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Quand les Israéliens s’obstinent à se tromper de continent

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Uri Avnery, l’un des dirigeants du mouvement anti-colonialiste israélien Gush Shalom, revient de manière très pertinente sur le refus du mouvement sioniste, de sa création à nos jours, d’appartenir à la région dans laquelle il a décidé de s’installer, le refus d’être des sémites parmi d’autres sémites. Nous publions un extrait de sa dernière chronique, qui analyse les conséquences de cette manière de tourner le dos à l’Orient et à l’Asie en les considérant comme « barbares ».


(…) »JE CROIS qu’une des causes les plus profondes du conflit historique entre nous et le monde arabe en général, et les Palestiniens en particulier, est le fait que le mouvement sioniste a déclaré, dès son tout premier jour, qu’il n’appartenait pas à la région dans laquelle nous vivons. Peut-être est-ce une des raisons du fait que même après quatre générations, cette blessure n’est pas cicatrisée.

Dans son livre « L’Etat des Juifs », document fondateur du mouvement sioniste, Theodor Herzl a écrit la fameuse phrase : « Pour l’Europe nous serons (en Palestine) une partie du mur contre l’Asie … l’avant-garde de la culture contre la barbarie…» Cette attitude est typique de toute l’histoire du sionisme et de l’Etat d’Israël jusqu’à aujourd’hui. Effectivement, il y a quelques semaines, l’ambassadeur israélien en Australie a déclaré que « l’Asie appartient à la race jaune, alors que nous sommes blancs et que nous n’avons pas les yeux bridés. »

On peut peut-être pardonner à Herzl, Européen par excellence, qui vivait à une époque où l’impérialisme dominait la pensée européenne. Mais aujourd’hui, quatre générations après, ceux qui forment l’opinion publique en Israël, les gens nés dans le pays, continuent sur la même voie. L’ex-Premier ministre Ehoud Barak a déclaré qu’Israël est « une villa au milieu de la jungle » (la jungle arabe, bien sûr), et cette attitude est partagée par pratiquement tous nos politiques. Tsipi Livni aime parler du « voisinage dangereux » dans lequel nous vivons, et le principal conseiller d’Ariel Sharon a dit un jour qu’il n’y aura pas de paix tant que les Palestiniens ne deviendront pas des Finlandais.

Nos équipes de football et de basketball jouent dans les ligues européennes, le concours Eurovision de la chanson est un événement national, 95% de notre activité politique est centrée sur l’Europe et l’Amérique du nord. Mais le phénomène s’étend bien au-delà de l’arène politique : c’est une « vision du monde » au sens littéral. Dans notre monde, Israël fait partie de l’Europe.

Dans les années 50, alors que j’étais directeur du magazine d’information Haolam Hazeh, j’ai publié un jour un dessin dont je suis toujours fier. Il représentait la carte de la Méditerranée orientale ; un bras sortait de Grèce tenant des ciseaux qui coupaient Israël de l’Asie. Il est dommage que je n’aie pas ajouté un second dessin montrant Israël attaché aux rivages de France ou, de préférence, de Miami.

De nos jours il serait difficile de trouver quelqu’un qui dirait que l’Asie – Inde, Chine – est barbare. Mais il est aisé de trouver des gens en Israël – et en Occident – qui croient que le monde arabe, et même l’ensemble du monde musulman, est une « jungle ». Avec une telle attitude, on ne peut pas faire la paix. Après tout, on ne fait pas la paix avec des sepents venimeux et des léopards féroces.

A l’époque de Bamaavak, nous avions lancé le slogan « Intégration dans la région sémite ». Mais comment peut-on s’intégrer dans une région que l’on considère comme une jungle ?

UNE CONCEPTION DU MONDE n’est pas une question académique. Elle a un énorme impact sur la vie de tous les jours. Elle influence les gens quand elle est consciente et encore plus quand elle est inconsciente. Elle forme les décisions pratiques, sans que ceux qui décident en soient conscients. Les hommes politiques aussi ne sont que des êtres humains (s’ils le sont) et leurs actions sont dirigées par leur croyances profondes.

En Israël, nous avons l’habitude de considérer que lorsqu’on a une « conceptsias » indiscutée, c’est la mère de toutes les erreurs et de toutes les défaites. Mais une telle croyance est-elle vraiment différente de l’expression d’une vision du monde inconsciente ?

La conception du monde influence de nombreux aspects de l’Etat. C’est le cœur du système éducatif qui forme l’esprit de la génération suivante. Nous avons peut-être le seul système d’éducation au monde qui n’enseigne pas l’histoire de son pays. Dans nos écoles, très peu de choses sont dites sur le passé du pays. Par contre, ce qui est raconté, c’est l’histoire du « peuple juif ». Cette histoire part des anciens royaumes d’Israël avant le sixième siècle AC (« le premier temple »), puis traite de la communauté juive dans le pays avant l’ère chrétienne (« le second temple »). Puis elle quitte le pays et s’attache à la diaspora juive pendant quelques milliers d’années, jusqu’au commencement de l’installation sioniste. Pendant presque 2.000 ans les annales du pays disparaissent de l’école.

Un jour j’ai parlé de cela dans un discours à la Knesset. J’ai dit qu’un enfant israélien né dans le pays, qu’il soit juif ou arabe, devrait étudier l’histoire du pays, incluant toutes ses époques et tous ses peuples : Cananéens, Israélites, Grecs, Romains, Arabes, Croisés, Mamelouks, Turcs, Britanniques, Palestiniens, Israéliens et autres. De surcroît on pourrait lui apprendre l’histoire des Juifs dans la diaspora aussi. Le ministre de l’Education a répondu par une boutade et m’appelé avec insistance, à la suite de cela, « le Mamelouk ».

PAR LA SUITE, il est devenu à la mode pour les politiques et les journalistes en Israël de parler du danger d’anéantissement qui, comme ils le prétendent, plane sur Israël. C’est difficile à croire : l’Etat d’Israël est une superpuissance régionale, son économie est forte et en expansion, son niveau technologique est l’un des plus avancés du monde, son armée est plus forte que toutes les armées arabes réunies, il a un énorme arsenal d’armes nucléaires. Même si les Iraniens arrivaient à se doter d’une bombe, ils seraient fous de l’employer étant donné le risque des représailles israéliennes.

D’où vient donc la peur de l’anéantissement à la 59e année de l’Etat ? En partie sûrement de la mémoire de l’Holocauste, qui est profondément imprimée dans la mentalité nationale. Mais en partie aussi elle vient du sentiment de non appartenance, de précarité, de manque de racines.

Cela a également bien sûr des implications intérieures. La conscience touche aussi les intérêts pratiques. L’affirmation que nous sommes un peuple européen renforce automatiquement la position de notre classe dirigeante, qui est toujours de manière écrasante européenne askhénase, contre la majorité des citoyens d’Israël, qui sont des Juifs afro-asiatiques et d’origine arabe palestinienne. Le profond mépris pour leur culture, qui a accompagné l’Etat depuis le premier jour, facilite la discrimination contre eux dans de nombreux domaines. »
(…)

Uri Avnery
Chronique du 23 décembre intitulée « Désolé, ce n’est pas le bon continent »

[Traduit de l’anglais « Sorry, Wrong Continent » : RM]

CAPJPO-EuroPalestine

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