Dans un article publié dimanche par le quotidien israélien Haarets, le journaliste Gideon Levy, un des rares avec Amira Hass à dénoncer régulièrement la politique de son gouvernement, demande que les dirigeants israéliens payent le prix des crimes de guerre qu’ils sont en train de commettre.
Alors que des corps d’enfants remplissaient un grand réfrigérateur habituellement utilisé pour stocker des pommes de terre, que des milliers de personnes sans foyer s’enfuyaient pour avoir la vie sauve (certains le faisaient pour la deuxième ou la troisième fois), la vie en Israël continuait comme d’habitude, comme si ce qui se produisait dans Rafah n’était pas fait au nom des citoyens de ce pays.
Nous sommes tous responsables d’une telle apathie mais certains portent une plus lourde responsabilité. Dans un climat autrement moins relâché que celui qui a saisi Israël ces dernières années, ils ont été mis à l’index. Quand Ariel Sharon a été reconnu coupable indirect du massacre de Sabra et Chatila, il a été dénoncé par une grande partie du public israélien. Les manifestants l’ont traité de meurtrier, et certains de ses amis personnels lui ont tourné le dos et coupé leurs relations avec lui. Comme son prédécesseur Moshe Dayan après la guerre de Yom Kippour, pendant la guerre du Liban, Sharon a été mis à l’index. Personne n’a pensé à lui rendre honneur. Avec sa responsabilité dans le massacre des Israéliens et des Palestiniens au Liban, il a payé un prix personnel en dehors de son éviction du poste de ministre de la défense.
Environ 22 ans environ après cela, Sharon porte de nouveau la responsabilité du carnage des Palestiniens mais cette fois personne ne le met à l’index. Il continue à être perçu comme un fermier et un grand père sympathique et amical. Quoi qu’il fasse, le public ne lui est pas hostile. Benjamin Netanyahu, qui a causé bien moins de dommages envers Israël et la cause de la paix, reste la bête noire de la Gauche.
Pas plus d’ailleurs Sharon que les deux autres architectes (le ministre de la défense, Shaul Mofaz et chef des Forces armées israéliennes,Moshe Ya’alon) de l’opération sanglante de Rafah et de leur politique brutale dans les territoires en général. Aucun d’eux n’a payé de prix pour ses actes. Au contraire, la semaine dernière, Mofaz a reçu un doctorat Honoris Causa de l’université de Bar Ilan et quelques jours avant, il était l’invité d’honneur de la conférence annuelle de l’Association Bar à Eilat.
Pourquoi attribuer un doctorat Honoris Causa à Mofaz? Pourquoi les hommes de loi ont-ils rendu hommage à une figure dont les actions sont profondément problématiques sur les plans moral et légal ? Sans doute, pour les responsables de l’université de Bar Ilan et de l’association Bar (deux corps dont les actes exercent une influence normative dans la société de l’Israël), le seul fait que Mofaz soit le ministre de la défense suffit pour lui conférer ce titre et non ce qu’il fait réellement. Sharon a également reçu deux doctorats honorifiques – de l’université de Ben-Gurion du Negev (quelques conférenciers ont quand même protesté) et de Bar-Ilan.
Dans le passé, ces trois généraux – Sharon, Mofaz et Ya’alon – ont été responsables d’une longue liste d’actes ignobles.
À la fin de la semaine dernière, Haidar Hasuna a signalé à un enquêteur de l’association B’Tselem, le centre israélien de l’information pour des droits de l’homme dans les territoires occupés, que les bulldozers ont commencé à démolir sa maison à Tell Sultan dans Rafah assiégé pendant qu’il était, lui, sa femme et ses enfants dans la salle de séjour. Quand il a essayé de sortir de sa maison, il a été pris sous le feu de tanks. Miraculeusement, la famille a survécu.
Les membres de la famille de Mantsur du voisinage de Brésil à Rafah ont déclaré à Amira Hass (journaliste à Haaretz), comment ils se sont sauvés nu-pieds de leur maison pendant que l’armée commençait à démolir leur maison. Quelques mois avant cet incident, une femme enceinte a été tuée dans les mêmes circonstances dans le camp de réfugiés d’ El Bureij, sous les yeux de ses enfants.
Quelqu’un est responsable de cette situation. La démolition de maisons de civils innocents dans Rafah est un crime de guerre pour le monde entier, même si La Cour Suprême Israélienne a donné son aval à ces démolitions. Et ce crime n’est pas orphelin; il a des parents. Et ces parents doivent en prendre la responsabilité.
Il ne faut pas faire tomber la responsabilité des bavures de l’armée sur les coups de feu perdus, les tunnels ou les terroristes eux-mêmes. Le premier ministre, le ministre de la défense, le chef de l’armée, sont responsables directement du bouclage des Palestiniens, de la privation de soins, des arrestations en masse, des assassinats, des massacres inutiles, du bombardement des quartiers.
Ils doivent payer le prix de leurs actes au moins devant le public israélien. Le temps est venu, enfin, pour que Mofaz sente la poids de la pression publique, pour que Ya’alon connaisse la honte de ses actes et pour que les officiers supérieurs de l’armée commencent à s’inquiéter de leur avenir public. Toute personne qui pense qu’Israël est en train de commettre des crimes contre les Palestiniens, doit exiger que ceux qui sont responsables des crimes, payent le prix fort.
(traduit de l’anglais par Djelloul HACHILIF)
Texte original
They must pay the price
by Gideon Levy
On a day when bodies of children were being stuffed into a big refrigerator used to store potatoes, and when thousands of homeless people were fleeing for their lives (some of them refugees rendered homeless for the second or third time), life in Israel went on as usual, as though what was happening in Rafah was not being done in the name of the country’s citizens. Such apathy renders all of us responsible – and yet there are some who bear a heavier burden of responsibility. In a climate less lax than the one which has gripped Israel in recent years, they would be ostracized.
When Ariel Sharon was found guilty of indirect responsibility for the massacre in Sabra and Chatila, he was denounced by wide sectors of Israel’s public. Demonstrators denounced him as a « murderer, » and some of his personal friends turned their backs on him and cut off relations with him. Like his predecessor Moshe Dayan after the Yom Kippur War, during the Lebanon War, Sharon was ostracized. Nobody thought to fete and honor him. For his part in the killing of Israelis and Palestinians in Lebanon, he paid a heavy personal price, beyond his removal from the post of defense minister.
Some 22 years later, Sharon again bears direct responsibility for bloodshed, but this time nobody considers ostracizing him. He continues to be perceived as a sympathetic figure, one who enjoys an image as a friendly farmer and grandfather. Whatever he does, he does not encounter a hostile public. Benjamin Netanyahu, who caused far less serious damage to Israel and the cause of peace, is the scourge who is loathed by the left.
Nor have the two other architects of the bloody IDF operation in Rafah and of the brutal policies in the territories in general – Defense Minister Shaul Mofaz and IDF Chief of Staff Moshe Ya’alon – paid a personal price for their acts. On the contrary: last week, Mofaz received an honorary doctorate from Bar-Ilan University; a few days before that, he was the guest of honor at the annual Israel Bar Association conference in Eilat. Why, exactly, was an honorary doctorate conferred on Mofaz? Why did lawyers pay tribute to a figure whose actions are deeply problematic in moral and legal terms?
As the heads of Bar-Ilan University and of the bar association (two bodies whose acts exert a normative influence in Israel’s society) see it, the fact that Mofaz serves as defense minister is enough to warrant the conferral of honors on him, no matter what he actually does. Sharon has also received two honorary doctorates – from Ben-Gurion University of the Negev (a few lecturers raised their voices in protest) and from Bar-Ilan.
In past years, these three generals – Sharon, Mofaz and Ya’alon – have been responsible for a long list of despicable acts. At the end of last week, Haidar Hasuna told an investigator from B’Tselem, the Israeli Information Center for Human Rights in the Occupied Territories, about bulldozers that began to demolish his home in the besieged Tel Sultan neighborhood in Rafah, when he was sitting with his wife and children in their living room. When he tried to leave the house, he was floored by tank fire. Miraculously, the family survived.
Members of the Mantsur family from the Brazil neighborhood told Haaretz’s Amira Hass how they fled barefoot from their home as the IDF began to demolish it. A few months before this incident, a pregnant woman was killed during similar house demolition circumstances in the El Bureij refugee camp, in plain view of her children. Somebody is responsible.
The mass demolition of innocent civilians’ houses in Rafah is considered a war crime under criteria accepted around the world – despite the fact that the High Court has given the demolitions its typical stamp of approval. And this crime is no orphan; it has parents. And these parents must no longer be indulged. It’s wrong to continue to blame the errant tank shell, and the tunnels and the terrorists themselves, for every lethal blunder committed by the IDF.
The virtual imprisonment of the Palestinian people, the prevention of medical care, the mass arrests, the assassinations, the needless killing, the bombing of residential neighborhoods – the prime minister, the defense minister, the IDF chief of staff and other top officers all bear responsibility for such acts.
They should pay a price for their acts, at least in the public-social spheres. The time has come, at last, for Mofaz to feel the heat of public pressure, for Ya’alon to experience what it’s like to be denounced and for him to display some sense of shame, and for senior IDF officers to worry about their public futures. Anyone who thinks Israel is committing crimes against the Palestinian people must demand that those responsible for the crimes pay a price.