Le quotidien britannique The Guardian publie un article de Namer Sultany, « Palestinien de l’intérieur », c’est à dire citoyen israélien, qui dénonce la propagande israélienne consistant à inverser les rôles et à s’adresser à ses citoyens palestiniens installés sur place bien avant la création de l’Etat d’Isrël, comme s’ils étaient des immigrés.
Autochtones, pas immigrants
Par Namer Sultany
« Ce qui nous amuse toujours, nous, fils et filles originaires de Palestine, citoyens palestiniens d’Israël, c’est ce type d’argument : « Si vous n’aimez pas votre statut d’inférieur, vous n’avez qu’à partir ; si vous vous définissez comme Palestinien et sympathisant de la lutte palestinienne pour la liberté et l’auto-détermination vous n’avez qu’à rejoindre vos frères et sœurs de Palestine ».
Evidemment ceux qui font usage de ce genre d’arguments ne perçoivent pas ce que leurs idées ont d’ironique : Premièrement, les immigrants, – à commencer par les immigrants de fraîche date que sont le Ministre Avigdor Lieberman ou les descendants d’immigrants – réclament à la population indigène de quitter sa patrie.
Deuxièmement, la politique de l’Etat, les discriminations institutionnelles autant que par la culture de la haine répandue dans le grand public, rendent la vie des indigènes insupportable dans l’espoir de les « encourager » à partir.
Troisièmement, ces arguments présupposent la fallacieuse hypothèse selon laquelle la minorité palestinienne est une minorité d’immigrants comme les Turcs d’Allemagne ou les Pakistanais du Royaume Uni. En tant qu’immigrants minoritaires ils sont supposés, ainsi va le raisonnement, s’adapter au nouveau pays qu’ils ont choisi et supporter les conséquences de l’aliénation liée à une réalité nouvelle et [accepter] les symboles de cet Etat. Ils ne peuvent pas, sérieusement, se plaindre de leur statut puisqu’ils ont eux-mêmes choisi de migrer vers cet Etat. S’ils n’aiment pas cela ils peuvent toujours recommencer à émigrer.
Les mêmes personnes qui utilisent ce type d’argument seront scandalisées quand on répond à leurs plaintes sur « l’hostilité arabe » à l’encontre d’Israël et les « attaques terroristes » en disant : « Vous avez choisi d’immigrer en Palestine et d’établir un Etat au Proche-Orient dans une région arabe, aux dépens d’un peuple indigène. Si cette réalité ne vous convient pas, vous pouvez partir ».
Le fond du problème c’est que les citoyens palestiniens n’immigrent pas en Israël : ils vivaient dans leur patrie bien avant qu’Israël ne devienne une réalité.
Quatrièmement, ironie suprême, c’est la politique israélienne même qui empêche l’émergence d’un Etat palestinien. En refusant d’évacuer les territoires occupés, en détruisant l’autorité palestinienne au cours de la dernière Intifada, en construisant de plus en plus de colonies, et en développant le Grand Jérusalem, en construisant un mur de séparation à l’intérieur de la Cisjordanie, en refusant d’engager toute négociation significative depuis plus de six ans, en rejetant et en boycottant les responsables palestiniens démocratiquement élus (que ce soit le gouvernement d’Arafat ou celui du Hamas), en détruisant l’économie palestinienne (comme le rapport de la Banque Mondiale vient de le constater) et en découpant les territoires en Bantoustans isolées, Israël fait de l’Etat palestinien un rêve lointain.
De plus, il rend la vie ordinaire des Palestiniens insupportable, « encourageant » le plus de monde possible à immigrer. Les citoyens palestiniens d’Israël se voient réclamer d’adhérer à cette réalité créée par l’homme et on leur demande, une fois encore, de partir.
Evidemment la réaction automatique des défenseurs d’Israël à ce dernier argument c’est : « Israël se retirera quand la violence palestinienne prendra fin ». Un argument qui ne tient pas compte du péché originel qu’est l’occupation, ni du fait que la résistance est un aboutissement naturel et historique. Ca ne répond pas non plus à la question de la construction des colonies et à la dissémination des colons juifs.
Ca ne répond pas non plus à la question de savoir pourquoi Israël ne s’est pas retiré des hauteurs du Golan.
Pendant quarante ans, les lignes du cessez-le feu israélo-syrien sont restées les plus calmes du monde, et pourtant Israël ne manifeste nullement l’intention de se retirer ; au contraire ses colonies sont florissantes. Au cours de l’année dernière nous avons observé comment Israël a renvoyé à la Syrie ses propositions de négociations. Finalement, c’est encore un argument qui cherche vainement à présenter Israël comme une victime, laquelle réagit aux évènements, sans intention politique.
Le « vous pouvez partir » n’est pas seulement ironique. C’est d’abord alarmant. Car cela sert à justifier la discrimination institutionnalisée contre la population indigène. « Vous croyez que c’est mal ? Nous pouvons faire pire » ou « Cela pourrait être pire ailleurs, alors tenez vous tranquille ». Dans cette perspective sioniste, le Palestinien est un hôte qu’on n’a ni invité ni voulu. En tant qu’invité le Palestinien doit se conduire bien, sinon son statut de citoyen lui sera retiré. En tant qu’invité sur sa propre patrie, le Palestinien est prié de se montrer reconnaissant pour ce qui lui reste de droits que les nouveaux maîtres de la terre peuvent lui garantir.
Et puis ce n’est pas un simple argument ; c’est aussi la base des très sérieuses propositions politiques [faites par] le cabinet ministériel, les faiseurs d’opinion et tous les parlementaires israéliens. La liste est longue des politiciens influents, des universitaires et des journalistes qui ont proposé diverses variantes sur le thème de « l’échange de terres » ou « l’échange de populations » ou même l’expulsion pure et simple pour se débarrasser des citoyens indigènes et renforcer le caractère juif et l’idéologie ethnique de l’Etat. Les deux tiers de la majorité juive, au cours de ces dernières années, ont exprimé auprès du gouvernement la réclamation « d’encourager » les citoyens palestiniens à émigrer. Et le dernier tiers des juifs israéliens est pour l’expulsion des citoyens palestiniens.
Ces propositions sont contenues dans l’idée que les citoyens palestiniens sont une « menace démographique ». Un Etat juif implique le maintien d’une solide majorité juive. Dès lors, il ne peut pas coexister avec une grosse minorité palestinienne. C’était et cela restera un sujet d’inquiétude – tant qu’on choisit de comptabiliser combien d’Arabes et de Juifs naissent chaque année. En Israël, tout nouveau-né palestinien est une menace directe à l’équation démographique. C’est pourquoi des institutions et des conférences sérieuses et prestigieuses (comme la Herzliya Conference, le Centre démographique, le Conseil public de la démographie) se réunissent pour discuter des méthodes qu’on pourrait employer pour « contenir » la menace démographique.
C’est pourquoi Benny Morris (N. T. : historien) s’est lamenté (jusque dans les colonnes du Guardian) sur le fait que Ben Gourion n’avait pas achevéle projet d’expulsion de tous les indigènes en 1948.
L’existence des citoyens palestiniens dans un Eat juif et sioniste révèle la contradiction inhérente au projet sioniste : on ne peut vouloir une suprématie juive et se déclarer démocrate, parce qu’alors on ne propose pas de citoyenneté égale et pour tous. »
Nimer Sultany
Source The Guardian : 20 mai 2007
http://commentisfree.guardian.co.uk/nimer_sultany/2007/05/natives_not_immigrants.html
(Traduit par Carole Sandrel)
Capjpo -EuroPalestine