4 avril – Le gouvernement israélien a écrit à la BBC, accusant sa correspondante au Moyen-Orient, Orla Guerin, d’antisémitisme et «d’identification totale avec les objectifs et les méthodes des groupes terroristes palestiniens», au sujet d’un reportage, diffusé la semaine dernière, sur un adolescent de seize ans, kamikaze en puissance. Voici l’article publié à ce sujet par Chris McGreal (Jérusalem) dans le Guardian du 1er avril.
« Natan Sharansky, ministre israélien des Affaires de la diaspora, a protesté contre le fait que Mme Guerin ait présenté l’arrestation par l’armée israélienne du jeune Hussam Abdu, capturé avec une ceinture d’explosif autour de sa poitrine comme « la manipulation cynique d’un jeune Palestinien à des fins de propagande. » Il a déclaré que ce commentaire révélait « un parti pris profondément ancré contre Israël ».
La BBC a déclaré examiner cette plainte, la première formulée par le gouvernement israélien depuis qu’il a levé, à la fin de l’année dernière, le boycott qu’il imposait à la BBC afin de protester contre un documentaire sur les armes de destruction massive de l’Etat juif.
Mais la lettre du ministre israélien intervient à un moment où plusieurs organisations d’information internationales se plaignent de pressions gouvernementales croissantes, leur enjoignant de cesser toute couverture critique à l’égard d’Israël, ou au contraire de faire état de nouvelles dont Israël pense qu’elles aideront à faire passer dans l’opinion publique l’identification du conflit palestinien avec le terrorisme islamiste à l’échelle mondiale.
Des responsables officiels (israéliens) ont présenté aux éditeurs de programmes télévisés des dossiers concernant certains reporters, et ils ont montré du doigt certaines chaînes, telle Sky News, qui seraient, d’après eux, déterminées à nuire à Israël.
La presse de Tel Aviv a appelé à l’expulsion des correspondants de Sky News, du Times et de plusieurs quotidiens français, qui ont omis d’assurer la couverture d’une information pour laquelle le gouvernement israélien avait mobilisé ses ambassades dans le monde entier afin de s’assurer de sa diffusion dans les médias, le mois dernier.
Dans son reportage sur Hussam Abdu, la semaine dernière, Mme Guerin faisait noter le désir d’Israël d’obtenir un avantage de cette arrestation, en matière de relations publiques. Elle décrivait la manière dont l’armée avait « fait parader l’enfant devant les médias du monde entier », et faisait savoir que les journalistes, s’étant vu interdire de lui poser la moindre question, ne disposaient, par conséquent, que de la version donnée par l’armée au sujet de son arrestation.
Le ministre israélien proteste également contre la conclusion de Mme Guerin, qui disait, tandis que le jeune était contraint à rester seul, devant le checkpoint, livré aux photographes : « Visiblement, cette image, Israël veut que le monde entier la reçoive. »
Néanmoins, il est quasi indubitable que le gouvernement a vu dans l’arrestation de ce garçon une pépite de propagande d’une valeur considérable.
Les ambassades israéliennes, dans le monde entier, ont exhorté les journaux à parler de cette affaire, dans le cadre d’une campagne du gouvernement israélien visant à focaliser les projecteurs sur l’utilisation d’enfants palestiniens comme kamikazes potentiels.
Une semaine plus tôt, alors qu’un jeune garçon de douze ans, Abdullah Quran, avait été arrêté à un barrage militaire tandis qu’il transportait étourdiment des explosifs, les ambassades israéliennes avaient téléphoné aux rédactions des médias du monde entier, afin de les inciter à assurer la couverture de cette histoire, en les avertissant que toute mauvaise volonté de leur part serait considérée comme un parti pris anti-israélien.
Plusieurs médias ayant refusé d’en faire état, un quotidien israélien fit campagne afin que leurs correspondants soient expulsés d’Israël. Parmi eux, Emma Hurd, de Sky News, et Stephen Farrell, du Times.
Le gouvernement israélien a diffusé l’article dans le monde entier par courrier électronique et il l’a fait figurer sur les sites ouèbes israéliens officiels.
Gideon Meir, porte-parole principal du ministère israélien des Affaires étrangères, a déclaré que cette critique était légitime. « Sky News n’a pas couvert l’histoire avec Abdullah Quran. Mais, le lendemain, après que l’armée israélienne eut visé un terroriste du Djihad islamique avec un missile, immédiatement, Sky News diffusait sept ou huit minutes de reportage sur cet incident », a-t-il dit, concluant : « Ils n’ont pas couvert la première info, parce qu’elle ne collait pas à la propagande anti-israélienne des responsables de ces médias ».
En mars dernier, le ministre israélien des Affaires étrangères Silvan Shalom avait annulé une interview avec Adam Boulton, dans le cadre de Sky’s Sunday (émission du dimanche sur Sky News), après que ce talk-show ait refusé de supprimer l’apparition à l’écran du représentant palestinien à Londres.
Des sources internes à la CNN indiquent que cette chaîne a dû céder devant des pressions (israéliennes) considérables exercées sur ses responsables. Les officiels israéliens se vantent de ce que, désormais, il leur suffit d’appeler un numéro de téléphone au siège de la CNN, à Atlanta, pour voir retirée de la programmation toute histoire qui n’aurait pas l’air de leur plaire.
Jerrold Kessel, un ancien correspondant de CNN au Moyen-Orient, qui était largement apprécié pour ses reportages informés et nuancés, a déclaré que, bien qu’il y ait eu, incontestablement, des pressions sur ses chefs de l’information pour exiger de lui qu’il modifie sa couverture du Moyen-Orient, il les avait toujours ignorées.
« Moins vous tenez compte des pressions, moins vous vous en attirez », a-t-il dit. « Dès lors que vous commenceriez à considérer que des pressions sont un facteur à prendre en compte, ça serait trop tard, car vous commenceriez à vous demander quel est l’effet désiré, à travers ces pressions ? »
(Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier)