Janine, Monique, Françoise et Ginette de retour à Chartres après un voyage dans les territoires palestiniens occupés, nous font parvenir ce témoignage.
Voyage en Palestine de quatre Chartraines en avril 2006.
« Entrer dans Bethléem, en venant de Jérusalem (10 Kms), coupe le souffle: le check point censé protéger le tombeau de Rachel, lieu de pèlerinage pour les Juifs, est un dédale de couloirs, de grillages, de tourniquets, de feux rouges, parfois verts, de caméras, de systèmes électroniques sophistiqués, de contrôles policiers et de militaires, mitraillette au poing, qui se promènent au-dessus de nos têtes sur des caillebotis.
Touristes, pèlerins passent sans encombre. Les Palestiniens doivent se déchausser, déposer tous les objets métalliques ou électroniques, voire se déshabiller! en public! Parfois, ils sont refoulés, même s’ils ont les permis nécessaires, c’est l’arbitraire.
Circuler d’une ville à l’autre, à l’intérieur de la Cisjordanie, même pour des étrangers est un défi. Pour revenir de Naplouse à Bethléem, moins de 60 Kms, nous avons mis 4 heures, changé 4 fois de taxi collectif, passé 4 check points, échappé à un autre, en empruntant des chemins de terre entre les oliviers. Au moment de rejoindre l’itinéraire direct, « la belle route goudronnée des colons », un nouveau barrage nous attend. Passera… passera pas, au gré de 4 très jeunes soldats israéliens qui, mitraillette au côté, nous toisent de haut. Nous sommes alors 9, Belge, Canadien, Français, Palestiniens: nous n’avons pas à rebrousser chemin ou à continuer à pied comme nous le voyons faire à une famille palestinienne.
La colère nous envahit au récit de ce que nous avons appelé « le tombeau de Catherine ».
Invitées à l’occasion de la Pâque orthodoxe pour participer aux chaleureuses fêtes familiales, nous avons découvert la détresse de Catherine et de son entourage. Son mari, son beau-frère et leur famille, au sens large du terme, partagent avec leur mère, une belle maison au rez-de-chaussée de laquelle se trouve un garage qui les faisait vivre. Depuis quelques mois « Le Mur » de béton, haut de 9 mètres, entoure trois côtés de leur maison à moins de 5 mètres des ouvertures. Des soldats surveillent, jour et nuit, la maison du haut d’un immeuble voisin. Plus d’horizon, plus de soleil, le gris du « Mur » partout, cet outil d’oppression censé protéger le fameux tombeau de Rachel, vise en fait, à terme à annexer les terres voisines pour construire une synagogue et une nouvelle colonie de 400 logements! L’entreprise familiale est condamnée, les clients n’accèdent plus au garage pour venir faire réparer leur voiture. Les revenus des deux couples s’effondrent, ils sont obligés d’emprunter de l’argent pour subvenir aux besoins de la famille. Tous sont déprimés, les enfants ne veulent plus aller à l’école, la grand-mère malade ne veut plus vivre seule dans son appartement sans lumière. Nous voulions prendre des photos, de l’intérieur de la maison, mais nos hôtes nous ont dit que c’était interdit. Les militaires israéliens exercent une pression psychologique constante, de jour comme de nuit, que l’on peut apparenter à une torture mentale. « Le Mur » tue économiquement cette famille et l’anéantit moralement. Le but évident est de l’obliger à quitter les lieux. Elle demande au monde entier de la soutenir en faisant tomber « le Mur » afin qu’elle puisse rester dans cette maison.
Nous devons taire d’autres informations qu’elle ne veut pas diffuser par peur de représailles !
« Ce Mur » dit de sécurité, en fait, mur de la honte et mur d’apartheid est omniprésent à Bethléem, à Jérusalem-Est et sur toute la frontière ouest de la Cisjordanie où nous nous sommes rendues. Il déchire les paysages, il mange les terres palestiniennes, il est la matérialisation de l’occupation militaire de la Palestine. Il court dans les collines, serpent hideux de béton, haut de 9 mètres de haut, il ne peut susciter que la peur et la haine!!!
Il n’a rien de sécuritaire, il vise à annexer les terres, à s’emparer des points d’eau, à isoler les villages arabes pour obliger les habitants à partir s’installer ailleurs. _ Nous avons pu le constater, en faisant une visite « politique » de Jérusalem-Est, où la colonisation israélienne est partout présente.
Les colonies se multiplient, sont fleuries et verdoyantes, avec de belles avenues, des immeubles neufs et confortables, des équipements collectifs somptueux… A côté, les villages arabes, aux rues défoncées, aux immeubles en chantier, sont cernés par « Le Mur » et fermés par des check points contrôlés par les Israéliens.
À Naplouse, nous avons écouté le récit poignant de femmes évoquant la tragédie que vivaient, depuis quelques jours, 5 d’entre elles. Toutes les nuits, vers 2 ou 3 heures du matin, elles sont expulsées de chez elles, conduites par l’armée israélienne pour être interrogées (leur fils est recherché) et relâchées à 7 heures du matin à un check point: punition collective, intimidation.
À Naplouse, toujours, 5 jeunes filles avaient été arrêtées, 8 jours avant notre passage, interrogées par des soldats israéliens. Les habitants n’avaient plus aucune nouvelle d’elles! Tandis que nous écoutions les paroles de désespoir de ces femmes, des jeunes adolescents entrent affolés dans la pièce. Quelques mots… Quelques cris, les téléphones portables se mettent en marche…le silence est lourd, lui succède le bruit des jeeps de l’armée qui cernent le quartier. Rodéo habituel, quotidien… Lorsque nous regagnons la rue, elle est déserte, plus personne dehors alors qu’à notre arrivée, l’animation toute orientale respirait la vie. Tout à coup, un enfant d’une dizaine d’année, sac d’écolier sur le dos, apparaît, en larmes: il ne sait s’il peut rentrer chez lui, il a peur « les soldats sont-ils encore là?
À Naplouse, encore, en pleine nuit, les habitants de certains immeubles sont obligés d’évacuer leurs appartements, tous les téléphones portables sont confisqués, les personnes confinées au pied de leurs habitations, tandis que les soldats de l’armée d’occupation fouillent de fond en comble les pièces, se servant au passage dans les frigidaires. De peur d’être surprise, la nuit, une des femmes nous a dit qu’elle couche habillée, elle transporte, en permanence, tous les papiers importants de la famille pour éviter qu’ils soient détruits lors d’une perquisition.
Dans les rues de cette ville, qui comprend des sites historiques d’une grande beauté, les impacts de balles, les maisons détruites, les traces de passage de chars et de bulldozers, ternissent la beauté d’une architecture millénaire et imposent les signes d’une ville en guerre, sous occupation et dans la résistance.
Pendant notre séjour à Bethléem, 2 assassinats ciblés se sont déroulés, les 21 et 23 avril, en toute impunité: les médias français ne semblent pas les avoir évoqués ne se faisant l’écho, à cette date-là, que d’affrontements entre les partisans du Hamas et du Fatah !
Nous étions en train de fêter la Pâque orthodoxe dans une famille, soudain des coups de feu, puis le silence. En pleine rue, ce dimanche, vers 16h30, des soldats israéliens ont tiré, sans sommation, sur 3 jeunes Palestiniens : un jeune chrétien et un jeune musulman sont morts sur place.
Peut-on continuer à parler d’État démocratique devant ces exécutions extra judiciaires? Le lendemain, Bethléem était une ville morte en signe de résistance et de protestation.
Dans une autre ville, le récit de H… nous bouleverse. Marié à une Palestinienne de Jérusalem-Est, enseignante dans cette ville occupée, il est séparé de sa femme et de leurs 2 enfants qu’il ne peut rejoindre puisque les autorités israéliennes refusent de lui accorder une carte de séjour pour Jérusalem. Il s’y rend cependant de façon clandestine en prenant les chemins détournés pour éviter les check points, au risque d’être arrêté et condamné à la prison. Il vient de purger une peine de 6 mois d’emprisonnement et doit payer une amende de 7000 shekels (une fortune pour lui). Il est désormais sur les listes noires de la police israélienne!!!
« J’explose à l’intérieur» nous explique un universitaire formé en France. Il a un permis pour se rendre chaque jour à Jérusalem, dans un grand centre de recherche scientifique israélien. Mais il n’est jamais sûr de pouvoir se rendre au travail car le passage au check point de Bethléem est laissé à la bonne volonté et à l’arbitraire des soldats israéliens présents. Au cours du mois dernier, il a été rejeté 6 fois! Il nous parle de la nervosité de ses enfants, 2 et 4 ans, stressés par l’atmosphère de guerre permanente. Plusieurs familles nous ont redit que les adolescents font, à nouveau, « pipi au lit ». Certains jettent des pierres, allument des feux de rue, construisent des barricades, dans la journée narguent la police, qui le leur rend bien…et la nuit, ils tremblent de peur!!!
Plus de la moitié des boutiques pour touristes de Bethléem et d’Hébron est fermée. Les commerçants encore en activité, nous supplient d’acheter de la marchandise!! Ils nous remercient d’être venus et nous disent de faire revenir les touristes! À Hébron plusieurs rues du souk ancien à l’architecture magnifique, sont presque désertes. On peut remarquer, au-dessus des ruelles, les filets qui protègent les passants des ordures délibérément jetées par les colons israéliens (ils ont acquis des logements surplombant le marché au cœur du quartier palestinien).
Mais ce qui nous a fascinées, ce qui force à garder l’espoir, c’est la vitalité, la force de résistance, la foi de ce peuple et son humour (A la fin d’un récit particulièrement poignant, un ami nous lance : « il faut rire pour ne pas mourir », une autre personne nous dit: » en Palestine, si on perd espoir, on meurt! »). Une vie fabuleuse existe partout: des enfants nombreux, souriants, joyeux, joueurs, curieux et espiègles, utilisent leurs quelques connaissances en Anglais pour nous aborder.
Dans le camp de réfugiés d’Aïda, à Bethléem, avec lequel nous sommes en relation depuis 2003, quel plaisir, lors de l’inauguration du nouveau centre culturel, d’être accueillies par une haie d’enfants et d’adolescents en costume traditionnel! Nous écoutons les discours d’Abdel Fattah, le directeur du centre et de J.C., le président de « l’association des Amis d’Al Rowwad », qui a contribué à la réalisation des nouveaux locaux au cœur de ce camp de réfugiés établis ici depuis 1948. Puis nous assistons aux nombreuses prestations des enfants artistes du camp: chants, danses, violon, lectures de textes. Ces jeunes rayonnent de joie et leurs visages expriment avec de larges sourires, leur profonde satisfaction. Quelques- uns d’entre eux seront bientôt présents en France, dans diverses villes, pour une tournée théâtrale qui va leur permettre de jouer « Nous sommes les enfants du camp », une pièce qui raconte l’histoire de ce peuple, depuis la Nakba, la catastrophe de 1948. La qualité d’expression, d’interprétation et de concentration des enfants est impressionnante, l’émotion est au rendez-vous. Tout se déroule dans une ambiance très conviviale, très chaleureuse au milieu d’un nombreux public composé des habitants du camp et des invités français, belges, la femme d’Edouard Saïd (célèbre pianiste et écrivain palestinien, réfugié aux USA, aujourd’hui décédé) est présente… Les femmes du camp ont préparé un buffet de gâteaux salés et sucrés autour duquel tous les convives ont pu partager leurs impressions et échanger leurs expériences de terrain. C’est un événement… Il témoigne du travail réalisé dans ce centre où tout concourt à mobiliser l’énergie des jeunes, à canaliser leur violence au service de la culture. « Tout ce qui travaille au développement de la culture travaille aussi contre la guerre » (Correspondance entre Einstein et Freud 1932).
À Deishé, un des 3 camps de réfugiés de Bethléem, qui recense, au total, environ 17000 réfugiés, la rencontre avec un des responsables locaux est instructive. Le camp est un dédale de ruelles étroites, défoncées qui grouillent d’enfants de tous âges. Les maisons presque toujours inachevées, en chantier, aux étages superposés pour accueillir les nouvelles générations dans un espace limité, affichent extérieurement pauvreté et précarité. Quelques boutiques ont pu être ouvertes dans le camp, offrant un peu de travail à une population réduite en partie au chômage. Comme tous les camps de réfugiés, en Palestine, ce camp est entièrement sous le contrôle de l’U.N.W.R.A., c’est-à-dire de l’O.N.U. et d’un comité populaire élu. La mairie de Bethléem ne gère absolument pas ces espaces loués provisoirement (depuis 1948) par l’O.N.U., pour 99 ans, où la vie des habitants dépend en grande partie de l’aide internationale: les habitants sont très inquiets des décisions récentes des instances internationales de ne plus vouloir financer le gouvernement de l’Autorité Palestinienne depuis la victoire récente du Hamas. Là, comme à de multiples reprises lors de notre voyage, les Palestiniens nous interpellent et nous supplient de faire quelque chose auprès des autorités de l’Europe pour que les financements soient rétablis, sinon la Palestine va à la catastrophe et les Palestiniens ne répondent pas de ce qui peut se passer. À la fin de la visite de ce camp, nous entrons dans un vaste centre culturel, construit et reconstruit malgré les destructions répétées de l’armée israélienne. Tout est fait là, grâce à l’aide d’O.N.G. et à l’aide de certains gouvernements, pour offrir aux réfugiés un lieu convivial, agréable pour se retrouver en famille et entre amis. De nombreuses activités éducatives sont proposées aux différents publics. Nous mesurons une fois encore combien le peuple palestinien résiste en donnant la priorité à l’éducation, à la santé et à la défense de la culture palestinienne.
C’est cette même ambition de tout faire pour que la culture, la vie associative vivent que nous rencontrons à Naplouse, dans le centre de Darna. C’est une association qui fédère une quarantaine d’associations d’éducation populaire aux activités très diversifiées. Il s’agit de soutenir et d’encourager les initiatives des citoyens de Naplouse, des camps et des villages environnants en leur apportant de l’aide matérielle et organisationnelle.
Nos amis chrétiens de Bethléem nous font connaître le centre A.E.I. (Institut Arabe d’Education), en lien avec le mouvement Pax Christi International. Ce centre mène toute une action éducative auprès des enfants, des jeunes et des adultes, chrétiens et musulmans pour développer une culture de paix, dans la non-violence. Nouveau témoignage de l’importance du travail, dont on entend très peu parler dans les médias français, réalisé dans l’ombre, pour enrayer la haine, la peur, l’exclusion de l’autre.
Voici livrées quelques-unes des impressions fortes et éprouvantes vécues au cours de ce séjour. Comme d’autres l’ont fait et le font actuellement, nous lançons un cri d’alarme, aux institutions politiques, à tous les Européens mais aussi aux Israéliens et à toutes les communautés juives pour que la paix advienne. La situation actuelle mine le peuple palestinien mais, mais enferme les Israéliens dans une sorte de folie guerrière dont ils ne peuvent sortir indemnes.
Les amis palestiniens n’ont cessé de nous remercier de venir les voir, c’est le plus beau cadeau, la vraie solidarité qu’ils réclament car ils sentent alors qu’ils existent!! Ils nous ont demandé de faire quelque chose, pour leur venir en aide et leur permettre de vivre et de travailler librement sur une terre qui leur soit enfin reconnue. Ils n’ont cessé de nous réclamer d’intervenir auprès des États occidentaux et des instances internationales pour que soient rétablis les financements à l’Autorité Palestinienne qui sinon, risque l’asphyxie et pour obliger Israël à revenir à la table de négociations; à évacuer les territoires occupés et à respecter les résolutions de l’O.N.U.
Ginette, Janine, Françoise, Monique.
Publié par CAPJPO EuroPalestine