A lire, ci-dessous, un éditorial du rédacteur en chef d’Al Qods al Arabi, Abd Al Bari Atwan. Ce journaliste, lui-même Palestinien, estime d’une part que l’Autorité Palestinienne ferait mieux de se saborder, certainement pas pour complaire au plan américano-israélien d’éliminer le Président Yasser Arafat et de mettre un Premier Ministre collaborateur à sa place, mais pour mettre plus à nu l’occupation israélienne. Il dénonce d’autre part la participation des dirigeants des pays arabes à l’entreprise américano-israélienne (traduction Taïeb Moalla au Québec, pour solidarité-palestine.org)
La démission d’Arafat et les massacres de Rafah
Par Abd Al Bari Atwan
Al Quds al Arabi
19 mai 2004
Éditorial
«La Jérusalem arabe» est l’un des trois grands quotidiens panarabes édités à Londres. Il couvre largement la question palestinienne, son rédacteur en chef Abd Al Bari Atwan étant lui-même un Palestinien exilé à Londres. Avec sa tonalité parfois volontiers virulente, Al Quds al Arabi colle sans doute plus au sentiment de ce qui est convenu d’appeler la «rue arabe» que nombre de ses confrères.
Ce n’est pas un hasard si les appels à la démission du président palestinien, Yasser Arafat, se multiplient. Ces appels – qui incluent également la demande pour que ce dernier délègue ses prérogatives à un Premier ministre dont les attributs politiques et psychologiques concordent avec les critères israélo-américains – interviennent au moment même où des chars et des avions israéliens commettent de nouveaux massacres dans la ville de Rafah et dans les autres villes et villages de la bande de Gaza et de la Cisjordanie.
Il n’est pas non plus surprenant que se succèdent les opérations de nettoyage ethnique au milieu d’un silence arabe voulu. C’est comme s’il y avait un plan préétabli entre les États-Unis et Israël d’un côté et la plupart des leaders arabes de l’autre. Ce plan prévoit la liquidation des poches de résistance palestiniennes à Gaza, dont le Cheikh Ahmed Yassine et le docteur Abdelaziz Rantissi, ainsi que des dizaines de combattants sur le terrain.
Shaoul Mofaz, le ministre israélien de la Défense, a dit que l’opération militaire de l’armée israélienne à Rafah pourrait se poursuivre pendant des jours, voire des mois. Ceci veut dire que l’opération se déplacera à Khan Younis, Jabaliya, Deir el-Balah, et après à Jénine, Hébron et Naplouse, pour tuer le maximum de résistants. Ceci en attendant l’arrivée d’un nouveau Premier ministre palestinien pour reprendre l’Autorité et ses appareils de sécurité et pour appliquer à la lettre les ordres israéliens: protéger les colons, améliorer le visage de l’occupation et fournir la sécurité ainsi qu’une main-d’œuvre bon marché à l’État hébreu.
Nous avons demandé, plus d’une fois dans cette même tribune, le démantèlement de l’Autorité palestinienne (AP) et la démission du président palestinien, Yasser Arafat. Mais pas pour transmettre le leadership à une personnalité palestinienne qui renonce au consensus national en laissant tomber le droit au retour, en sacrifiant Al Quds (Jérusalem) et en légalisant la colonisation. Nous avons demandé le démantèlement de l’AP pour mettre à nu l’occupation israélienne et intensifier la résistance. Car l’existence et la continuation d’une Autorité donnent la fausse impression d’une entité palestinienne et d’un pouvoir autonome, et permet à Israël de se soustraire à ses obligations matérielles, politiques, juridiques et morales en tant que puissance occupante.
Nous avons demandé un leadership palestinien alternatif car nous le voulons plus jeune et plus capable d’intensifier la résistance et de regrouper le peuple palestinien face aux complots de liquidation tissés par l’administration américaine avec la complicité de la plupart des gouvernements arabes.
C’est la différence qui existe entre nous et ceux qui veulent la fin de l’AP actuelle pour mettre à sa place une autorité équivalente au conseil de gouvernement provisoire irakien ou au gouvernement Karzaï, en Afghanistan. Du coup, nous nous trouvons dans la même tranchée que l’Autorité actuelle et déclarons la soutenir malgré les nombreuses réserves que nous avons exprimées à son propos. Pas par amour pour l’AP, mais par haine et peur des alternatives.
Si le président palestinien est un obstacle à l’arrivée d’un leadership alternatif voulu et préparé par les États-Unis et Israël, nous saluons cet obstacle et tout obstacle qui lui ressemble. Nous y tenons et demandons à tout le peuple palestinien de faire de même.
Unifier les forces de sécurité palestiniennes doit se faire dans un seul but: protéger le peuple palestinien et faire face aux massacres israéliens qui le visent. Et non pas pour opprimer la résistance et faire passer les plans de Sharon en vue de créer un État palestinien maigre, démembré, sans souveraineté, sans orgueil et sans volonté.
Les États-Unis se trouvent dans une dangereuse impasse en Irak. Et Israël connaît une impasse plus grande en Palestine. C’est pour cela que les intermédiaires arabes rivalisent pour les en sortir. Et ce aux dépens du peuple arabe palestinien et de son héroïque résistance. Le silence arabe devant les massacres actuels qui se déroulent Irak et en Palestine est d’autant plus profond qu’il accouche d’initiatives et de conciliabules inspirés par les États-Unis et Israël.
Comment expliquer le silence du président Hosni Moubarak, le leader du plus grand pays arabe, devant ce qui se passe à Rafah qui se trouve à la frontière de son pays? Comment le président égyptien accepte-t-il le changement du tracé des frontières, le creusement d’un canal entre lui et la bande de Gaza, l’entrée des chars israéliens dans son territoire pour poursuivre les résistants, pour tuer et détruire des centaines de maisons de simples citoyens qui, il y a peu de temps, dépendaient de l’administration égyptienne, portaient ses papiers, étudiaient dans ses écoles et servaient dans son armée? Quel président arabe accepte toute ces humiliations sans crier sa douleur et son sentiment de déshonneur? De quel peau est-il fait et quel sang coule dans ses veines? Est-ce que ses cellules portent réellement l’héritage de 7.000 ans d’histoire, comme il aime à le répéter?
Où est l’héroïque armée égyptienne qui a vécu quatre guerres contre l’ennemi usurpateur et a perdu des dizaines de milliers de ses meilleurs soldats et officiers pour défendre l’honneur de l’Égypte, son leadership et son histoire? Comment est-ce que cette héroïque armée peut-elle accepter le déshonneur et l’humiliation et cette importante disproportion entre son armement et celui de son ennemi stratégique?
Nous ne croyons pas que l’héroïque armée égyptienne accepte ce qui se passe à Rafah de l’autre côté de sa frontière. Et nous ne pouvons pas imaginer que son commandement national accepte de voir, en spectateurs, les enfants et les femmes innocents se faire égorger par les missiles israéliens.
Le peuple palestinien se bat et fait face aux chars israéliens à son corps défendant. Il n’hésite pas un instant à fournir les martyrs. Mais ce qui lui fait le plus mal, c’est cette complicité officielle arabe avec ses bourreaux. Une complicité qui prend différents visages dont: les médiations louches pour rapatrier les restes des soldats, pour annoncer une trêve et pour retourner à la table des négociations.
Sharon ne veut pas se retirer de Gaza ou démanteler une quelconque colonie en Cisjordanie. Celui qui veut se retirer n’utilise pas ce degré de destruction et de meurtres atroces d’innocents. Celui qui veut se retirer ne demande pas le vote des colons de son parti.
Sharon a réussi son plan en obtenant des garanties américaines pour légaliser la colonisation et annuler le droit au retour et en consacrant le caractère juif de l’État d’Israël. Aujourd’hui, un nettoyage ethnique est appliqué à Rafah et Gaza. Demain, en Galilée et dans le triangle.
Finalement, nous demandons aux leaders arabes qui s’apprêtent à participer à leur sommet honteux de ne pas discuter des questions de la Palestine et de l’Irak. Vous êtes complices des complots contre ces deux pays. Nous vous demandons tout simplement de ne pas continuer votre feuilleton hypocrite et ennuyant. Laissez les habitants de ces pays s’occuper de leurs affaires loin de vous et de vos complots. Avez-vous constaté à quel point nos demandes sont devenues simples et limitées?
Abd Al Bari Atwan
Traduit de l’arabe par Taïeb Moalla
Coalition Québec/Palestine