponible.
L’UNRWA dont le bugdet est voté par les Nations Unies annonce régulièrement la baisse des prestations qu’elle alloue aux plus démunis. D’autres institutions humanitaires (associations caritatives et organisations non-gouvernementales) se sont implantées pour aider les Palestiniens, particulièrement dans les camps de réfugiés. Sans elles, la société palestinienne exploserait. Mais leur rôle est souvent questionné. Il y a d’abord ceux qui trouvent profondément humiliant pour les plus pauvres de solliciter l’aide humanitaire, profondément humiliant pour le pays tout entier de dépendre de l’assistance internationale pour sa subsistance, d’autant alors que toutes les compétences existent pour développer le pays. Les financements importants, gouvernementaux et non-gouvernementaux, venant d’Europe, d’Amérique du Nord et des Emirats soulèvent de sérieuses questions politiques, qu’on aborde le plus souvent avec discrétion. La Palestine ne vit-elle pas tout entière sous anesthésie du fait de l’importance des crédits internationaux ? Ces dépenses d’éducation, de santé et d’assistance sociale ne devraient-elles incomber à l’Etat israélien qui s’est arrogé depuis 1967
l’administration civile des des “ territoires occupés ” ? La communauté internationale, en allégeant les souffrances des Palestiniens et en assurant même leur promotion sociale, n’a-t-elle pas permis à Israël de ne pas payer le coût de l’occupation ? (Réflexions d’un haut fonctionnaire français en poste à Ramallah, tenu à l’obligation de réserve.) L’argent est-il toujours bien dépensé ? Les salaires versés par les organisations internationales, souvent trois fois supérieurs à ceux qu’alloue l’Autorité palestinienne, n’ont-ils pas pour effet de drainer les meilleurs cadres et de priver l’administration publique des compétences nécessaires ? Ne sont-ils pas pour l’essentiel (80% dit-on) dépensés dans des études qui restent sans traduction concrète sur le terrain ? Ne sont-ils pas générateurs de corruption ? Peut-on laisser à la Banque mondiale, à l’Unicef, à telle fondation suédoise ou suisse le soin de définir les besoins prioritaires des Palestiniens et la manière de les satisfaire ? (Réflexions de Hael Al Fayoum, économiste et cadre de l’OLP).

Il y a aussi ceux qui défendent les ONG comme un contrepouvoir indispensable. Rita Giacaman, médecin, chercheuse et directrice du DESS de santé publique à la l’université de Bir Zeit, assure que certains besoins de la populations ne seraient jamais pris en considération si les ONG n’étaient pas là. Qu’elles constituent un espace libre de débats et donc de démocratie dont, en l’état actuel, il serait dangereux de se priver.

L’occupation produit toutes sortes de paradoxes. Elle génère à haute
dose la pauvreté, le chômage, l’insécurité quotidienne, l’injustice et l’humiliation. Dans le même temps, grâce notamment à l’aide internationale, le niveau d’instruction, l’espérance de vie et l’aspiration à la liberté ne cessent de grandir.

Samedi et dimanche, jours de manifestations. Je suis allée à Tel Aviv rejoindre les amis. Je n’y étais pas venue depuis six semaines. Passer d’un côté à l’autre est toujours un choc. Me voici le long de la plage avec les grands hôtels qui s’alignent sur le front de mer. Autour de l’ancien port, les terrasses de restaurant sont bondées en ce début d’après-midi. Le soleil chauffe encore. Décolletés, lunettes noires, bière pression, couples qui s’embrassent, chiens qu’on tient en laisse. Le souffle de la mer, l’odeur des embruns, le bruit des vagues, la longue passerelle de bois, l’horizon vers l’Ouest illimité. Le soir, vernissage dans une galerie d’art contemporain et dîner dans un restaurant italien. Je ne dirai rien de cette escapade à mes amis de Ramallah.

Moins de cinq cent personnes au rassemblement devant la cinémathèque de Tel Aviv. Au programme, la commémoration de la chute du Mur de Berlin mais surtout, la campagne contre la construction de la nouvelle “ clôture de sécurité ”, 475 kilomètres pour la clôture principale, 169 pour les clôtures secondaires. Selon le dernier sondage sérieux, seuls 16% d’Israéliens sont convaincus que cette barrière physique ne peut ni empêcher ni même réduire les attentats. Le fait que son tracé ne suive pas la ligne verte de 1967 dérange 19%. Restent 63% d’Israéliens qui non seulement y sont favorables mais souhaitent que le tracé suive les desiderata du gouvernement . Sur la placette devant la cinémathèque, les vingt organisations n’ont guère rassemblé que leurs supporters les plus fidèles. Pendant qu’elles se succèdent au micro, les militants vendent quelques tee-shirts où l’on lit en trois langues “ la guerre n’est pas mon langage ”, les copains échangent des nouvelles et les chiens en laisse s’intéressent à leurs congénères. De l’avis de tous, le rassemblement est plutôt un succès et l’on a connu de plus maigres.

Retour à Ramallah, dimanche midi. Sur la place Al-Manara, une foule un peu plus conséquente, mille personnes peut-être, écoute les orateurs de l’OLP dénoncer avec éloquence le mur de l’apartheid et les dernières souffrances infligées au peuple palestinien (encore cinq combattants tués ce week-end et un enfant de dix ans). Beaucoup de drapeaux rouges et peu de drapeaux palestiniens. A peu près les mêmes slogans qu’hier, à l’exception d’une banderole en arabe où l’on lit un signe d’égalité entre l’étoile de David et la croix gammée, chose qu’on ne verra jamais à Tel Aviv.
Pour finir, deux bonnes nouvelles glanées cette semaine dans les journaux.
On lit à la une du Jerusalem Post que l’armée israélienne exige des crédits supplémentaires pour construire de nouvelles prisons. Faute de place à l’ombre, elle a dû renoncer depuis huit jours à arrêter des “ terroristes ”.

Colin Powell a apporté son soutien au plan de Genève, au grand dam de Sharon et de tout son cabinet qui a mené campagne depuis trois semaines contre Yossi Beilin et les autres signataires israéliens, ces “ traîtres passibles de la cour martiale ”. Même si le lendemain, l’ambassadeur américain, a rectifié en parlant d’un “ encouragement ” et non d’un “ soutien officiel ”.

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