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Des Israéliens lucides

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Nous vous conseillons la lecture de ces deux articles, publiés dimanche dans la presse israélienne (Yediot Aharonot et Haaretz) et traduits par Michel Ghys. Ils montrent que certains Israéliens ne sont pas dupes des visées de leur gouvernement et les condamnent ouvertement.


Noam Shalit, ennemi du peuple

par Efrat Roman-Asher

Ynet (Yediot Aharonot), 9 juillet 2006

Aux maigres épaules de son fils sont accrochés les attentats à venir. Comment peut-il refuser de faire de lui le symbole de la fière détermination sioniste ?

Après des générations entières de parents enrôlés, dans leurs moments les plus durs, pour venir, contre leur gré, rouler des yeux et marmonner que « nous sommes certains que le gouvernement israélien fait tout ce qui est en son pouvoir… », les parents de Gilad Shalit se sont levés en disant que peut-être le roi n’était pas nu – mais il n’est bien sûr pas complètement habillé. Entre la réalité – où l’Etat d’Israël entreprend à peu près tout ce qui pourra éloigner la libération de Gilad – et les clichés dépourvus de contenu que les conseillers en image et communication nous ont appris à réciter, l’écart était trop grand même pour qui a pensé qu’on avait abandonné Madhat Youssef parce que sa mère n’était pas juive*. Noam et Aviva Shalit sont les parents de Gilad Shalit et c’est dès lors une obligation pour eux de trouver tout ce qui, sur terre, pourrait conduire à sa libération immédiate. Les gouvernements ne sont, en fait, pas censés agir selon un instinct parental, mais si on mène un combat politique sur le dos d’un soldat enlevé, qu’au moins on ne l’appelle pas « l’enfant ».

Mais Noam Shalit, père d’un soldat fait prisonnier, s’est réveillé un beau jour pour découvrir que non seulement il connaissait l’horreur d’avoir un fils captif, mais que parallèlement – avec les encouragements bien évidemment de conseillers d’un genre ou d’un autre – il était devenu lui-même l’ennemi du peuple. Une organisation de victimes du terrorisme, « Almagor », s’est donné la peine de lancer une campagne, ni plus ni moins, contre la demande de Noam Shalit que des négociations soient menées sur la libération de prisonniers en échange de celle de son fils. Et bien sûr, de fougueux lecteurs réagissant en ligne se sont surpassés en accrochant aux maigres épaules de Gilad les attentats à venir et en reprochant même à un père au caractère faible de ne pas comprendre qu’il devait faire de son fils le symbole de la détermination sioniste insoumise. Des experts autoproclamés en sécurité et en stratégie cherchent à faire de Gilad Shalit un agneau, mais pour quel sacrifice exactement ? Au nom de quoi exigent-ils de Noam Shalit de sacrifier son fils ? Quelqu’un pense-t-il vraiment que sa libération ou son maintien en détention aura un lien quelconque avec l’arrêt des roquettes Qassam ou avec le changement du gouvernement Hamas ou avec la fin des attentats ? Cela ne vous rappelle-t-il rien ?

Un jour, il n’y a pas si longtemps, des terroristes palestiniens ont ouvert le feu sur l’ambassadeur [d’Israël en Grande-Bretagne] Shlomo Argov. C’était après une longue période de tirs de Katiouchas lancés depuis le Liban sur Kiryat Shmona et là aussi il y avait une histoire de gouvernement qui ne nous donnait pas satisfaction. Le gouvernement israélien qui, comme beaucoup d’autres, était fort pour encaisser des coups sur le dos des villes de la périphérie mais l’était un peu moins quand il s’agissait de l’orgueil national et de ses symboles, avait alors décidé de leur rentrer dedans, en grand. Bien des années plus tard, après une multitude de tués et de blessés, de traumatisés de guerre et de beaucoup de haine, nous avons quitté le Liban. Les Libanais ont un gouvernement élu et le Hezbollah qui rappelle à l’occasion que lui aussi est encore là. Peu de choses ont changé. Le moment où Israël tient qu’un représentant palestinien est devenu légitime, qu’il est un partenaire de discussion à ses yeux, suit toujours cet instant où Israël l’a rendu non représentatif aux yeux des Palestiniens qui l’ont remplacé par un nouveau dirigeant, plus radical, qui n’est donc pas un partenaire pertinent aux yeux d’Israël. Boucle sans fin.

Le gouvernement Hamas est un gouvernement élu lors d’élections démocratiques (dont la surprise des résultats me rappellera toujours ce matin où la moitié d’Israël s’est réveillée abasourdie par la victoire de Netanyahou). Le gouvernement Hamas a été élu pour beaucoup grâce à l’écrasement par Israël de l’autorité d’Abou Mazen. Dès lors que nous reconnaîtrons ce gouvernement comme le gouvernement du peuple palestinien qui, pour notre déveine historique, a été élu pour partager avec nous la terre de nos pères communs, nous pourrons mener des négociations. Dans un lointain avenir, peut-être parviendrons-nous à des accords de paix, mais pour l’heure, nous nous contenterons d’accords pratiques conduisant à la libération de Gilad Shalit, et de négociations efficaces sur un cessez-le-feu, complet, des deux côtés.

Ceux qui prennent la peine de lire aussi le texte des articles et ne sautent pas sur le droit de réponse immédiatement après avoir simplement lu le titre, ceux-là savent bien sûr que comme conditions à la libération de Gilad Shalit, la première exigence des trois organisations qui sont derrière son enlèvement était que parmi tous les prisonniers, seuls les femmes et les moins de 18 ans soient libérés. Ceux qui s’intéressent aux faits savent aussi que ce n’est pas seulement le mur, mais essentiellement l’appel du Hamas à l’arrêt des attentats qui a fait baisser leur nombre, et aussi que pendant que nous répétions le mantra qu’il n’y a personne à qui parler et que nous bombardions par erreurs répétées des civils, les dirigeants des Palestiniens rédigeaient un document destiné à servir de plateforme commune pour des négociations politiques. Essayez seulement de penser à tout cela, avant d’écrire dans votre droit de réponse en ligne qu’ « il est interdit de libérer des terroristes, car les Arabes ne comprennent que la force ».

Efrat Roman-Asher est scénariste et l’auteur du roman « Iroushalem »

(Traduction de l’hébreu : Michel Ghys)

* En octobre 2001, lors d’affrontement entre des Palestiniens et des soldats israéliens au tombeau de Joseph à Naplouse, Madhat Youssef avait été grièvement blessé. Il n’avait pas été évacué à temps et avait succombé à ses blessures. (NdT)

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Qui a commencé ?

par Gideon Lévy

Haaretz, 9 juillet 2006

« Nous sommes sortis de Gaza et ils tirent des roquettes Qassam » – rien n’exprime plus précisément l’opinion générale à propos de l’actuel cycle de confrontation; « ils ont commencé » : telle sera la réponse lancée à qui essaierait néanmoins de soutenir que par exemple, quelques heures avant le premier Qassam tombé, sans faire de dégâts, sur une école à Ashkelon, Israël avait semé la destruction dans l’Université Islamique de Gaza. Israël plonge Gaza dans l’obscurité, lui impose un siège, bombarde, liquide et emprisonne, tue et blesse des civils, dont des enfants et des bébés en nombres terrifiants, mais : « ils ont commencé ». Et puis aussi, ils « violent les règles » fixées par Israël : à nous, il est permis de bombarder comme cela nous chante, mais il leur est interdit de lancer un Qassam. Quand eux tirent un Qassam sur Ashkelon, on est tout de suite « un degré plus haut », alors que quand nous bombardons une université ou une école, c’est dans l’ordre des choses. Pourquoi ? Parce que ce sont eux qui ont commencé. Et que dès lors, la justice est toute de notre côté, pense la majorité. Comme dans une dispute au jardin d’enfants,« qui a commencé ? » est devenu la carte morale gagnante d’Israël pour tout crime commis.

Mais alors, qui a vraiment « commencé » ? Sommes-nous réellement « sortis de Gaza » ? Israël n’est sorti de Gaza que partiellement et de manière retorse. Le plan de désengagement, qui s’était qualifié sententieusement – « partage du pays », « fin de l’occupation » – a effectivement conduit au démantèlement des colonies et au départ de l’armée israélienne de la Bande de Gaza, mais il n’a quasiment rien changé aux conditions de vie de ses habitants. Gaza est encore une prison et ses habitants toujours condamnés à vivre dans la pauvreté et l’oppression. Israël les enferme de tous côtés – mer, air et terre ferme – à l’exception de la soupape de sécurité limitée du passage de Rafah. Ils ne peuvent rendre visite à des proches vivant en Cisjordanie ni chercher du travail en Israël dont l’économie de Gaza a été totalement dépendante pendant environ 40 ans. Faire passer des marchandises est parfois permis, parfois interdit. Gaza n’a aucune chance, dans de telles conditions, d’échapper à la pauvreté. Personne n’y investira, personne ne pourra développer Gaza. Nul ne peut s’y sentir libre. Israël est sorti de la cage, a jeté les clés et abandonné les habitants à l’amertume de leur sort. Maintenant, moins d’un an après le désengagement, Israël fait, dans la violence et la force, le chemin du retour.

Que pouvait-on espérer ? Qu’Israël se retire unilatéralement, en ignorant ouvertement et outrageusement l’existence et les besoins des Palestiniens, et que ceux-ci portent en silence toute l’amertume de leur sort et ne poursuivent pas le combat pour leur liberté, leur honneur et un moyen de subsistance ? Nous avions promis un accès sécurisé vers la Cisjordanie et nous n’avons pas tenu notre promesse. Nous avions promis de libérer des prisonniers et nous n’avons pas tenu notre promesse. Nous avons appuyé la tenue d’élections démocratiques pour ensuite boycotter les dirigeants légalement élus, confisquer l’argent qui revient à l’Autorité Palestinienne et déclarer la guerre à celle-ci. Nous aurions pu nous retirer de Gaza dans le cadre de négociations et d’une coordination, et tout en renforçant la direction palestinienne existante, mais nous avons refusé et nous voilà maintenant, à nouveau, à nous plaindre de « l’absence de dirigeants ». Nous avons fait tout ce qui était possible pour écraser la société et la direction palestiniennes, nous avons veillé le mieux possible à ce que le désengagement n’annonce pas l’ouverture d’un nouveau chapitre dans nos relations avec le peuple voisin, et maintenant nous sommes surpris de la violence et de la haine que nous avons nous-mêmes semées.

Que se passerait-il si les Palestiniens ne lançaient pas de roquettes Qassam ? Israël lèverait-il alors le boycott économique imposé à Gaza ? Ouvrirait sa frontière au travail palestinien ? Libérerait des prisonniers ? Rencontrerait la direction élue et mènerait des négociations avec elle ? Encouragerait les investissements à Gaza ? Balivernes. Si les habitants de Gaza restaient tranquilles, comme Israël l’attend d’eux, la question disparaîtrait de l’ordre du jour, chez nous et dans le monde. Israël continuerait la ‘convergence’ destinée exclusivement à servir ses objectifs tout en ignorant les besoins des Palestiniens. Personne ne prêterait attention au sort des habitants de Gaza s’ils ne recouraient pas à la violence. C’est une vérité terriblement amère, mais les 20 premières années de l’occupation ont passé pour nous dans le calme, et nous n’avons pas bougé le petit doigt pour mettre un terme à cette occupation. Au lieu de ça, profitant du calme, nous avons élaboré l’énorme et criminelle entreprise des colonies. Et nous poussons maintenant, une fois encore, les Palestiniens à recourir à la pauvre arme dont ils disposent et à laquelle nous répondons en mettant en œuvre presque tout le formidable arsenal en notre possession, tout en continuant à clamer : ce sont eux qui ont commencé.

C’est nous qui avons commencé. Nous qui avons commencé avec l’occupation. C’est à nous qu’incombe d’y mettre un terme, un terme à la fois véritable et absolu. Pour la violence, c’est nous aussi qui avons commencé : il n’y a pas pire violence que la violence d’une occupation s’imposant par la force à tout un peuple et la question de savoir qui a tiré le premier est par conséquent une dérobade destinée à distordre le tableau. Après Oslo également, il s’en est trouvé pour déclarer « nous sommes sortis des Territoires », dans un mélange comparable d’aveuglement et de mensonge.

Gaza se trouve dans une détresse terrible où règnent la mort, la peur, les difficultés de subsistance, loin des yeux des Israéliens et de leur cœur. Chez nous, on ne montre que les Qassam. Chez nous, on ne voit que les Qassam *. La Cisjordanie continue de vivre sous la botte de l’occupation, l’entreprise des colonies est florissante et toute main tendue en direction d’un règlement, y compris la main d’Ismaïl Haniyeh, est immédiatement repoussée. Si après cela, quelqu’un avait encore une quelconque hésitation, tomberait alors immédiatement la formule décisive : ce sont eux qui ont commencé. Ce sont eux qui ont commencé et la justice est avec nous. Alors que ce ne sont pas eux qui ont commencé et que la justice n’est pas avec nous.

(Traduction de l’hébreu : Michel Ghys)

Publié par CAPJPO-EuroPalestine

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