13 mars – Sous le titre » Palestine : le temps du chaos « , le correspondant en Israël du Nouvel Observateur explique comment le gouvernement d’Ariel Sharon s’emploie à miner ce qui reste d’Autorité Palestinienne.
Palestine : le temps du chaos
( Victor Cygielman )
La situation se dégrade de jour en jour en Cisjordanie et à Gaza, où l’Autorité palestinienne de Yasser Arafat, paralysée et discréditée, perd du terrain au profit des islamistes du Hamas
La Cisjordanie et Gaza, théoriquement administrées par l’Autorité palestinienne mais en réalité quadrillées et contrôlées par l’armée israélienne, connaissent des convulsions sans précédent. Et toutes ne sont pas dues à l’action des soldats israéliens, qui viennent de tuer 15 personnes dimanche, lors d’une de leurs incursions dans la bande de Gaza. C’est ainsi qu’à l’assassinat, à Gaza, du journaliste Khalil al-Zaban, conseiller de Yasser Arafat pour les droits de l’homme, se sont ajoutées par exemple, ces derniers jours, la démission du maire de Naplouse, Ghassan al-Shakaa, la fusillade qui visait le ministre de la Santé, Jawad Tibi, à Jénine, l’attaque armée contre le bureau de presse de Khan Younis, l’irruption de cinq hommes masqués dans les bureaux du chef de la police de Gaza, Ghazi Jabali, qui fut roué de coups, et la lettre de démission collective signée par quelque deux cents membres du Fatah protestant contre le refus d’Arafat d’opérer des réformes démocratiques.
Chaque organisation politique palestinienne a sa milice armée. En outre, dans certaines villes comme Naplouse, Jénine, Tulkarem ou Ramallah, des bandes armées mettent des quartiers entiers en coupe réglée pour le compte de gangs criminels. Enlèvements contre rançon, « protection » extorquée aux commerçants, trafic de permis de circuler achetés à des militaires israéliens corrompus puis revendus au prix fort aux citoyens palestiniens désireux de se rendre dans une ville voisine montrent à quel point la situation s’est dégradée.
Dans ce climat d’anarchie croissante, un seul gagnant: le Mouvement de la Résistance islamique Hamas. Alors que le Fatah d’Arafat est divisé en factions concurrentes qui s’accusent mutuellement de corruption et parfois même s’affrontent, le Hamas, aux mains propres, est solidement structuré et soumis au strict contrôle d’une hiérarchie respectée. Pour le moment, l’organisation du vieux cheikh Ahmed Yassine ne cherche pas à exploiter l’affaiblissement de l’Autorité palestinienne pour s’emparer du pouvoir. Elle se contente d’étendre les services qu’elle rend à la population palestinienne, multipliant les centres de soins médicaux, accueillant un nombre croissant d’enfants dans ses écoles et distribuant des vivres (huile d’olive, farine, sucre) aux familles nécessiteuses. Conséquence: au lieu de s’adresser aux représentants d’une Autorité nationale défaillante, les Palestiniens prennent l’habitude de se tourner vers le représentant du Hamas. Et peu à peu, l’autorité, le pouvoir réel passent aux mains des islamistes.
Cela devrait inquiéter Israël. Le Hamas n’est-il pas une organisation terroriste qui assume fièrement ses attentats et dont l’idéologie préconise la disparition de l’Etat d’Israël? Pourtant le gouvernement de Jérusalem ne semble pas très inquiet. En fait, Sharon se frotte les mains. Le renforcement du Hamas aux dépens du Fatah et de l’Autorité palestinienne cadre à merveille avec ses objectifs géopolitiques.
En effet l’évolution de l’OLP, qui avait fini par reconnaître, à partir de 1988, la résolution de l’ONU de 1947 recommandant le partage de la Palestine en deux Etats et qui avait renoncé à la lutte contre l’existence d’Israël, ouvrant la voie à la négociation, ne convenait nullement à Sharon. Car le Premier ministre israélien ne veut pas d’un Etat palestinien indépendant et viable, même si cet Etat fait la paix avec Israël. En revanche, la mainmise du Hamas sur Gaza et la Cisjordanie ne le gêne nullement. Au contraire. Elle lui permettra de dire aux Américains et aux Européens: « Regardez, les Palestiniens ont embrassé le fondamentalisme islamique qui cherche à détruire l’Etat juif. Nous n’avons pas d’autre choix que de leur livrer une lutte sans merci puisque le terrorisme islamique s’insère dans le terrorisme d’Al-Qaida, ennemi commun du monde civilisé. »
Quand on connaît les objectifs géopolitiques de Sharon, on comprend mieux la tactique poursuivie depuis trois ans par le Premier ministre d’Israël. Après chaque attentat palestinien, même perpétré par le Hamas, il pointait un doigt accusateur vers Arafat. Suivaient des représailles qui détruisaient systématiquement les services de sécurité et les institutions de l’Autorité nationale palestinienne. Des hélicoptères Apache bombardaient les prisons et les commissariats de police palestiniens, des commandos israéliens envahissaient le ministère palestinien de l’Education, saccageaient les bureaux, fracassaient les ordinateurs. L’objectif était le même: paralyser l’Autorité palestinienne.
Aujourd’hui, Arafat est isolé, la pagaille règne dans les services de police palestiniens. Incapable d’assurer la sécurité de la population, l’Autorité palestinienne – diminuée, divisée – ne fait rien pour surmonter l’incurie et combattre la corruption. Dans l’entourage d’Arafat, on cherche à le convaincre d’organiser de nouvelles élections – malgré l’occupation israélienne – « seul moyen peut-être, selon Ziad Abou Zayyad, député palestinien et proche d’Arafat, de redorer le blason d’une Autorité palestinienne discréditée ».
Victor Cygielman
http://www.nouvelobs.com/articles/p2053/a234822.html