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A quoi sert la littérature sans résistance ? Un texte remarquable d’Aharon Shabtai

AharonShabtai.jpgAharon Shabtai, grand poète israélien et hélleniste de renommée mondiale, nous livre ses réflexions sur l’art et la politique, et sur l’influence de l’occupation sur la culture israélienne. Dans ce très beau texte qu’il nous fait parvenir et qu’a traduit Anne-Marie Perrin, il souligne que « Dans les circonstances actuelles de barbarie, qui rappellent celles qui ont jadis prévalu en Allemagne, en Russie, en France et en Amérique, les écrivains sont sommés de prendre la parole, de prendre une posture politique claire et morale, de résister. »
« L’art sans espace politique, ajoute-t-il, est comme la pâte à modeler qu’on donne aux malades mentaux et aux enfants – parce que ceux qui n’ont pas de responsabilité relative à l’espace politique sont des esclaves et des enfants. »

A lire absolument.


Mieux valent les clameurs de défaite d’aujourd’hui
que l’exultation triomphaliste de 1967.

(Interview réalisée par Nir Nader)

Comment caractériseriez-vous la relation entre la culture israëlienne d’aujourd’hui et l’Occupation ?

Shabtai : Israël est un pays dont les options vers le changement se ferment l’une après l’autre. Dans le passé, il avait la chance de devenir un Etat-Nation sain, en établissant des relations avec les Palestiniens et les pays voisins. Cependant, plus il persiste avec l’Occupation, et plus il dépend de la force, plus étroites sont ses options politiques. La propagande utilisée pour justifier la violence de l’Occupation a un effet orwellien sur la mentalité israélienne. Il en résulte un émoussement patent de la sensibilité morale et éthique. Le discours public est façonné dans des moules mensongers, une sorte de « novlangue ». Il en va amplement de même dans la sphère culturelle.

Israël est en train de devenir une colonie sous égide américaine, de même que l’ancienne Rhodésie ou l’Afrique du Sud l’étaient par rapport à la Grande Bretagne. Cette colonie est dirigée par les oligarques, l’armée et le Shin Beth. Le pays est une prison. Il inclut trois millions et demi d’habitants natifs, qui sont parqués dans des cellules territoriales, dans des camps et des ghettos, tandis qu’Israël met en œuvre une politique démographique distinctement raciste, orientée vers la purification ethnique. La prison dispose aussi d’aménagements spéciaux pour les geôliers israéliens. Ceux-ci vivent dans des bulles, coupés de la réalité des natifs. Quelque chose comme la Zone Verte à Bagdad. Ici, comme là-bas, nous avons des parcours de golf, des cafés, des résidences et des organismes culturels pour les familles des dirigeants. Au sein de la colonie, les propos politiques se limitent à l’économie et à la sécurité, à la question de savoir comment accumuler du capital et comment éliminer les habitants natifs.

Pourtant l’Israël d’aujourd’hui n’est pas monolithique. C’est une société qui s’est détachée de ses valeurs sionistes fondamentales, qui a pris ses distances par rapport à la solidarité sociale et abandonné ses propres citoyens. On l’a vu lors de la guerre de 2006, et auparavant dans l’élimination du réseau de sécurité sociale.

Shabtai : Oui, parce que dans une colonie raciste, les institutions sociales et étatiques s’érodent. De nos jours, dans une période d’impérialisme global, la politique se privatise. Les instruments de la politique – médias, partis, syndicats – dont la fonction et de promouvoir le changement, de guérir, de restaurer la solidarité, ont été vidés de leur contenu et cédés à des intérêts particuliers. Dans le même mouvement, la culture et l’enseignement supérieur sont aussi conçus comme des objets privatisables. Ils sont censés être « émancipés de la politique », « objectifs » –en d’autres termes, ils sont supposés s’ajuster au consensus. En Israël aujourd’hui, la politique et les politiciens sont objets d’anathème. Voilà le symptôme d’une société nationaliste de masse dont les héros sont les oligarques –tel [Arcadi] Gaydamak– et les généraux –tels [Ariel] Sharon ou [Ehud] Barak.

Les anciens Grecs avaient un terme pour désigner le citoyen qui ne s’intéresse qu’à ses intérêts personnels et reste en dehors de la vie politique. Ce terme était idiotes.
Il convient maintenant aux Israéliens. Ces gens sont des idiotai, non des politai (citoyens au vrai sens du mot). Ils n’ont aucune part à l’organisation politique ni aux luttes politiques de quelque importance.

Dès lors, ce qu’un universitaire a écrit contre mon poème “Non, Sapho” (voir infra) est typique. Il m’a accusé d’avilir la grande poétesse de l’amour. Sapho écrivait que ce qu’il y a de plus beau, ce n’est ni des bataillons de soldats, ni la cavalerie, ni la marine, mais la personne qu’on aime. Elle s’opposait à la mentalité dominante de son temps –telle que l’illustre la poésie lacédémonienne de Tyrtaios– et, à la place, offrait aux citoyens un éthos érotique. Dans mon poème, j’actualise le thème, en proposant (non sans humour) quelque chose d’autre, quelque chose qui convient à notre époque et à Israël : de considérer comme belles la solidarité de la classe ouvrière et la liberté. Le premier poème uniquement lyrique est le « Certain montagnard… » d’Archilochos, qui raconte sans rougir comment le poète s’est débarrassé de son bouclier au milieu de la bataille, au moment où le combat devenait intense. C’est un poème qui définit la fonction éthique et civique de la poésie. Le poète transgresse les valeurs héroïques admises et illustre le droit à exercer son jugement et à formuler un principe nouveau (logos). Le droit de refuser une mort absurde est présenté comme une valeur adéquate pour un citoyen libre.

Dans l’Israël actuel, au contraire, c’est la sagesse conventionnelle qui veut que des éléments de culture, comme des poèmes, existent en soi et pour soi, dans une sphère à part, qui n’a rien à voir avec la construction d’arguments, en particulier de déclarations politiques. Ce qui est politique est tenu pour vulgaire et trivial. La littérature et la culture n’ont rien à faire avec un éthos civique. C’est une culture d’idiotai, dans laquelle chacun ne se soucie que de soi, et où tous les problèmes se liquident dans le dos de l’individu, devenant alors des traumatismes d’un ego dilaté et replié sur soi. L’art privatisé, en rapport avec les vies des idiotai, devient une branche de la psychologie. C’est aussi ce qui s’est produit aux Etats-Unis. Il était d’usage que la poésie y soit engagée et militante, en particulier pendant la guerre du Viet-Nam. En quelques courtes années, après que l’administration Johnson a fondé la Dotation Nationale pour les Arts, elle est devenue une poésie d’ateliers d’écriture sur les campus.

En Israël aussi, les ateliers d’écriture sont encouragés. Ils constituent des niches économiques florissantes dans la thérapie par l’art, en aidant les gens à s’adapter. La psychologie est devenue une idéologie. Tous les traumatismes d’une société caractérisée par le meurtre militaire et l’exploitation sont intériorisés, ressurgissant en tant que problèmes de l’individu isolé dans un nationalisme de masse. Ces problèmes sont toujours d’ordre privé ; l’individu devient un patient. De cette manière, les individus reçoivent leur privatisation comme un don. Ils sont immergés dans une enfance perpétuelle comme les géants de l’Age d’argent chez Hésiode, chacun d’eux étant « élevé aux côtés de sa bonne mère pendant cent ans, véritable niais jouant puérilement dans sa propre maison ». Tout va ainsi vers la thérapie clinique. L’art comme psychothérapie est au service d’une idéologie dans laquelle tous sont des individus, sans espace politique (une agora), sans un espace où les problèmes personnels, qui sont politiques par nature, atteignent en tant que tels la conscience et trouvent leurs vraies solutions. L’art sans espace politique est comme la pâte à modeler qu’on donne aux malades mentaux et aux enfants – parce que ceux qui n’ont pas de responsabilité relative à l’espace politique sont des esclaves et des enfants. La politique appartient aux citoyens, c’est-à-dire aux adultes. De nos jours, l’art et la littérature maintiennent au jardin d’enfants ceux-là qui ne veulent pas, ou ne peuvent pas, devenir adultes.

Ceci me frappe, néanmoins, comme une généralisation. Après tout, l’Occupation est reconnue comme un enjeu majeur par l’ensemble du courant dominant israélien, y compris par les écrivains institutionnels.

Shabtaï : Vous faites référence à des intellectuels et à des écrivains en vue de l’espèce de ce qu’un de mes amis, Nimrod Kamer, appelle “la gauche molle” : Amos Oz et David Grossman, par exemple, Dans leur cas, je voudrais dire que s’est appliqué le principe de co-option.

Le pouvoir en place les adopte, les co-opte – telle est la méthode. Ils vocifèrent, sur un plan général, contre l’Occupation, et cette posture leur confère une crédibilité quand ils soutiennent le régime sur toute question spécifique de quelque importance. C’est ainsi qu’ils ont appuyé les Accords d’Oslo, la duperie de Camp David de juillet 2000, les mesures prises contre l’Intifada et la deuxième guerre du Liban. Les écrivains de la gauche molle ne donnent pas de contenu politique à la littérature, mais font plutôt l’inverse : au lieu de pousser à la décision vers l’action, ils subliment la politique en culture. L’Occupation, entre leurs mains, devient la psychomachie de la belle âme israélienne tourmentée. Ils se sont débrouillés pour en faire un cliché du discours culturel israélien. Même Ariel Sharon et Ehud Olmert ont dit qu’ils étaient contre l’Occupation. Ceci a été normalisé, pour devenir une branche de la culture, le matériau d’une interminable auto-flagellation narcissique, pour des films, des conférences, des thèses de doctorat et des carrières universitaires. De cette manière, on a exproprié l’Occupation hors du domaine de la lutte et on l’a reléguée dans une psychothérapie pour jardin d’enfants. Nous atteignons enfin un point où l’Occupation devient une graphomanie. Les gens sont saturés d’en entendre parler.

C’est pour cette raison qu’aucune littérature importante ne s’est développée depuis Oslo, bien plutôt de médiocres niaiseries qui contribuent au philistinisme de la vie sociale, recyclant l’ « expérience israélienne » figée dans son immobilisme.

Parce que la littérature possède assurément une mission éthique et politique. J’emploie le mot politique au sens grec classique. La pierre de touche de la littérature est le niveau auquel elle coopére ou ne coopère pas avec le régime pour forger un consensus. La culture est un laboratoire idéologique, qui recourt à des récits auxquels on adhère pour créer une représentation de la réalité. Elle invente des définitions et des séparations (Juifs/Arabes, par exemple) qui pourvoient l’individu d’une identité. Ce qui distingue les grands écrivains et poètes, c’est le fait qu’ils créent une résistance et qu’ils offrent une alternative dans la manière d’être. Aux périodes d’urgence, de tels écrivains sont directement liés au politique.

Résister ressortit à l’essence de la vie. Chacun ressent la pesanteur, l’inertie et les forces de friction quand il avance ou qu’il agit en tant qu’individu. D’un autre côté, il y a une énorme pression, ouverte et dissimulée, pour faire de vous un « bon garçon », pour vous faire souscrire au conformisme.

Un poète authentique a le courage et la lucidité d’instaurer la résistance dans la vaste sphère éthique, précisément là où l’individu est incité à s’adapter à la norme. Ce qui induit une contrainte sur ses goûts, ses valeurs, sur la langue dont il fait usage. Mais le thème de l’interview est une situation spécifique. Nous ne sommes pas aux Pays-Bas. Dans les circonstances actuelles de barbarie, qui rappellent celles qui ont jadis prévalu en Allemagne, en Russie, en France et en Amérique, les écrivains sont sommés de prendre la parole, de prendre une posture politique claire et morale, de résister.


Donnez-moi des exemples de ceux qui ont agi ainsi, qui se sont opposés.

Shabtaï : Socrate. Il s’est élevé contre sa société, prêt à mourir. La prescription éthique majeure à Athènes était de nuire à votre ennemi et de faire du bien à votre ami. Socrate n’est pas d’accord. Il donne priorité à ce qui est juste. Sur cette base, il maintient qu’il vaut mieux subir le mal que le faire. Après la chute de la démocratie athénienne, les dictateurs ont pris l’habitude d’envoyer des citoyens arrêter ceux qu’ils identifiaient comme opposants, ou dont ils désiraient confisquer les biens. Socrate et quatre autres ont reçu l’ordre de leur amener un homme du nom de Léon. Il a refusé, mettant sa vie en péril. Il n’a été sauvé que grâce à un changement de régime. Plus tard, on l’a accusé de blasphème et de corruption de la jeunesse, ce pour quoi il a été condamné à mort. Son discours lors du jugement, connu sous le nom d’Apologie, est le texte politique fondamental de l’Europe.

La plupart des écrivains de premier ordre ont été des opposants, dans un sens ou un autre. Ce n’est pas par hasard que même des écrivains éloignés de tout radicalisme comme Flaubert ou Baudelaire ont été mis en jugement. Il existe des périodes tranquilles durant lesquelles l’opposition n’est pas manifeste. Mais, dans des circonstances particulières – telles que l’oppression, l’écrasement des droits de l’homme, le fascisme – les écrivains doivent prendre position.

En Israël cependant, comme je l’ai déjà dit, ils s’alignent d’emblée avec le régime. Amos Oz, Yehoshuaz Sobol, A.B. Yehoshua et David Grossman ont soutenu la guerre du Liban durant laquelle l’aviation a tué plus d’un millier de civils, détruit des villages, détruit des quartiers à Beyrouth. Ce sont des moments tels que celui-là qui sont la pierre de touche de l’écrivain et de l’artiste. On peut citer nombre d’exemples de grands écrivains, et pas nécessairement de gauche, qui ont refusé de collaborer avec leurs régimes.

Ainsi, au point culminant de la ferveur patriotique en Autriche, Stefan Zweig s’est opposé à la première guerre mondiale. Il a quitté son pays et déclaré sa solidarité avec le peuple de France. Thomas Mann s’est opposé aux nazis bien avant Auschwitz et s’est exilé dès 1933. Après quoi il a écrit et parlé d’abondance contre les pouvoirs en place dans son pays. Ses livres ont été brûlés en Allemagne. Sa Montagne magique décrit comment une société entière est transformée en une société de malades, en une clinique, comme c’est le cas en Israël aujourd’hui.

Est-ce qu’une culture israélienne hébraïque peut survivre longtemps dans une région qui est arabe, une région si complètement différente ?

Shabtaï : Voilà, certes, le principal problème. L’Occupation, l’armée et le capitalisme sont en train de détruire le pays, à la fois le paysage lui-même et le paysage humain, dont les Palestiniens, qui ont leurs racines ici, constituent une partie. Pour Israël, l’exemple à suivre aurait dû être des pays tels que la Belgique, la Suisse et le Canada, des Etats qui fournissent un cadre dans lequel des groupes divers peuvent vivre ensemble.

Le monument le plus représentatif de la culture israélienne d’aujourd’hui est le mur de séparation. Ceci est enfoncé comme un coin dans la conscience nationale et dans la littérature hébraïque. Le mur est le point de fixation que la littérature ne cesse de recycler. Cette littérature ne fonctionne pas en tant que moyen de créer une opposition, de changer la vie. De sorte qu’il n’y a pas de changement dans la vie, plutôt dans le seul style de vie.

Parmi les nuages sombres que vous décrivez, pouvez-vous apercevoir quelque lumière?

Shabtaï : Si la société possède un instinct d’auto-préservation, alors un changement interviendra. Il y aura une révolution. Voyez, tout s’accumule aujourd’hui contre les jeunes. Ils n’ont pas d’avenir. A Jérusalem, dans les récentes manifestations étudiantes, la jeunesse a commencé à réclamer une révolution, et des passants traversaient la rue pour se joindre à eux. Voilà un signe de changement. Cela arrivera tôt ou tard. De ce point de vue, l’échec d’Israël dans la seconde guerre du Liban est de même un signe encourageant. Cela peut sembler bizarre, mais les clameurs de défaite qu’on entend aujourd’hui sont préférables à l’exultation triomphaliste de 1967. Le militarisme israélien est voué à l’échec dans une société où s’aggravent l’exploitation et la pauvreté.

La révolte actuelle n’est pas encore politique, parce que prise de conscience et solidarité demeurent limitées. Il existe quelques exceptions, comme le groupe de jeunes poètes qui ont fondé le journal Ma’ayan. Leur mode d’action fait penser à des mouvements radicaux en art comme celui des dadaïstes. Ils étaient opposés à la guerre au Liban et ils témoignent beaucoup de considération à la fois pour les Arabes et pour les Juifs. Mais, pour le moment, la plupart des jeunes ne représentent aucune menace pour le pouvoir établi. Le chauvinisme et la haine des Arabes continuent à rendre possible l’exploitation de la jeunesse et des pauvres.

En tant qu’écrivain, je me vois comme quelqu’un qui agit à l’intérieur d’un système. La poésie n’est pas une correspondance privée. Elle se fait au sein d’un système relié à d’autres systèmes. C’est seulement de cette façon que la poésie a une fonction et une place dans le domaine public. A l’intérieur de ces systèmes politique et culturel, un débat est amorcé, la pensée est en route et une lutte s’engage pour le changement et le renouveau. Dans la situation présente, les systèmes politique et culturel ne fonctionnent pas. Les embrayages restent sans prise. Leur vacuité et leur trivialité vous dissuadent. Ou bien vous êtes un bon petit garçon confiné dans la clinique avec tout le monde, ou bien vous devenez un dissident, actif depuis les marges.

Dans le Fragment 16, Sapho mentionne une femme du nom d’Anaktoria, dont l’absence lui pèse. Les 15 shekels mentionnés dans la réponse de Shabtai correspondant à peu près à trois euros et demi.

Non, Sapho.

Ce qu’il y a de plus beau, disait Sapho, c’est l’être que vous aimez.

Je dis que non, Sapho. L’être que vous aimez n’aura pas de beauté

Aussi longtemps qu’un entrepreneur ou une entreprise ou une agence d’embauche sucera son sang –

A quinze shekels l’heure, il n’y a pas d’avenir pour la beauté.

Les âneries dont ils vous ont abreuvée, laissez-moi vous les sortir de la tête.

Anaktoria ne sera pas belle si elle est forcée de se prostituer.

Attis ne s’ornera pas de fleurs si l’usine est fermée et transférée au Caire.

Dès lors, la chose la plus belle, la condition préalable de la beauté, est la lutte des classe.

Vous aviez raison, Sapho. Ce ne sont pas les cavaliers, ni les guerriers, ni les destroyers, Mais la solidarité entre travailleurs, la coopération et l’égalité.

Quand celles-là prévaudront,

Alors les cieux et la terre s’étreindront dans les yeux de l’être bien-aimé.

Dès lors, ce n’est pas non plus parmi les littérateurs, ni à l’université, ni au concert,

Que vous trouverez la beauté aujourd’hui, mais dans l’union des travailleurs –

Les éboueurs, les bennes à ordures, Sapho, sont ce qu’il y a de plus beau.

(A partir de la traduction anglaise d’Avda Levin).

(Aharon Shabtai a publié 18 recueils de poésie en hébreu. Ses traductions en hébreu du théâtre grec, ont été couronnées par de nombreux prix. Deux de ses livres ont paru en anglais : Love and Other Poems (New York : The Sheep Meadow Press, 1997) et J’accuse (New York : New Directions, 2003). En écho au titre de la diatribe de Zola contre l’antisémitisme pendant le procès de Dreyfus, les poèmes de J’accuse mettent en cause les pratiques israéliennes pendant l’Occupation. Des traductions de l’œuvre de Shabtai ont été publiées dans les principales revues poétiques en langue anglaise et il a récemment contribué à l’Anthologie Rouge, Aduma).

(Traduction : Anne-Marie Perrin pour CAPJPO-EuroPalestine)

CAPJPO-EuroPalestine

ENGLISH TEXT

Better today’s cries of defeat than the triumphant exultation of 1967

Poet Aharon Shabtai discusses the influence of the Occupation on Israeli culture

Interview by Nir Nader

Aharon Shabtai has published 18 books of poetry in Hebrew. His prize-winning Hebrew translations of Greek drama are definitive. Two of his books have appeared in English: Love and Other Poems (New York: the Sheep Meadow Press, 1997), and J’accuse (New York: New Directions, 2003). Echoing the title of Emile Zola’s attack on anti-Semitism during the Dreyfus trial, the poems of J’accuse confront Israeli practices during the Occupation. Translations of Shabtai’s work have appeared in the leading English-language poetry journals, and he has recently contributed to the Red anthology, Aduma, discussed elsewhere in this issue.

How would you describe the relationship between today’s Israeli culture and the Occupation?

Shabtai: Israel is a country whose options for change are shutting down one by one. In the past it had the chance to become a healthy nation-state by settling its relationships with the Palestinians and the neighboring countries. Yet the longer it persists with the Occupation, and the more it relies on force, the narrower are its political options. The propaganda used to justify the violence of the Occupation has an Orwellian effect on Israeli mentality. There is a noticeable dulling of moral and ethical sensitivity. Public discourse is cast into molds of mendacity, a kind of « newspeak. » This is abundantly so in the cultural sphere.

Israel is turning into a colony under the American aegis, like the former Rhodesia or South Africa under Britain. This colony is ruled by the oligarchs, the army and the Shin Beth. The land is a prison. It contains three and a half million native inmates, who are penned up in territorial cells, in camps and ghettoes, while Israel implements an unequivocally racist demographic policy aimed at ethnic cleansing. The prison also has special facilities for the Israeli jailers. These live in bubbles, cut off from the reality of the inmates. It’s like the Green Area in Baghdad. Here, as there, we have golf courses, coffee shops, residences, and cultural institutions for the families of the rulers. In the colony, political conversation is limited to the economy and security, to questions of how to accumulate capital and how to eliminate the natives.

But today’s Israel is no monolith. It’s a society that has detached itself from its basic Zionist values, distanced itself from social solidarity, and abandoned its own citizens. We saw this in the war of 2006, and before that in the elimination of the social safety net.

Shabtai: Yes, because in a racist colony, the social and state institutions are eroded. Today, in a period of global imperialism, politics is being privatized. The tools of politics-the media, the parties, the unions-whose function is to bring about change, to heal, to repair solidarity, have been emptied of content and sold into private hands. As part of the same trend, culture and higher education are also thought of as things to be privatized. They are supposed to be « free of politics, » « objective »-in other words, they’re supposed to go along with the consensus. In the Israel of today, politics and politicians are anathema. This is the symptom of a nationalistic mass society whose heroes are the oligarch-such as [Arcadi] Gaydamak- and the general-like [Ariel] Sharon or [Ehud] Barak.

The ancient Greeks had a term for the citizen who cares only for his personal interests and stays out of political life. The term was idiotes. Today it suits Israelis. People here are idiotai, not politai (citizens in the true sense). They have no part in political organization or in political struggles of any importance.

Typical, therefore, is what one scholar wrote against my poem, « No, Sappho. » [See box.] He accused me of debasing the great love poet. Sappho wrote that the most beautiful thing is not battalions of soldiers, or cavalries or a navy, but the person one loves. She opposed the dominant ethos of her day-as exemplified in the Spartan poetry of Tyrtaios-and offered the citizens an erotic ethos instead. In my poem I update the theme, offering (with humor) something else, something that suits our time and Israel: to view working-class solidarity and freedom as beautiful. By the way, all ancient Greek poetry is political in essence; it is the poetry of citizens. The first uniquely lyrical poem is Archilochos’ « Some Saian mountaineer…, » which tells, without a blush, how the poet threw away his shield in the midst of battle when the fighting got hot. This is a poem that defines the ethical and civic function of poetry. The poet overrules accepted heroic values and exemplifies the right to exercise judgment and formulate a new principle (logos); the refusal to die a pointless death is presented as a proper value for a free citizen.

In today’s Israel, on the contrary, it is conventional wisdom that items of culture, such as poems, exist for their own sake, in a sphere apart, which has nothing to do with the making of arguments, especially political statements. The political is considered vulgar and unsophisticated. Literature and culture have nothing to do with a civic ethos. It’s a culture of idiotai, in which everyone is out for himself, and all problems wind up on the back of the individual, becoming traumas of the inflated, self-involved ego. Privatized art, which deals with the lives of idiotai, becomes a branch of psychology. This has happened in the United States too. Poetry there used to be involved and activist, especially during the Vietnam War. In a few short years, after the Johnson Administration founded the National Endowment for the Arts, it became a poetry of campus writing workshops.

In Israel too, writing workshops are encouraged. They make up a thriving economic nook in art therapy, guiding people to adapt themselves. Psychology has become an ideology. All the traumas of a society characterized by military murder and exploitation are internalized, resurfacing as the problems of the isolated individual in a nationalistic mass. These problems are always private; he becomes a patient. In this way individuals receive their privatization as a gift. They are sunk in an ongoing childhood like the giants of Hesiod’s Silver Age, each of whom was « brought up at his good mother’s side an hundred years, an utter simpleton, playing childishly in his own home. » Everything goes to the clinic. Art as psychotherapy serves an ideology in which all are individuals, without a political space (an agora): without a space where personal problems that are political by nature reach consciousness as such, finding their true solutions. Art without political space is like clay that is given to mental patients and children-because those who have no responsibility in relation to political space are slaves and children. The political belongs to the citizens, that is, to adults. Nowadays art and literature keep those who don’t want to grow up, or can’t, in kindergarten.

That strikes me, though, as a generalization. After all, the Occupation is recognized as a major issue by the entire Israeli mainstream, including establishment writers.

You’re referring to intellectuals and mainstream writers of the sort that a friend of mine, Nimrod Kamer, calls « the soft Left »: Amos Oz and David Grossman, for instance. In their case, I would say, the principle of co-option has applied.

The establishment adopts, co-opts them-that’s its method. They oppose the Occupation vociferously on a general plane, and this stance gives them credibility when they support the regime on every specific issue of any importance. For example, they backed the Oslo Accords, the Camp David deceit of July 2000, the measures taken against the Intifada, and the second Lebanon War. The writers of the soft Left don’t give literature a political content, rather the reverse: instead of pushing for decision or action, they sublimate the political into culture. The Occupation, in their hands, becomes the psychomachy of the beautiful, tormented Israeli soul. They have managed to make it a cliché of Israeli cultural discourse. Even Ariel Sharon and Ehud Olmert have said they’re against the Occupation. It has been normalized. It has become a branch of culture, material for endless narcissistic self-flagellation, for films, readings, doctorates and academic careers. In this way the Occupation has been expropriated from the realm of struggle and squished into a psychotherapeutic kindergarten. We reach a point, finally, where the Occupation becomes graphomania. People are fed up with hearing about it.

For this reason no important literature has developed here since Oslo, rather only mediocre stuff that contributes to a philistine social life, recycling the « Israeli experience, » which is stuck in its fixation.

For literature does have an ethical and political task. I use the word political in the classic Greek sense. The test of literature is the extent to which it does or does not cooperate with the regime in forging a consensus. Culture is an ideological laboratory, which uses agreed narratives to create a picture of reality; it invents definitions and partitions (Jewish/Arab, for instance) that supply the individual with an identity. What distinguishesthegreat writers and poets is the fact that they create resistance and offer an alternative ethos. In times of emergency, such writers relate directly to the political.

Resistance belongs to the essence of life. Everyone feels the force of gravity, inertia and friction when he moves forward or acts as an individual. On the other hand, there is enormous pressure, open and concealed, to be « a good boy, » to conform.

A true poet has the courage and judgment to create resistance in the broad ethical sphere, precisely where it presses the individual to adapt to the norm. This puts pressure on his taste, on his standards, on the language he uses. But the topic of the interview is a specific situation. We’re not in Holland. Under the present barbaric conditions, which are reminiscent of those that once prevailed in Germany, Russia, France and America, writers are required to open their mouths, take a clear and moral political stance, resist.

Give me examples of some who did this, who used opposition.

Socrates. He stood against his society, ready to die. The dominant ethical commandment in Athens was to harm your enemy and benefit your friend. Socrates doesn’t agree. He gives priority to what is right. On this basis he holds that it is better to suffer evil than do it. After the fall of the Athenian democracy, the dictators made it their practice to send citizens to arrest those they identified as opponents or whose property they wanted to confiscate. Socrates and four others got an order to bring them a man named Leon. He refused, endangering his life. He was saved only because of a change in regime. Later he was accused of blasphemy and of corrupting the young, for which he was sentenced to death. His speech at the trial, the so-called Apology, is the basic political text of Europe.

Most of the major writers were oppositionaries in one sense or other. It’s no accident that even non-radical writers like Flaubert and Baudelaire were put on trial. There are quiet periods when the opposition is not overt. But in special cases-like oppression, trampling of human rights, Fascism-writers must take their stand.

Yet in Israel, as I said before, they at once toe the line with the regime. Amos Oz, Yehoshua Sobol, A.B. Yehoshua and David Grossman supported the Lebanon War, in which the air force killed more than a thousand civilians, destroyed villages, destroyed neighborhoods in Beirut. Moments like that test the writer and artist. One can bring many examples of great writers, and not necessarily leftists, who refused to cooperate with their regimes.

At the height of patriotic fervor in Austria, for instance, Stefan Zweig opposed the first World War. He left his country and declared his solidarity with the people of France. Thomas Mann opposed the Nazis well before Auschwitz and went into exile in 1933. After that he wrote and lectured abundantly against the powers in his country. His books were burned in Germany. His Magic Mountain describes how an entire society is transformed into a society of patients, a clinic, as in Israel today.

Can an Israeli Hebrew culture long survive in a region that is Arab, a region so completely different?

That is of course the main problem. The Occupation, the army and capitalism are destroying the country, both the landscape itself and the human landscape, part of which consists of the Palestinians, who are rooted here. The example for Israel should have been countries like Belgium, Switzerland, the US and Canada, states that provide a framework within which various groups can live together.

The monument that best represents Israeli culture today is the separation wall. This is wedged into the nation’s consciousness and into Hebrew literature. The wall is the fixation that the literature keeps recycling. This literature does not function as a means for creating opposition, as a means for changing life. And so there is no change in life, rather only in lifestyle.

Among the dark clouds you describe, can you see any light?

If the society has an instinct for self-preservation, then change will take place. There will be revolution. For look, everything today is stacked against the young. They don’t have a future. In Jerusalem, in the recent student demonstrations, the young began calling for revolution, and passers-by crossed the street to join them. That’s a sign of change. It will happen sooner or later. In this regard, Israel’s failure in the second Lebanon War is likewise an encouraging sign. It may sound odd, but the cries of defeat we hear today are preferable to the triumphant exultation of 1967. Israeli militarism is destined to fail in a society of growing exploitation and poverty.

The revolt of today is not yet political, because consciousness and solidarity are limited. A few exceptions exist-for example, the group of young poets who founded the journal Ma’ayan [Wellspring-NN]. Their mode of action reminds one of radical movements in art like the Dadaists. They opposed the Lebanon War, and they show a high regard for both Arabs and Jews. But as of now, most of the young pose no threat at all to the establishment. Chauvinism and hatred for Arabs still make it possible to exploit the young and the poor.

As a writer I see myself as one who works in a system. Poetry is no private correspondence. It is done within a system that relates to other systems. Only in this way does poetry have a function and a place within the public domain. Within these political and cultural systems, a debate is underway, thinking is underway, and a struggle is underway for change and renewal. In the present situation, the political and cultural systems don’t function. The gears don’t mesh. Their emptiness and triviality push you out. Either you’re a good little boy who sits in the clinic with everyone else, or you become a dissident, active from the margins.

In Fragment 16, Sappho mentions a woman she misses named Anaktoria. The 15 shekels in Shabtai’s response is worth about $3.50.

No, Sappho

The most beautiful thing, Sappho said, is the one you love.
No, Sappho, I say. The one you love will not be beautiful
As long as a contractor or a corporation or a manpower company sucks his blood-

For 15 shekels an hour there’s no future for beauty.
Let me get the crap they’ve fed you out of your head.
Anaktoria will not be beautiful if forced to work as a call girl,

Attis will not braid flowers if the plant is shut down and transferred to Cairo.

Therefore, the most beautiful thing, the precondition for beauty, is the class struggle.

You were right. Not horsemen or armed forces, not battle ships,

But the workers’ solidarity, cooperation and equality

When these will prevail

Then the skies and the earth shall kiss in my lover’s eyes.

Therefore, also not amongst writers, not in the university, not in a concert

Will you find beauty today, but in the workers’ union –

The garbage workers, the garbage trucks, Sappho, are the most beautiful thing.

Translated by Adva Levin

CAPJPO-EuroPalestine