Ci-dessous une interview de Hassan Youssef, réalisée par Mireille Court et Chris Den Hond, avant qu’il ne soit arrêté par l’armée israélienne, lors d’une rafle massive de militants palestiniens de différents partis dans toutes les villes de Cisjordanie, dimanche 25 septembre 2005.
« Diabolisé par certains, le Hamas reste une composante de la résistance palestinienne, dont le poids politique est croissant. Publier son point de vue fait donc partie d’une information honnête sur les forces de résistance à l’occupation », soulignent Mireille Court (Rouge) et Chris Den Hond (La Gauche).
Quelle est votre opinion sur le retrait de Gaza ?
Pour commencer, nous sommes pour la libération de chaque parcelle de notre terre. Le retrait de Gaza est une victoire de notre peuple, le fruit de sa résistance et de son attachement à ses droits nationaux. On ne peut pas parler d’un retrait, parce que les Israéliens utilisent le terme « désengagement ou redéploiement ». Il ne faut pas aller plus loin et tomber dans le piège, dire qu’il y a retrait israélien, car dans le nord de la Cisjordanie il y a retrait de seulement quatre colonies qui sont très petites et isolées, plus une caserne.
Y a-t-il une alliance tactique ou stratégique entre le HAMAS et le FPLP ? Le maire de Bethléem (FPLP) a été élu avec le soutien du Hamas. Pour des marxistes européens, c’est une alliance étrange. Est-ce une alliance tactique ou est-elle stratégique ?
Sur le principe, il n’y a pas seulement une alliance avec le FPLP, mais aussi avec d’autres courants politiques, à Bethléem, à Beit Fourik où nous avons fait une alliance avec le Front Populaire pour la mairie, on s’est mis d’accord pour une alternance à la présidence, deux ans pour le Hamas et deux ans pour le Front Populaire. Nous sommes pour l’ouverture envers les autres, nous ne sommes pas sectaires. Nous croyons qu’il y a une possibilité de vivre avec l’autre et de discuter. C’est la raison de l’alliance avec le Front Populaire et avec d’autres courants politiques. Ce n’est pas quelque chose d’exceptionnel. Depuis Madrid et les accords d’Oslo et l’après Oslo, nous avons des positions en commun avec le Front Populaire. Et dernièrement, il y a eu des rencontres entre la direction du Hamas et le Front Populaire en Cisjordanie et à Gaza pour discuter de la possibilité d’une alliance entre le Hamas et le Front Populaire pour les élections municipales et législatives. Nous, les Palestiniens, nous pensons que la seule solution c’est l’unité contre l’occupation qui veut frapper toute la résistance palestinienne comme Hamas et le Djihad Islamique et le Front Populaire, les forces qui luttent contre l’occupation. Nous pensons que le Front Populaire, malgré toutes les divergences idéologiques que nous avons avec eux, est l’organisation la plus crédible et la plus cohérente sur la question des droits de notre peuple palestinien.
En tous cas, nous voulons chercher les points communs avec toutes les forces politiques palestiniennes, nationalistes ou de gauche ou autres. Si nous partageons les buts, les moyens et les tactiques, nous voulons travailler avec ces gens-là et nous coordonner avec eux, joindre nos efforts à leurs efforts dans l’intérêt de notre peuple. C’est notre vision et l’orientation que nous appliquons.
Si vous êtes au pouvoir, allez-vous installer un pouvoir islamique fondamentaliste comme les Talibans ?
En ce qui concerne les Talibans, nous respectons tout le monde, mais nous ne souhaitons pas que notre modèle ressemble au modèle des Talibans ou d’Al Qaïda. Leur philosophie n’est pas construite sur une compréhension correcte de la religion islamique qui est interprétée par eux comme un slogan. Nous croyons que l’Islam veut vivre et dialoguer avec les autres ; un Islam qui veut dialoguer avec d’autres civilisations, sans conflits entre elles ; un Islam qui croit dans la science, la découverte et l’origine du monde ; un Islam qui respecte la femme, un Islam qui croit à l’égalité sociale et au partage, un Islam qui croit à la suprématie de la loi et à l’indépendance de la justice, à égalité des chances entre les gens et aux droits des citoyens, un Islam qui croit à la liberté, c’est ça l’Islam. C’est ça l’Islam comme nous l’interprétons et donc les Talibans, nous ne souhaitons pas que ce soit notre modèle, parce que cette interprétation de l’Islam n’est pas correcte.
Il semble que vous ayez plus de relations avec le Hezbollah ? Quels sont les points communs entre le Hezbollah et le Hamas ?
En ce qui concerne le Hezbollah, son orientation est claire. Il appartient à la communauté shiite, mais nous ne regardons pas ces détails-là, parce que nous pensons que le Hezbollah est un mouvement avec un projet et des buts qui sont les mêmes que les nôtres. Nous avons des divergences secondaires. C’est très normal, leur programme et leur vision sont très proches de la nôtre. Je pense qu’ils reprochent la même chose à Al Qaida et aux Talibans que nous.
Si vous êtes au pouvoir, les femmes n’auront plus de droits et vous allez jeter les juifs à la mer ?
(Il rit). Ce n’est pas vrai, parce que la femme fait partie de notre mouvement et de notre réalité, car elle fait le même effort que l’homme. Elle est dans le bureau politique de notre organisation. Nous avons permis aux femmes de combattre l’occupation aux côtés des hommes. Nous avons des martyres, des sœurs prisonnières à vie. La femme condamnée à la plus longue peine de prison est une femme de Hamas, Alham Tamimi. Elle a été condamnée à 17 fois la perpétuité. Il y a des dizaines de prisonnières femmes.
Lors des dernières élections municipales, parmi les 180 femmes qui se sont présentées aux élections, il y avait environ 140 femmes militantes du Hamas ou proches du Hamas. C’est bien la preuve que nous soutenons les femmes. Nous avons des femmes ingénieures, avocates, médecins, docteur de l’université, dans la religion et dans la politique. Nous ne posons pas des restrictions à la femme, au contraire, on la pousse à prendre tout son rôle comme le fait l’homme.
En ce qui concerne les juifs « qu’il faut jeter à la mer », ce sont des propos qui ne sont pas corrects, qui sont faux. Nous ne sommes pas contre la religion juive, mais nous sommes contre l’occupation israélienne qui contrôle notre terre et nos lieux sacrés. Ils ont chassé notre peuple, ils ont assassiné notre peuple, c’est avec eux que nous avons un conflit.
La situation des Palestiniens est pire tous les jours. Avez-vous un espoir pour l’avenir ? Quelle est votre stratégie politique et militaire à court terme ?
Il y a l’occupation. Il faut utiliser tous les moyens pour les faire sortir de notre terre. Il y a eu des négociations, à Oslo et à Madrid et plusieurs rencontres, mais il n’y a pas eu de résultats. Le retrait de Gaza n’est pas le résultat d’une négociation, mais de la résistance, des missiles et des opérations effectuées par notre peuple. Comme le peuple palestinien n’a pas encore retrouvé ses droits nationaux, c’est notre droit de résister pour arriver à un Etat palestinien entièrement souverain. Nous ne comptons pas beaucoup sur les négociations, parce que l’occupation les utilise pour manipuler et pour créer des faits accomplis sur le terrain. Depuis Oslo, la colonisation n’a pas seulement doublé, elle a explosé. Jérusalem est judaïsé et isolé. L’escalade des attaques contre notre peuple continue avec des négociations comme couverture. Nous pensons que les négociations ne sont pas utiles sous l’occupation israélienne.
Quelle est la principale différence entre la résistance palestinienne et irakienne?
Nous croyons que l’occupation israélienne est totalement différente de toutes les occupations dans le monde. L’occupation israélienne est une occupation colonialiste qui veut éliminer l’existence du peuple palestinien. Cette occupation pense que c’est sa terre, ses lieux saints et pour nous aussi c’est notre terre, nos lieux saints. Notre contradiction avec cette occupation est basée sur des principes, sur la religion et là-bas en Irak, c’est différent. Nous considérons que les Etats-Unis, l’Angleterre et les autres armées qui se trouvent en Irak sont des forces occupantes et nous croyons au droit à la résistance des Irakiens, mais il y a des opérations qui ciblent des civils et qui provoquent des problèmes interconfessionnels, la guerre confessionnelle et la guerre civile. Nous sommes contre ces opérations qui visent les innocents et qui provoquent une guerre entre les confessions.