D’anciens soldats de l’armée israélienne, ayant fait leur service dans la ville palestienne de Hébron, ont décidé de « briser le silence », et exposent les réalités de l’occupation, en photos et vidéo, à Tel-Aviv.
A lire, ci-dessous, un reportage sur cet événement, publié par l’agence AP.
Une exposition organisée par des militaires israéliens évoque le harcèlement (des Palestiniens)
par Gavin Rabinowitz
Associated Press, 03.06.2004
Trad. M. Charbonnier
Tel Aviv – Les soldats israéliens parlent avec gêne de leurs exploits : balancer des grenades incapacitantes sur des gamins palestiniens, comme ça, juste pour s’amuser ; harceler une jeune mariée et un jeune marié ; se contenter de regarder, tandis que des colons juifs vandalisent les biens de Palestiniens…
Leurs photos et leurs témoignages très durs sont au cœur d’une nouvelle exposition, qui raconte les existences intimement entremêlées et violentes des militaires, des Palestiniens et des colons juifs, dans la ville cisjordanienne d’Hébron.
Ayant terminé leurs trois années de service militaire obligatoire, un groupe de soldats israéliens de l’infanterie ont pensé qu’Israël devait connaître ce qu’ils appellent « la réalité folle » qu’ils ont vécue à Hébron : une ville où tout au plus cinq cents colons vivent dans trois enclaves entourées de 130 000 Palestiniens.
Les colons d’Hébron comptent au nombre des plus extrêmes parmi les 200 000 colons juifs en Cisjordanie ; souvent, ils sèment la dévastation dans la ville. Les Palestiniens d’Hébron, qui insistent sur le fait que tous les colons doivent partir, sont connus également pour leur radicalité : ils visent des colons et des soldats au cours de fusillades et d’attaques suicides.
Plus de quatre-vingt soldats ayant servi ensemble à Hébron ont décidé de créer cette exposition de photos et de témoignages enregistrés en video, qu’ils ont appelée : « Briser le Silence ».
Les organisateurs disent que l’idée de cette exposition était de prendre conscience des actions qu’ils avaient eux-mêmes menées, afin que cela serve d’avertissement à d’autres.
« Ce n’est qu’aujourd’hui que nous prenons conscience du fait que nous avons perpétré coups tordus », a dit Micha Kurz, 20 ans, au quotidien israélien Maariv. « Nous ne pouvons plus vivre tranquillement, désormais. Nous voulons que tout soldat voit ça, et aussi en parler avec lui. Il ne faut pas permettre que de telles choses se produisent, à l’avenir. »
Les soldats ont refusé de parler aux journalistes étrangers
Dans l’exposition, des photos prises par les soldats tandis qu’ils étaient en opérations à Hébron recouvrent les murs d’une école de photographie de Tel Aviv. Des écrans vidéo montrent, dans deux angles de la salle d’exposition, des soldats dont le visage est occulté par un quadrillage flou et dont les voix sont déformées, qui parlent de leur expérience et expriment leurs regrets.
Ils évoquent le changement graduel, insidieux, que les soldats subissent insensiblement, lorsqu’ils sont épuisés par de longues heures de tension et par la peur. Ils décrivent le processus qui les a amenés, à un certain moment, à cesser de voir dans les Palestiniens des êtres humains.
« On m’a enseigné qu’un enfant de huit ans et une grand-mère de quatre-vingt dix ans sont avant tout, et en tout et pour tout, des terroristes en puissance, et en second lieu des Palestiniens, des Arabes, et – en fin de liste… des gens comme vous et moi… », a dit au quotidien Yediot Ahronot le soldat Kurz.
Les photographies vont de joyeux clichés souvenirs de soldats photographiés dans des baraquements militaires, à des portraits de prisonniers palestiniens couchés sur le bas-côté d’une route, les yeux bandés et les mains liées derrière le dos.
Mais, pour la plupart, ces clichés montrent réellement la façon dont les soldats israéliens voient principalement Hébron : à travers le viseur d’un fusil d’assaut… Sur une des photos, on voit les deux cheveux croisés d’un collimateur au beau milieu de la poitrine d’un Palestinien, debout sur la terrasse de sa maison. Un autre montre la ville, vue à travers la l’inquiétante lueur verdâtre d’un détecteur de vision nocturne…
Les clichés montrent aussi les effets, sur les Palestiniens, de la tension omniprésente et permanente régnant dans la ville.
Au cours d’une interview pour la chaîne israélienne TV 10, Yehuda Shaul, 21 ans, qui a eu l’idée de l’exposition, a fait remarquer la photo d’un soldat israélien à côté de quatre petits garçons palestiniens. « Il faut un certain temps, pour comprendre ce que cette photo montre… et lorsqu’on comprend, c’est insoutenable », a-t-il expliqué. « Ce sont des enfants palestiniens, jouant aux soldats : ils se fouillent mutuellement ! Voilà comment ces enfants palestiniens vivent. Voilà ce qu’ils assimilent… »
Les soldats évoquent une violence gratuite et l’humiliation infligée aux Palestiniens. L’un d’eux raconte comment un de ses potes a tiré une grenade incapacitante sur des enfants palestiniens « juste pour rompre l’ennui ». Un autre raconte comment son commandant a retenu un cortège nuptial, durant tout un couvre-feu, après avoir arrêté la jeune mariée et le jeune marié, revêtus de leurs plus beaux atours, en volant les clés de leur voiture. Tandis que la mariée était en larmes, lui, il se tordait de rire.
Un tableau expose plus de soixante trousseaux de clés de voiture. Une petite plaque, au-dessous, indique : « En Cisjordanie, confisquer les clés de voiture est une punition couramment pratiquée… »
L’intérêt des soldats se focalise également beaucoup sur leurs relations – complexes – avec les colons. Beaucoup de ceux-ci sont des nationalistes juifs extrémistes. Beaucoup de photos montrent les graffitis tracés par les colons, appelant au sang et à la revanche. D’autres, encore, clament : « Les Palestiniens : dans les chambres à gaz ! »
« Hébron, c’est l’endroit le plus fou, le plus paradoxal, le plus illogique qui puisse exister », a dit à la radio israélienne un ancien commandant d’infanterie, qui a servi à Hébron et qui n’a décliné que son prénom : Noam.
« Le jour où vous arrivez, un petit gamin juif vous apporte du café, et il vous remercie de le défendre. Le lendemain, vous patrouillez, et vous voyez le même gamin avec un groupe d’autres gamins : ils vous lancent des pierres et ils tabassent un vieillard palestinien à coup de lattes ! », a-t-il poursuivi.
Les (anciens) soldats évoquent également des confrontations avec des colons, lorsque ceux-ci tentent de détruire des biens appartenant à des Palestiniens ou de s’emparer de leurs maisons.
Anat Cohen, une résidente d’Hébron, a pris la défense des colons et a estimé normales leurs relations avec les soldats chargés d’assurer leur sécurité. Toutefois, elle a observé qu’Hébron était « un endroit compliqué »…
Mme Cohen a déclaré à la radio israélienne que ce groupe particulier de soldats était favorable aux Palestiniens et qu’ils leur avaient même donné des jumelles militaires, pour leur permettre d’espionner les colons…
Le Capitaine Jacob Dallal, porte-parole de l’armée, a jugé que ce groupe était composé « de gens qui pensent, et qui sont conscients des dilemmes complexes, inhérents à la zone dans laquelle ils effectuent leur service », ajoutant que l’armée respectait leur liberté d’expression.
Il a toutefois précisé qu’il estimait regrettable que ces soldats n’aient fait état de leurs préoccupations qu’une fois leur période militaire terminée, alors qu’ils auraient dû chercher à trouver une solution aux problèmes qu’ils évoquent par leur exposition, durant leur service à Hébron.