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« LE GHETTO INTERIEUR », par Uri AVNERY

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29 février – Uri Avnery, l’un des dirigeants de Gush Shalom, prend dans un article publié le 28 février, l’exemple du Mur, de la relation faite par les médias israéliens sur la Cour de Justice de La Haye, pour montrer la « mentalité de ghetto » qui est entretenue dans la société israélienne.


« Il est plus facile de sortir les Juifs du ghetto que de sortir le ghetto des Juifs ! » – ce dicton des premiers sionistes prend aujourd’hui un nouveau sens. Israël se coupe du monde et s’enferme dans un ghetto, et pas seulement physiquement.

A La Haye, les délibérations de la Cour internationale de justice sur le Mur de séparation ont débuté. Les gens de Sharon comprennent qu’ils n’ont aucune chance de gagner et ont donc décidé de boycotter l’audience. Au lieu de présenter leurs arguments devant la Cour, ils ont décidé d’organiser un événement dans la rue, dans l’esprit de l’habituelle maxime israélienne : « Si votre cause est faible, élevez la voix ! »

A l’intérieur de la salle d’audience, on apportait des arguments juridiques. Les représentants de la Palestine ont démontré que le Mur est illégal puisqu’il est érigé en pleine Cisjordanie. D’après eux, si Israël craint les attentats-suicides, il a le droit d’élever un tel mur sur sa frontière, mais pas au cœur du territoire occupé où il enferme la population palestinienne dans des enclaves qui sont comme des prisons. Personne n’a réfuté cet argument à l’intérieur de la Cour.

A l’extérieur, les gens de Sharon ont organisé un spectacle coloré. Comme un outil publicitaire pour les médias, ils ont transporté d’Israël un bus détruit dans un attentat-suicide accompagné de spécialistes du ramassage des débris de corps humains. Des dizaines de membres des familles de victimes des attentats ont également été amenés. L’ambassade d’Israël a distribué les photos des 900 victimes et des étudiants juifs les ont portées en procession. Le message : les Juifs souffrent ; en Israël aussi ils sont victimes de pogroms.

Plus tard dans la journée, les Palestiniens ont organisé un contre-spectacle. Là, on a rendu hommage aux 3.000 victimes de l’Intifada et rappelé les souffrances de la population palestinienne sous occupation. Les habitants de La Haye ont été les spectateurs d’une sorte de championnat du monde de victimes. Les médias du monde entier ont consacré quelques minutes à égalité à chacun des deux spectacles. Mais, pour eux, l’événement principal était les audiences à l’intérieur de la Cour.

En Israël, c’est une image totalement différente qui a été présentée. Dans un style rappelant l’Union soviétique, les médias se sont engagés comme un seul homme au service d’un lavage de cerveaux. Toutes les chaînes de télévision, toutes les stations de radio, tous les journaux sans exception ont pris part à cet effort national. Du matin de bonne heure à tard dans la nuit, toutes les stations de télévision et de radio ont couvert l’événement depuis La Haye et ont donné l’impression que le monde entier était rivé au spectacle de rue israélien.

Les audiences elles-mêmes étaient présentées comme sans importance, un misérable petit spectacle d’Arabes et autres antisémites. La manifestation israélienne a été transformée en un événement secouant le monde entier. Le bus détruit est apparu sur les écrans de toutes les chaînes israéliennes des dizaines et des dizaines de fois, tout comme les familles des victimes. Encore et encore et encore. L’événement palestinien correspondant a été diffusé pendant quelques secondes, ainsi que les audiences de la Cour. Juste pour montrer à quel point nous sommes libéraux, on a pu entendre trois phrases du représentant palestinien.

Mais le message pour le spectateur et l’auditeur israélien était sans équivoque : c’était une totale victoire israélienne. Le monde entier comprend maintenant que dans cette histoire nous sommes les victimes, que les Palestiniens sont des terroristes, que le Mur est nécessaire pour sauver nos vies, que « les vies des Juifs sont plus importantes que la qualité de vie des Palestiniens » – une phrase répétée des dizaines de fois au long de la journée. Une phalange d’officiers, d’agents des services de sécurité, de reporters, de commentateurs et de professeurs se sont prêtés à des débats sur toutes les chaînes pour dire tous exactement la même chose : nous sommes attaqués, nous sommes les persécutés, les Arabes sont des tueurs, nous ne faisons que nous défendre. L’occupation n’a pas été mentionnée du tout. Pourquoi l’aurait-elle été ? Qu’a-t-elle à voir là-dedans ?

Au moment de l’émission, les mouvements pacifistes israéliens manifestaient contre le Mur devant la résidence du Premier ministre à Jérusalem. La première chaîne de TV, chaîne nationale, les a montrés pendant quatre secondes. Tout au long de la journée, pas une seule chaîne de télévision, pas une seule station de radio israélienne n’a permis à quiconque de dire un mot contre le Mur ou en faveur de la Cour internationale.

C’est vraiment effrayant, parce que cela se passe dans une démocratie. Aucun KGB ni Gestapo ne menace la vie de nos journalistes, aucun goulag ni camp de concentration n’attend ceux qui s’écartent de la ligne officielle. Tout est fait volontairement à partir d’une conviction intime.

Il est vrai que les médias libres dans les Etats-Unis démocratiques se sont conduits presque de la même façon dans les premiers jours de la guerre en Irak. Mais eux, au moins, n’étaient pas affectés du syndrome de « Tout le Monde Est Contre Nous ».

Le lendemain de la première session de la Cour, le ministre adjoint de la Défense, Zeev Boim, a déclaré à la Knesset que tous les musulmans sont des meurtriers dès leur naissance, que c’est dans leurs gènes. Et un ami personnel d’Ariel Sharon a déclaré à la télévision : « Arik m’a dit qu’il est profondément inquiet de la montée de l’antisémitisme chrétien. Par exemple, dans le film de Mel Gibson La Passion du Christ. Et maintenant, une grande partie du monde musulman est également infectée par l’antisémitisme. »

C’est la mentalité du ghetto. Nous avons créé l’Etat d’Israël afin de devenir une nation normale, « un peuple parmi les peuples ». Les événements de cette semaine montrent que nous n’y sommes pas parvenus. Le ghetto est profondément ancré en nous.

Cela jette aussi une autre lumière sur le Mur de séparation. Il enferme les Palestiniens dans des enclaves, mais nous, il nous renvoie à la réalité du ghetto, et pas seulement physiquement.

La lutte contre le Mur a de nombreux aspects. C’est non seulement une lutte pour libérer les habitants de la Cisjordanie du monstrueux obstacle qui transforme leur vie en enfer et exerce sur eux une pression pour les obliger à partir « volontairement ». C’est non seulement une lutte pour libérer les deux peuples de ce pays d’une situation qui leur impose un cycle de plus en plus large d’effusions de sang. Mais c’est également une lutte pour libérer la nation israélienne du ghetto qui est à l’intérieur de nos cœurs.

[Traduit de l’anglais « The ghetto inside » : RM/SW]

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