19 février – Nous publions ci-dessous une enquête du Guardian sur une opération qualifiée d' »anti-terroriste » par l’armée israélienne à Naplouse et décrite par les témoins comme des meurtres de sang-froid.
L’auteur de l’article, Conal Urquhart est reporter à Naplouse.
(Traduction de Anne Brunswic)
« L’armée israélienne fait face à des pressions croissantes afin qu’elle s’explique sur une série décès de Palestiniens tués au cours d’une opération de trois semaines dans la ville de Naplouse. Selon des témoins directs et les médecins, au moins 2 sur les 19 morts porteraient les signes d’exécutions.
L’opération a été lancée le 16 décembre pour rattraper Naïf Sharekh, que l’armée accuse d’être derrière le mouvement des kamikazes de Naplouse. Le réprésentant des Nations Unies dans la ville la décrit comme la plus grande opération militaire depuis “ Bouclier défensif ” en avril 2002.
Jusqu’à son retrait partiel le 6 janvier, l’armée a tué quatre hommes armés et 15 civils sans armes dont 6 enfants. Deux associations de défense des droits de l’homme, une israélienne et une palestinienne enquêtent sur les décès et veulent contraindre l’armée à ouvrir sa propre enquête.
Lorsqu’elle avait tiré sur l’étudiant britannique Tom Hurndall, 21 ans, l’an dernier, elle avait soutenu avoir tiré sur un terroriste armé. Six mois plus tard, à la suite d’énormes pressions de la famille Hurndall, l’armée a inculpé un soldat pour meurtre.
Ala Dawaya, 21 ans, se rendait à son travail de boulanger quand les soldats israéliens lui ont tiré dessus dans la vieille ville de Naplouse le 18 décembre. Le chauffeur de l’ambulance appelé sur les lieux a trouvé un homme blessé se tenant assis près d’une Jeep de l’armée. “ On m’a appelé à 3h du matin pour aller au Marché de oignons ” a-t-il dit. “ J’y suis arrivé en 3 minutes et j’ai vu un homme blessé contre un mur, à quelques mètres d’une Jeep israélienne ”. Il est reparti au bout de la rue d’où il pouvait encore voir le blessé et la Jeep. “ Ils ont alors commencé à lui tirer dessus depuis la Jeep. A chaque balle, le corps bougeait, ils attendaient puis tiraient à nouveau, parfois coup sur coup. Ils lui ont tiré dessus plus de dix fois en quelques minutes ” a-t-il dit.
Quand les tirs ont cessé, la Jeep a laissé l’ambulance approcher. “ L’homme était mort et ses deux orbites oculaires pendaient. J’ai regardé le contenu du sac en plastique noir à côté de lui : un pantalon, des chaussures et un tablier couverts de farine. Nous l’avons placé sur un brancard et porté dans l’ambulance. Au moment où nous partions, la Jeep a approché. Un soldat a dit “ Il est mort ? Il a ensuite demandé ce qu’il y avait dans le sac et je lui ai montré. Il a demandé la carte d’identité du mort et parlé dans sa radio plusieurs minutes. Ensuite il nous a ordonné d’emmener le corps. ”
L’ambulance a transporté le corps à l’hôpital Rafidia où il a été examiné par le Dr Samir Abu Zarour. Bien qu’il ne soit pas légiste, ce médecin est le plus expérimenté à Naplouse, pour avoir examiné plus de 250 blessés par balles au cours des trois dernières années.
“On lui a tiré dessus entre 8 et 10 fois, dont 2 fois au visage et une fois dans les testicules. Il présentait aussi plusieurs blessures par fragmentations aux jambes ” a-t-il dit.
Le porte-parole de l’armée a dit que Naplouse était placé sous couvre-feu afin de séparer les civils des terroristes.
“ Les soldats ont repéré un terroriste installant un engin explosif sur la route. Ils ont tiré sur lui et quand ils ont examiné le sac, il contenait le matériel explosif suspecté. Par la suite, ils ont découvert qu’il était membre du Jihad islamique. ” Le porte-parole a nié que les soldats aient tiré plusieurs fois.
Le 7 janvier, dans le cadre de la même opération, un détachement important a investi le quartier de Makhsia vers 3 h du matin, encerlé la maison de la famille Qassas. “ Mon père, mon oncle, ma tante et moi, nous avons dû partir, a déclaré Modifa Qassas, mais ils ont gardé à l’intérieur mes quatre frères. La dernière fois que j’ai vu Abdul, entouré de soldats israéliens, il nouait ses lacets ”.
Abdul Qassas, 25 ans, était revenu d’Arabie Saoudite deux ans plus tôt après avoir appris à fabriquer des rideaux dans l’entreprise d’un parent. Ses trois frères ont été emmenés par les Israéliens. L’un d’entre eux est toujours en prison, les autres ont été relâchés. Les soldats ont fouillé la maison, arrosé de balles quelques pièces et un échange de tirs prolongé s’est déroulé à l’intérieur. Les témoins sont incapables de dire ce qui s’est passé car ils gardaient la tête baissée. Qassas a été emmené dans le jardin voisin et a été interrogé. Personne n’a vu ce qui lui est arrivé.
Amra Sadija, une secrétaire au ministère palestinien de l’éducation, a déclaré : “ Les tirs ont continué pendant des heures. Entre 5h et 6h, j’ai entendu un homme hurler. Il répétait “ je jure devant Dieu, je ne le connais pas. ”
Sa voix était si aigüe que je ne la reconnaissais pas. Je ne pourrais pas dire ce qui lui est arrivé parce que qu’il y avait encore des tirs de tous les côtés. Ensuite, tout s’est tu. A 6h, j’ai entendu du mouvement et à 6h30, les soldats sont partis ”.
Les soldats ont trouvé le corps de Qassas à quelques mètres de sa maison. On l’a également présenté au Dr Zarour. “ On m’a appelé à 6h45 et je suis arrivé à l’hôpital à 7h. Abdul Qassas a reçu deux balles, dont une à travers la lèvres supérieure qui est sortie par le milieu du dos ” a-t-il déclaré.
“ La trajectoire laisse supposer que la victime était à genoux, a dit le Dr Zarour, et la taille des blessures indique une distance de tir de trois à cinq mètres. ”
Le porte-parole de l’armée a déclaré que les soldats ont visé Qassas qui se cachait, redoutant qu’il soit un tireur embusqué. “ Ils ont commencé une procédure d’arrestation, en criant en arabe et en hébreu. Ils ont lancé des tirs d’avertissement. Puis, craignant qu’il tire, l’ont abattu. On l’a trouvé sans armes, mais les soldats ont découvert par la suite que c’était un homme recherché. ”
Sa famille ignore pourquoi Abdul a été abattu, mais il se peut qu’il ait été soupçonné de cacher un homme dont le corps a été retrouvé dans le même jardin. Ibrahim Atawi, 32 ans, était un chef important des Brigades des Martyrs Al-Aqsa à Naplouse. On ignore s’il a pris part aux échanges de tirs et comment il est mort. Le Dr Zarour a déclaré : “ Son corps était comme une passoire. J’ai compté 15 blessures par balles de différents calibres, peut-être plus. Trois balles tirées directement dans le nez. Le genou droit en morceaux, sans doute écrasé avec une pierre. Les pantalons étaient déchirés aux genoux avec des fragments d’herbe sur la peau et dans la chair. ”
“ Son bras gauche a été entaillé en deux endroits avec un couteau et il y avait des blessures ressemblant à des morsures de chien sur ce bras et autour des testicules. Je ne suis pas assez expert pour dire si ces blessures sont antérieures ou postérieures à la mort ” a-t-il dit.
Le porte parole de l’armée a déclaré qu’Atawi s’était d’approché armé d’un révolver. “ Ils ont tiré avant qu’il ait pu leur tirer dessus. Le révolver était chargé. ” Il nie les blessures imputées par le médecin.
Le nombre élevé de décès à Naplouse autour de Noël et leur brutalité sont passés inaperçus des groupes de défense des droits de l’homme et des médias à cause de l’isolement de Naplouse, mais lentement les gens commencent à s’y intéresser.
Noam Hossfater, porte-parole de B’tselem, une association israélienne, a déclaré que le cas de Qassas était examiné en vue de forcer l’armée à ouvrir une enquête : “ Pour le moment, il n’y a pas de témoin oculaire, donc nous ne pouvons pas encore parler d’exécution, mais lorsqu’on retrouve morte une personne placée en garde, cela laisse penser à des faits très inhabituels. ”
Bassem Eid, directeur du Groupe de surveillance palestinien des droits de l’homme, a annoncé que l’avocat de l’association allait écrire au procureur général de l’armée israélienne pour réclamer une enquête. »
Conal Urquhart
Dimanche 1er février 2004
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