Nous reproduisons ci-dessous l’intervention, lors du concert du 6 novembre de Salma Jarbawi, l’une des responsable du Centre de Traitement et de Réhab ilitation des victimes de la Torture (TRC), venue de Ramallah pour apporter son témoignage.
Notre centre prend en charge sur le plan médical et psychologique les victimes de la torture et de la violence organisée. Actuellement, le TRC offre des soins à plus de 500 patients, 176 d’entre eux ont moins de 18 ans.
Au début, nous avons commencé à prendre en charge les anciens détenus qui ont été torturés pendant les interrogatoires. Cependant, compte tenu des conditions de vie effroyables que subissent les Palestiniens, le nombre de patients qui souffrent de traumatisme chronique suite à des violences telles que les démolitions de maisons, la perte d’un proche ou encore le fait d’être pris entre des feux croisés – représente désormais une grande partie des patients traités par notre centre.
La tâche des nos thérapeutes est compliquée par la construction du « mur » infâme et de la présence de plus de 120 check-points militaires israéliens dans la Cisjordanie et la Bande de Gaza, qui ont beaucoup de mal à atteindre les patients.
[ Montrer « les cartes de la Palestine », « le Mur » et « les check points »]
Le recours à la torture, aux abus, aux mauvais traitements dans les prisons israéliennes est continu et systématique. Le degré et les formes de tortures ont varié au fil des ans, mais la politique de la torture est toujours aussi évidente.
La torture commence au moment même de l’arrestation. La majorité des anciens prisonniers racontent la même histoire :
« Vers 2H du matin les forces de l’armée israélienne ont entouré ma maison, les soldats ont violemment frappé aux portes et aux fenêtres réveillant et effrayant tout le monde dans la maison. Ils sont entrés dans ma maison, ils ont cassé et détruit tout se qu’il y avait sur leur chemin, ils ont enfermé tous les membres de ma famille dans une seule chambre et n’arrêtaient pas de crier « vos gueules ! ». Pourtant personne ne parlait. Ils m’ont menotté, enchaîné et ils m’ont bandé les yeux. Ensuite ils m’ont traîné jusqu’à leur jeep et m’ont jeté par terre. Durant tout le trajet, les soldats israéliens n’ont pas arrêté de me frapper avec leur lourdes bottes militaires, ils m’ont aussi donné des coups de poing et ils m’ont frappé avec leurs matraques et leurs armes ».
Le détenu, qui est déjà complètement désorienté et qui souffre de douleurs multiples, est emmené dans un centre d’interrogation.
Depuis le début de la deuxième Intifada, l’armée israélienne a entrepris une compagne massive d’arrestations. Les Palestinienó peuvent être arrêtés à tout moment de la journée ou de la nuit, à leur domicile, à leur travail, aux check- points, ou même en marchant dans la rue.
Plus de 6OOO Palestiniens sont actuellement détenus dans les prisons israéliennes. 350 d’entre eux sont des enfants. Selon les lois de l’armée israélienne, un Palestinien peut être détenu jusqu’à 18 jours sans charge et sans être présenté devant un juge. Un détenu palestinien peut être interrogé pendant une période allant jusqu’à 180 jours et sans avoir droit à un avocat. Durant cette période, le détenu est souvent victime d’une forme de torture, physique ou psychologique.
La Commission Landeau a recommendé, que les membres des services secrets (Shabak) « soient autorisés à faire usage de pressions psychologiques et d’une forme modérée de pression physique » en affirmant que « l’interrogatoire est inconcevable sans recours à une sorte de pression physique ».
Sous le gouvernement de Rabin, le parlement israélien a renforcé ces recommandations en autorisant les services secrets à utiliser la force sous forme de « pression physique renforcée ».
La Cour Suprême israélienne a interdit en 1999 l’usage de « la torture arbitraire », mais la justice a permis aux interrogateurs l’usage de « méthodes exceptionnelles d’interrogation ».
Aujourd’hui les interrogateurs dans les prisons israéliennes ont recours à la torture physique et psychologique contre les prisonniers palestiniens, ce qui est une violation directe de la Convention des Nations Unies Contre la Torture, une convention pourtant signée par Israël.
Désormais les Israéliens ont perfectionné leurs méthodes de torture de sorte qu’elles ne laissent pas de marques physiques ou de cicatrices. Par contre, elles provoquent des conséquences psychologiques à court et long terme.
Jusqu’à récemment, les méthodes de tortures les plus utilisées pendant les interrogations israéliennes sont connues sous le nom de « Shebeh » et de « secousses » (photos).
D’autres méthodes de torture consistent à placer le détenu dans des cellules « placard » ou « cercueil » pendant de longues périodes durant lesquelles le détenu est exposé à des températures élevées, à des passages à tabac, à des séances prolongées d’interrogation, à des menaces de mort à son égard ainsi qu’à l’égard de sa famille, à la privation de sommeil, de nourriture et d’hygiène. Le détenu est également exposé à une musique à fort volume, on l’oblige à se courber, on lui attache les mains et les pieds, il est victime d’humiliations d’insultes et d’injures, de coups, de suffocation avec un sac sale, d’isolement, de la présence de collaborateurs dans sa cellule et de la privation volontaire de soins médicaux.
Ces méthodes de tortures entraînent de multiples conséquences psychologiques : manque de concentration, tendance à s’isoler, sentiment d’impuissance, incapacité de réintégrer la vie quotidienne, sentiments de honte et de culpabilité.
Quant aux conséquences physiques, elles incluent des maux de tête fréquents, des douleurs à l’estomac et au dos, des douleurs gastro-intestinales, et une asthénie générale. Les secousses peuvent entraîner des séquelles neurologiques et même la mort.
Le rôle du TRC commence à la sortie de prison du détenu. Mais ce n’est pas simple, car les prisonniers libérés ont honte de leur situation et attendent des années avant de venir nous voir, si nous n’allons pas vers eux. Et c’est triste à dire, mais quand on demande aux anciens détenus s’ils ont subi des tortures, la première réponse est souvent « Non ». Mais quand on leur demande s’ils ont été tabassés, affamés, dévêtus, jetés dans des cellules d’isolement, etc.… ils répondent souvent « oui, mais ce n’est pas grave, c’est normal ».
Les Palestiniens sont tellement habitués aux mauvais traitements et à l’humiliation qui nous sont infligés par les Israéliens aux check- points et dans notre vie quotidienne, que le fait qu’être tabassé ne relève pas, pour eux, de la torture !
Cependant, un ancien détenu que j’ai interviewé me racontait :
« Quand on m’a arrêté, j’étais étudiant et je rêvais de poursuivre mes études à l’étranger. Je travaillais vraiment dur pour décrocher une bourse.
Après 24 heures d’interrogatoire, mon unique rêve était d’aller en prison. Je n’ai pas du tout pensé à la libération ou au luxe de pouvoir dormir, d’être au chaud ou de manger. Tout ce que je voulais c’était aller en prison. Je ne parle pas de survie, je savais qu’ils m’auraient pas tué pendant l’interrogatoire – ça aurait était trop aimable. Mais tout ce que je voulais, c’est que cela s’arrête et donc être enfermé ».
Les prisonniers palestiniens gardent au fond d’eux la torture, les abus, les mauvais traitements et l’humiliation qu’ils ont subis, et ce même après leur libération. La sortie de prison est vécue comme une joie, mais ils réalisent rapidement, de même que leur famille et leur entourage, qu’ils ne sont plus comme avant.
Par exemple, un père peut être libéré de prison et il s’attend à une période de repos et de détente. Cependant, sa femme est aussi épuisée d’avoir dû tout gérer seule, la maison et les enfants, pendant son absence. Donc elle s’attend à ce qu’il reprenne le travail immédiatement pour alléger ses charges. Les enfants, qui sont habitués à être pris en charge par leur mère, sont maladroits et embarrassés envers leur père. Il est impossible à la famille de retrouver sa vie qui précédait l’emprisonnement et il est très difficile à chaque membre la famille de s’adapter à son nouveau rôle.
Les anciens détenus souffrent souvent de stress post traumatique, d’isolement social, de dépression, d’anxiété, d’impuissance et de problèmes conjugaux et familiaux. Ils sont souvent incapables de reprendre leur travail car ce qu’ils ont ont vécu affecte directement leurs compétences professionnelles.
La situation en Palestine, qui est déjà horrible, n’a cessé de se détériorer. Nous avons besoin de votre soutien, nous avons besoin de vous pour être entendus. Il faut briser la loi du silence. Le monde doit voir la réalité et comprendre la vérité. Israël doit être soumis aux résolutions des Nations Unies et aux Conventions de Genève. Comment le monde peut-il fermer les yeux face à ces violations constantes du droit international ?
Les Palestiniens sont en train de mourir. La force de vos voix ici et à travers l’Europe doit être entendue et reconnue. Il faut insister sur la fin de l’occupation, il faut insister sur l’avenir de la Palestine.
Et je vous remercie de leur part à tous pour votre générosité.
Salma JARBAWI est DIRECTEUR DE PROJETS DE TRC : centre de traitement et de réhabilitation pour les victimes de tortures, à Ramallah.
TRADUIT de l’anglais par Rim LATRACHE