La journée aura apporté une nouvelle illustration de lénorme différence de traitement réservée par les diverses institutions (médiatiques, judiciaires, politiques) en matière de répression du racisme, selon que celui-ci concerne les Juifs, les Arabes ou les musulmans.
ACTE I : cest la révélation, timide et avec une semaine de retard, de déclarations racistes contre les musulmans faites par un rabbin qui se targue pourtant de promouvoir tolérance et compréhension entre les peuples et les religions.
Interrogé par l’hebdomadaire « Le Point » (numéro du 10 mars) sur un rapprochement judéo-islamo-chrétien, le rabbin Michel Serfaty, qui officie en région parisienne déclare ainsi : « Je reste à certains égards sceptique. L’islam en France est d’abord celui des caves et des banlieues. Ces musulmans ne sont pas dangereux, mais ils portent en eux un antisémitisme latent ».
On laissera chacun apprécier les propos méprisants sur les caves et les banlieues, et limbécillité consistant, de la part de ce monsieur, à dire quon peut être porteur dun antisémitisme latent sans être pour autant dangereux.
Le bouquet, cest que Michel Serfaty a fait toute sa publicité, ces derniers mois, sur le « rapprochement judéo-musulman », et quil est même le président dune nouvelle association appelée l’Amitié judéo-musulmane de France (AJMF).
LAgence France Presse a fait une dépêche sur laffaire, mardi, pour dire que la Mosquée de Paris était « troublée » par le propos, que Serfaty parlait de « propos extraits de leur contexte », et que pour le Consistoire israélite central, il ne faisait « quexprimer une opinion personnelle ». Mais cest probablement tout : la démission de Serfaty de lAJMF nétait pas à lordre du jour mardi, et il serait extrêmement étonnant que le ministre de la Justice Dominique Perben ordonne une de ces enquêtes préliminaires dont il est si friand dès quune parole ou un acte anti-juifs, sont vaguement évoqués.
ACTE II A propos de célérité de la machine judiciaire : la Cour de Cassation a cassé, mardi, un arrêt de la Cour dappel relaxant Dieudonné, dans une des très nombreuses « affaires » pour lesquelles il a été poursuivi.
Il aura fallu seize mois seulement pour que des propos contestés, publiés en novembre 2003 dans le magazine Lyon Mag’, soient jugés en première instance (avec relaxe pour Dieudonné), puis devant la Cour dappel (avec également relaxe), et enfin devant la Cour de Cassation, léchelon de juridiction le plus élevé du système.
Les propos poursuivis (par la LICRA et cie, main dans la main avec les pouvoirs publics) étaient les suivants :
« Les juifs, c’est une secte, une escroquerie, c’est une des plus graves parce que c’est la première » ainsi que : « Le racisme a été inventé par Abraham. Le peuple élu, c’est le début du racisme ».
Dans un arrêt rendu le 30 juin 2004, la 11ème chambre de la cour d’appel de Paris avait confirmé le jugement de relaxe prononcé à l’encontre de l’humoriste en première instance.
La Cour dappel avait estimé que si « les termes incriminés, secte et escroquerie rapportés aux juifs, pris en eux-mêmes sont forts et choquants, il convient, comme l’a fait le tribunal, de les replacer dans le contexte de l’article qui fait apparaître à quel point Dieudonné M’Bala M’Bala rejette l’idée du communautarisme et promeut l’universalité de l’être humain ». De fait, Dieudonné s’en prenait dans cet article à toutes les religions et à leur obscurantisme.
Mais pour la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui renvoie laffaire devant une autre Cour dAppel, « les propos litigieux mettaient spécialement en cause la communauté juive, présentée comme « une des plus graves escroqueries » parce que « la première de toutes ».
ACTE III Nous reproduisons ci-dessous une chronique de Zakaria Gueddouri publiée mardi sur le site oumma.com. Elle traite dun livre aux relents racistes de Roger Hanin, intitulé lHorizon. Cet ouvrage, en librairie depuis maintenant une quinzaine de jours, a bénéficié dune grosse couverture médiatique, le « commissaire Navarro » étant invité de nombreux plateaux de télévision. Mais aucun ministre ne sest appesanti sur les outrances (cest un euphémisme, vous allez lire) du bouquin. Alors, que pourra bien retenir de cet épisode le public qui a pris connaissance, le mois dernier, des indignations parfaitement justifiées à la lecture dun autre ouvrage scandaleux, titré volontairement, de manière morbide et racoleuse, « Pogrom » ?
Roger Hanin et les démons du crépuscule
Par Zakaria Gueddouri
mardi 15 mars 2005
Je ne suis pas coutumier de la littérature de Roger Hanin, je le dis sans mépris. Mais voilà. Linterview de ce dernier dans lémission « Paris Dernière » sur Paris Première (4 mars) ma piqué au vif de la curiosité. Son passage dans « Campus » (3 mars), chez lanimateur-producteur Guillaume Durand, ma tout juste un peu déçu pour ses propos pour le moins légers sur les otages dIrak, par exemple : (« une histoire de fric » assène t-il négligemment). Très peu de mots sur le livre pour lequel il est invité (LHorizon, Grasset, 18 Euros.) Ne comptez pas sur lanimateur pour vous faire un « pitch » fidèle de quoi il sagit. On se contentera dun laconique mais vendeur « roman sur la rencontre et contre les ghettos… » Pour plus de détails, prière dacheter le livre… La République des lettres a aussi ses contraintes économiques que la ménagère de moins de ce que vous voulez est chargée dy remédier…
Avec Frédéric Tadéï pour « Paris Dernière », linterview est plus serrée, un cran plus haute. Lanimateur, mondain à lenvie si lon veut, lit toutefois ce dont il parle ce qui, depuis Pivot, ne se fait guère. Le réputé colérique de la Casbah y perd de son aise. Les propos proférés volent au-raz de « lhorizon » : « je ne connais cette religion [lIslam] que par ses exactions… » ; « la presse, cest évident, est pro-palestinienne » etc. Muleta !
« Un jour ou lautre, il faudra revenir au départ. Compter les coups, compter ses sous. Prévoir », dit le « romancier » (p. 11) Chiche !
Commençons par le début de la fin :
« Le 20 octobre 2004, en léglise de la Madeleine, Myriam Allaoui [[Roger Hanin ignore certainement que son héroïne est homonyme de « S.A.R. Lalla Mériem bint El Hassan Alaoui », sur ainée du roi Mohamed VI.]] épousa Grégoire Lempanon-Duclos. En robe blanche de Christian Lacroix, elle descendit les escaliers mythiques au bras de son mari. Le bonheur et linnocence témoignaient à visage découvert. Au bas des marches, un trio dapaches guettait affectueusement. Fraternellement… Brahim, Tarak et Rachid, gravures de mode dans leur costume de Cerruti haute couture, avaient lair de compter leurs sous. Les trois Arabes spectateurs hiératiques de lunion de leur sur, anciennement pute sur le boulevard des Maréchaux, navaient tout de même pas réussi à transgresser leur particularisme musulman jusquà assister à la cérémonie, entourés de croix et vitraux illustrant Christ et Sainte-Vierge. Grégoire avait réglé la facture « violence et menaces » par trois chèques énormes qui avaient définitivement assagi la fratrie rendue aux normes de la respectabilité bourgeoise et de lestablishment. Encore un effort et ils changeraient leurs prénoms en Gérald, Jean-François ou Olivier. Seul, le père Abdérazak avait participé à la cérémonie, Myriam tenant à traverser léglise de la Madeleine au bras de son père. Elle navait pas perdu son sens de la provoc et du surréalisme mixeur de tapin auréolé et de dame patronnesse crépue-crépue. » (pp. 149-150)
Le thème de ce roman est, on la compris, la prostitution (encore ! décidément cest une obsession chez Roger depuis quil se répand quil fréquentait ce milieu de la basse Casbah dAlger dès lâge de 15 ans…) Myriam y est cette gamine de 15 ans mise sur le trottoir par son frère Brahim lequel nhésita pas à trancher lindex de son père à coup de hachoir pour avoir tenté de sy opposer… « Les autres [frères] suivent. Ils sucent les os et aiguisent les machettes… » (p. 37)
Au « ghetto » de Mantes-la-Jolie, on est en territoire de barbares. Les « islamo-proxénètes » y côtoient les « islamo-violeurs » dans le pur style de la désormais classique littérature ratonadesque de veille et de lendemain davril 2002. Faut bien nourrir la bête de Saint-Cloud… Littérature pour qui le « particularisme musulman » du frère « sauvageon-apache » est mieux disposé avec une sur mise sur le trottoir par ses propres soins quà pénétrer dans une « Maison de Dieu ». Littérature au souvenir léger et sélectif, à linsulte concentrée ; doit-on rappeler quavant de désigner un type dhélicoptère cracheur de feu sur peuples désarmés, le mot « Apache » est la dernière trace dun peuple martyr et aujourdhui disparu.
Un jour, Myriam, la « tatouée au Coran » (p. 71), embarque dans la Bentley de Joseph, octogénaire à ne jamais mourir et amateur averti de chair fraîche. Tout Joseph est aux petits soins pour Myriam : la Bentley, le Champagne, du caviar (« Beluga », bien sûr), lhôtel Prince de Galles, Prague (où elle se convertit au judaïsme), le pont Charles etc. Litinéraire-type du prédateur au pouvoir dachat conséquent qui lui donne accès à lintimité des paumées, même mineurs, des boulevards extérieurs. Il lui fait même cadeau de sa Légion dhonneur avec un sens républicain désinvolte : « au nom de tous les martyrs de la Shoah », dit Joseph.
– … Et au nom de tous les martyrs palestiniens, ajoute linsolente de 15 ans.
– Ah non ! Merde ! Pas toi ! […] je suis indigné par la connerie qui va se loger dans la tête de linnocence, qui lenvahit, cancérise la naïveté. Je ne supporte pas lamalgame, la mauvaise foi, le manque de courage, la fourberie qui bombe le torse. Salauds ! Cest le seul brouillage qui me fasse hurler… » (p. 53)
Cette « innocence » quon met dans son lit mais quon interdit de regarder vers « lhorizon »…
Pourquoi donc cette nervosité à la simple évocation des Palestiniens ? Est-ce un effort surhumain de cesser la négation réciproque et de considérer que le droit, la justice, la réconciliation même nont que trop tardé dans cette région du monde ? Si même les « vieux » (au sens africain du terme) troquent leur sagesse pour crier avec les loups… ! On pensait certains mieux disposés à servir de « ponts », à sauver demain et les jours daprès des rancoeurs daujourdhui aux fruits assurément amers.
Désespérant.
Ce roman, on la compris, nest quun prétexte pour placer quelques vacheries empruntées au prêt-à-penser, ici aux communautaristes, là aux « nouveaux réactionnaires » et qui consiste à faire le procès, pêle-mêle, des droits de lhomme, de la culture de masse, de légalité et bien sûr de limmigration (la branche démographique dAl Quaïda …) : « … Si tu te laissais aller à un relativisme planétaire, tu deviendrais une crapule « droit de lhommiste ». Tous les hommes, toutes les femmes qui basculent dans la solidarité, tiers-monde, charité, fraternité, deviennent des intellos bienfaisants. Regarde la tête de mère Teresa ou de sur Emmanuelle […] Cet argent arnaqué à des ignorants, tu le donnerais bien sûr en courant à ces deux saintes qui gigotent dans leur béatitude. Tout est en ordre pour ces deux femmes. Elles ne veulent rien. Mais Joseph, elle ne demandent rien parce quelles ne désirent rien. La mort les guette, elles nont pas peur… « (pp. 70-71). Cest Myriam évidemment qui parle. Invraisemblable.
Cest encore à elle quon fait dire le pire : « … jexècre cette religion [lIslam] telle quon me loffre quotidiennement, sectarisme, haine du « gentil », de la différence, fanatisme, terrorisme, folie… » (p. 133). Procédé commode et lâche à la fois et, en tout état de cause, dangereux. Piège aussi pour que, le moment venu, lauteur se mue en victime des « islamo-censeurs » et des « communautaristes ». Ça stimule les ventes et recrée la meute. La parole médiatique, celle qui prépare les neurones à réclamer du Coca Cola, se chargera dentretenir linstinct de lynchage. La chasse à lhomme, on sait lequel, ça donne soif… Oriana Fallaci a ses lecteurs et ses imitateurs… Procédé malhonnête aussi qui fait passer linsulte pour de la critique et la haine toute nue pour de la dénonciation de lintégrisme (on vous a pas attendu pour ça) alors quil nest quessentialisation qui stigmatise et qui, en fin de compte, appelle à la ratonade. Mais message subliminal plus élaboré ; la « haine de soi » est le nécessaire sésame si lon veut un strapontin dans la « Société du Spectacle et du Politique ». Tout « Arabe ou Noir de service » se doit demprunter ce chemin là et de conjuguer la phrase sus-citée à la sauce adéquate. Pas question de cultiver des appartenances multiples, de féconder des héritages, sans excès ni renoncement, et dêtre ainsi dans luniversel. Les mathématiques nattribuent-elles pas deux signes distincts à « appartenance » et « identité » ?
Quand on lit lHistoire dans le prompteur de Claire Chazale… ! Cest bien la peine de vivre quatre fois vingt ans et côtoyer une culture sans la connaître… !
Consternant.
Et puis, cette autre vacherie de trop.
Vous dites, Monsieur Roger, aimer Albert Camus, non pour signaler son génie littéraire ce dont tout le monde convient, mais sur le point le plus discutable de ses positions politiques, son fameux « sil me faut choisir entre la justice et ma mère, je choisirai ma mère. » Même Sartre, pourtant un professionnel de lerreur (Vichy, le stalinisme, etc.), a vite compris la légitimité de la révolte algérienne et la soutenue. « Belle plaidoirie, ignorée des fourbes et des jaloux de ce prix Nobel à 44 ans… », dites vous approbateur (p. 125). Transposée à la question palestinienne, on comprend lengouement de certains pour cette devise.
On connaît la litanie incantatoire dun certain milieu qui ne digère toujours pas la souveraineté retrouvée et méritoirement acquise du peuple algérien. Venant de certains nostalgiques de lOAS, on était habitué. Sauf que vous nêtes pas nimporte qui, si je puis dire : En septembre 2000, à loccasion de la semaine du film français, le président Bouteflika vous décorait de la médaille du « Athir », une des plus hautes distinctions algériennes. Geste hautement symbolique qui ne récompense pas vos positions passées sur lAlgérie (on ne vous en connaît pas de mémorables, pas même une signature en bas dune pétition pour dénoncer les massacres du 8 mai 1945 par exemple ou le statut dindigénat ou la torture ou ces « camps de concentration » où 3 millions dAlgériens furent internés et que dénonça, en son temps, Michel Rocard etc.) Non. Cette distinction était conçue, je limagine, comme une ouverture, un geste réconciliateur, un pari sur lavenir. Est-il trop vous demander, dès lors que vous lavez acceptée, de respecter cette médaille et la genèse du pays qui vous loffre ? Peut-on accepter une telle distinction puis remettre en cause la légitimité même du pays qui vous lattribue, son indépendance, le droit de son peuple à gérer son destin sans tutelle ni domination prédatrice ?
Ne vous est-il pas arrivé de croiser dans le brillant de cette médaille le regard malicieux et toujours modeste du jeune adjudant Ben Bella recevant, en 1944 (vous aviez 19 ans cette année-là) la Médaille militaire des mains du général De Gaulle en personne pour ses faits darmes dans la bataille du Monte Cassino en Italie (en 1940, sergent au 14ème régiment dinfanterie alpine, Ben Bella est décoré de la Croix de guerre pour avoir abattu un Stuka allemand dans le port de Marseille, puis quatre fois cité dont deux fois à lordre de larmée…) Avec ses 173 000 frères de combat Marocains, Tunisiens et Sénégalais, ils ouvrirent la route de Rome, puis Berlin à la troisième armée du général Patton. En ligne de mire et au-delà de « lHorizon », ils pensaient Alger, Rabat, Tunis et Dakar.
Cette médaille, comme toutes, est un concentré de lhistoire du pays, des hommes et des femmes qui lont fait, de leurs rêves dhier et leurs projets de demain. On y trouve ces derniers instants dun Ben MHidi dans son ultime souffle arraché par les mains assassines dun Aussaresse, aidé de deux gorilles pour tenir le fauve, calme et grandiose, de votre Casbah natale. Son métal est forgé dans la fournaise des grottes de Dahra, à lest de Mostaganem, où, en 1845, toute la tribu des Ouled Riah qui sy est réfugiée fut enfumée et décimée par les troupes du colonel Pélissier. Ou cette autre tribu des Sbéa, soutient de Bou Maza, emmurée, la même année, dans une grotte sur ordre du général Saint-Arnaud. Sy loge cette main tendue et protectrice dun Abdel Kader donnant le « aman » aux chrétiens de Syrie, son pys dexil, au péril de sa vie. Lesprit de Saint-Augustin (Ibn Monica pour les Soug-Ahrasis) sy mêle au soufisme aimant et ouvert dIbn Muhiedine.
Les symboles, ne laviez-vous pas appris de votre ami Mitterrand, ça compte Monsieur Roger.
Impardonnable.
Zakaria Gueddouri


