11 avril – Meron Benvenisti publie dans le quotidien israélien, Haaretz, du 8 avril une analyse pertinente sur tous les « plans de désengagement de Gaza » déjà proposés par les politiciens israéliens et chaque fois restés lettre morte, le dernier en date, avec « le processus unilatéral » de Sharon, servant essentiellement à « détruire les derniers restes des Accords d’Oslo et à revenir au milieu des années 80, quand il était interdit de négocier avec l’OLP ».
« Celui qui cherche encore une preuve que le conflit israélo-palestinien suit la voie d’un interminable nœud coulant, la trouvera dans le plan de désengagement unilatéral d’Ariel Sharon. La bruyante effervescence et tout le débat autour de ce plan apparemment nouveau fait oublier le fait que des plans semblables ont surgi et disparu plusieurs fois ces vingt dernières années. Même le fait que ce soit un faucon qui lance le projet n’est pas neuf: Moshe Arens l’avait proposé à Yitzhak Shamir à la fin des années 80.
Chaque fois que le gouvernement israélien (travailliste ou Likoud: ça ne fait pas de différence) s’est trouvé dans une impasse politique et s’est vu contraint de lancer un processus qui fasse échouer des plans politiques perçus comme dangereux, le désengagement de Gaza surgissait comme une solution miracle et bon marché: qui peut bien être intéressé par ce réservoir géant de misères et de haine? Cela a été le cas à la fin des années 80 et au milieu des années 90. Le fait que le plan de désengagement n’ait pas été appliqué est sans importance: qu’on le mette sur le tapis et qu’on s’affaire autour est jugé plus important que de l’exécuter, et on trouvera toujours des prétextes pour ne pas l’appliquer.
Même la discussion à son sujet prenait l’aspect d’un nœud: sortir de Gaza était considéré comme une «initiative de gauche» alors la gauche la soutenait en se vantant de ce que «la droite réalise l’idéologie de gauche», et la droite «réaliste» voyait dans le plan «un coup mortel porté aux Palestiniens et l’élimination du danger d’un État palestinien». Sharon n’innove en rien lorsqu’il vend «la fin de l’occupation et l’évacuation des colonies», même s’il présente sa position comme découlant du fait que «la situation a changé» et que dès lors, lui, le père des colonies, prend sur lui de les évacuer.
L’affairement autour du désengagement se porte naturellement sur la composante dramatique de l’évacuation des colonies mais ne se préoccupe pas de la véritable signification du mot «unilatéral», peut-être parce que le gouvernement – avec le soutien généreux d’Ehoud Barak – est parvenu à convaincre le public qu’«il n’y a personne avec qui parler» et que donc tout ce qui serait fait – depuis la clôture de sécurité jusqu’au désengagement – le serait sans négociations ni coordination avec les Palestiniens. En fait, «l’unilatéralité» est une tentative pour détruire les derniers restes des Accords d’Oslo et un retour au milieu des années 80, quand il était interdit de négocier avec l’OLP.
Le processus d’Oslo, la signature des accords de principe et la reconnaissance mutuelle ont fait de l’OLP et du mouvement national palestinien un organe légitime, dorénavant non plus soumis aux manipulations et au pouvoir d’autres, mais sujet autonome représentant un collectif habilité à revendiquer de pouvoir gouverner son avenir. Israël a réussi, pendant des années, à priver les Palestiniens de ce statut, jusqu’à ce qu’en décembre 1988, Yasser Arafat fasse à Genève la déclaration que lui avaient dictée les Américains et qu’il gagne ainsi la reconnaissance par l’administration Reagan, au mécontentement du gouvernement israélien. Cinq ans plus tard (et après de vaines tentatives d’en repousser le dénouement), Israël a lui aussi reconnu l’OLP comme organe indépendant et légitime, et cette reconnaissance est à la base des relations entre les deux peuples.
Maintenant, Sharon demande à retourner une génération en arrière et à dicter leur avenir aux Palestiniens, sans tenir compte de leur volonté ni de leurs aspirations. Il ne cache pas sa pensée circulaire, en boucle: «Mon projet est dur pour les Palestiniens», déclare-t-il, «Un coup mortel. Dans un processus unilatéral, il n’y a pas d’État palestinien». Ceux qui ne constituent pas un collectif légitime ne méritent pas de revendiquer le droit de se représenter eux-mêmes, ni bien sûr, le droit à une autodétermination. Il est permis de s’occuper d’eux d’une manière unilatérale, par des négociations avec un tiers – Américains ou Égypte. Le problème est que les Américains acceptent ces arguments et qu’ils sont, en fait, revenus de leur position, adoptée en 1988, à l’égard des Palestiniens.
Il serait bon que ceux qui cherchent à se forger une opinion à propos du plan de désengagement laissent de côté la composante territoriale et méditent sur la notion d’«unilatéralité» comme étant le véritable test de cette initiative. S’ils veulent soutenir une variante sophistiquée de la déclaration de Golda Meir – «Il n’y a pas de peuple palestinien» – qu’ils donnent leur appui au plan de Sharon.
Meron Benvenisti
Traduit de l’hébreu par Michel Ghys
http://www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=413482
En anglais : Back to ‘no Palestinian people’
http://www.haaretz.com/hasen/spages/413415.html
11 avril 2004 © Solidarité-Palestine – E-mail: webmaster@solidarite-palestine.org