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VOYAGE EN PRISON (par Toine van Teefelen)

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22 janvier – Voyage en prison
Toine van Teeffelen, Electronic Intifada, 20 janvier 2004
http://electronicintifada.net/v2/article2362.shtml
Toine van Teeffelen est un Hollandais marié à une Palestinienne. Il est le coordinateur local des Civils Unis pour la Paix, une initiative hollandaise qui envoie des observateurs civils en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.


En arrivant à Tel-Aviv, de retour de vacances passées avec Mary et les enfants, un corpulent garde de sécurité au sourire amical me conduit à travers le complexe aéroportuaire Ben Gourion pour m’interroger. Dans une pièce lointaine, petite et peu décorée, l’homme me montre son insigne du ministère de la Défense et me demande comment je me sens.
Une deuxième personne, apparemment un témoin, m’apporte de l’eau dans un gobelet en plastique et garde le silence, la tête baissée. D’un air plutôt détaché, l’autre commence à enchaîner question sur question dans un anglais simple et direct.
« Comment avez-vous rencontré votre femme ? »
« Aimez-vous la société arabe ? »
« Quels enseignants musulmans connaissez-vous à Bethlehem ? »
L’homme prend des notes très espacées et dessine des flèches entre mon travail et les bailleurs de fonds. D’une voix légère, il mentionne qu’il ne croit pas au genre d’activités pacifiques que je mène.
« Comment vous placez-vous sur l’échiquier politique – à droite, au centre, à gauche, à l’extrême gauche ? »
« Ecoutez bien s’il vous plaît, c’est une question importante : Avez-vous des contacts avec le Mouvement de Solidarité Internationale ou avec des factions politiques palestiniennes ? »
Il me dit presque en s’excusant qu’il n’est pas commun que des étrangers vivent à Bethlehem en ce moment.
« C’est pour cela que je vous pose toutes ces questions. » Puis la rencontre prend fin abruptement.
« Tout est en règle, vous pouvez partir. »
Un voyage long et ennuyeux est également terminé. Après une escale impromptue à Vienne due à un brouillard épais, on m’a gardé pendant plus d’une heure dans une pièce isolée de l’aéroport de Budapest, où je devais prendre un avion de la compagnie El Al, tandis que trois personnes fouillaient méticuleusement mes bagages dans une pièce attenante.
Ils ont cru que ma brosse à cheveux contenait un mécanisme électronique et un garde de sécurité a paniqué et a prévenu ses collègues en hurlant. Ils n’étaient pas d’accord sur ce qu’ils devaient en faire.
Une fois à Bethlehem, j’ai attendu dix jours le retour de Mary, des enfants et de ma belle-famille qui avaient passé des vacances prolongées en Hollande, à Paris et en Bretagne où ils avaient goûté à la liberté dans les forêts et à la plage.
« Retour à la vie anormale, » a l’habitude de dire Mary en entrant en Palestine. Au Pont d’Allenby, ils ont eu l’immense chance de trouver un taxi dans lequel rester tout du long jusqu’à Bethlehem. Il pleuvait des cordes. Le chauffeur du taxi était nerveux et craignait que des soldats contrôlent le véhicule, car il n’avait pas le droit de transporter des passagers sans les permis appropriés et il voulait déposer ma famille quelque part avant ‘Azzariyyeh (la Béthanie biblique).
Cependant, Mary a insisté et l’homme a bien senti qu’il ne pouvait laisser les enfants et ma vieille belle-mère dehors sous la pluie battante. « Combien de passeports étrangers avez-vous ? » a-t-il demandé. Mary a répondu la vérité, « deux » (pour les enfants). Probablement à cause de la pluie, les soldats ne contrôlaient pas toutes les voitures et ainsi ma famille a pu faire le voyage jusqu’à Bethlehem en traversant Jérusalem plutôt qu’en passant par la route sinueuse et escarpée de Wadi Nar qui longe l’est de la ville et sur laquelle se situe un poste de contrôle réputé difficile.
Les coûts dont s’est acquittée ma famille pour le voyage de Bethlehem à Amman et le trajet du retour égalent presque un voyage en avion, soit 200 dollars par personne comprenant les coûts des taxis spéciaux, les taxes à la frontière, l’autorisation d’entrée délivrée par la Jordanie et un hôtel à Amman.
Ce n’est pas pour les pauvres.
A présent, sur le chemin du Pont d’Allenby les Palestiniens passent parfois la nuit dans un hôtel d’ ‘Azzariyyeh ou de Jéricho. La route est pleine d’obstacles, le dernier en date étant le Mur. Le Mur haut de huit mètres construit la semaine dernière à ‘Azzariyyeh a suscité la remarque suivante des habitants : « même Jésus [qui a ressuscité Lazare en Béthanie/’Azzariyyeh] n’aurait pas pu pénétrer dans la ville à travers ce mur. »
Les obstacles rencontrés au cours des voyages ne concernent pas seulement les Palestiniens. Depuis le 4 janvier, les visiteurs étrangers (ou les Palestiniens voyageant avec un passeport étranger et un visa) sont obligés d’avoir une autorisation spéciale pour entrer dans les territoires palestiniens. Selon la déclaration publique, ils risquent même d’être déportés si on les contrôle sans permis, à Bethlehem par exemple.
Mais qu’en est-il des touristes qui visitent l’Eglise de la Nativité ? Ont-ils eux aussi besoin de se munir d’un permis ? J’ai téléphoné au Bureau de la Représentation hollandaise à Ramallah qui m’a répondu que le Bureau avait été informé de cette nouvelle règle mais que les modalités de son application n’étaient pas encore clairement définies. Même le lieu d’inscription pour l’obtention du permis n’était pas encore clairement établi.
Le détenteur d’un passeport étranger à l’Université de Bethlehem a pensé que cette mesure était un ballon d’essai israélien afin de tester les réactions de la communauté internationale. Si ces dernières étaient faibles, Israël procèderait à l’application de la mesure au moins dans certaines zones de la Cisjordanie. D’une manière générale, la mesure semble faire partie d’une politique logique menée ces dernières années pour écarter les activistes internationaux, les observateurs et même les touristes et les pèlerins afin qu’ils ne puissent voir et rapporter ce qui se passe dans les territoires palestiniens et pour créer un sentiment d’isolation dans la population.
Les étrangers sont supposés partager l’habitude qu’ont les Israéliens d’éviter ces zones, comme si elles étaient contaminées. Combien de fois des Israéliens m’ont-ils dit de bien faire attention et de prendre garde à moi en allant à Bethlehem tandis que moi je me sens toujours plus en sécurité à Bethlehem qu’à Jérusalem ? Récemment un ami m’a dit que les « murs se referment sur nous ». Comme c’est vrai.
Au travail, les professeurs d’un atelier me disent tous que Bethlehem va être cernée par le Mur. Au sud est, le projet de construction d’une résidence destinée aux étudiants de troisième cycle de l’Université de Bethlehem est menacé par le Mur près de Khilit al-Jooz. L’affaire a été amenée devant la Haute Cour israélienne, comme celle concernant le tracé du Mur prévu pour encercler la tombe de Rachel.
Un autre professeur mentionne que le côté ouest de Bethlehem, les beaux champs de Cremisan et le monastère salésien seront coupés de Beit Jala. Au nord, la clôture métallique sépare déjà Bethlehem des oliveraies désormais annexées à Har Homa/Abu Ghneim. Au sud, on s’attend à ce que le Mur soit construit près des colonies de Gush Etzion. L’histoire est connue à présent : les instituts seront séparés de leurs clients, les familles seront divisées, les paysans seront coupés de leurs champs et les enfants des écoles.
Physiquement, avec ce Mur qui s’impose partout à la vue de tous, le sentiment d’isolation sera accablant. Economiquement, cette barrière imposée aux échanges commerciaux scellera le sort des communautés palestiniennes de Cisjordanie. Selon l’Institut de Recherche Appliquée de Bethlehem, plus de 70% de la population de la ville est déjà au chômage, soit 10% de plus que l’année dernière.
De plus, les organisations d’aide internationales décideront peut-être de quitter massivement les territoires occupés afin de ne pas subventionner l’occupant qui est après tout responsable du bien-être de la population sous son contrôle. Les Palestiniens risquent alors de devenir un groupe dont on parle beaucoup mais que l’on oublie humainement. A l’Institut de Bethlehem nous recevons des centaines de prières de Noël et de souhaits, collectés dans l’espoir d’infléchir une telle tendance par le mouvement pour la paix, Pax Christi, dans différents pays du monde. C’est une consolation, même si elle reste symbolique.
De retour à l’école, Jara lit un passage sur la pêche à Gaza dans son manuel scolaire d’études sociales. On lui recommande d’aller avec son professeur à Gaza pour y rendre visite aux pêcheurs, comme s’il était possible pour des étudiants de Cisjordanie d’aller avec leur classe à Gaza. Et peu importe que les pêcheurs à Gaza soient à peine en mesure de quitter le port, suspectés par la marine israélienne de faire passer des armes en contrebande.
Tamer, quant à lui, est encore enthousiasmé par ses voyages en avion. A présent il prend ses parents et les visiteurs par la main pour leur montrer fièrement l’avion (tayyaara) en plastique qu’il a accroché au mur de sa chambre. Heureusement, Jara et Tamer ne sont pas encore vraiment conscients qu’ils grandissent dans une prison.

Traduction Ibtissem Almi

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