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Des années après l’arrêt de la Cour suprême, par Gideon Lévy

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Témoignage du prisonnier Imad Khotri à propos des tortures sévères qu’il a subies récemment au centre de détention de Kishon et qui ont conduit à une paralysie partielle de ses mains. Khotri a été frappé, attaché dans des postures insupportables et privé de sommeil.


« Le commandant Effi s’est mis à me gifler et m’a ordonné de pencher le dos en arrière. Quand je me suis fatigué de me tenir en suspens, il m’a fait tomber en arrière et m’a maintenu dans cette position douloureuse » – témoignage d’un prisonnier, Imad Khotri, sur l’interrogatoire mené par la Sûreté générale, dans la prison de Kishon. Après deux semaines et demie de tortures, il se retrouve avec les mains partiellement paralysées.

Imad Khotri, 23 ans, explique qu’il travaille comme employé à la municipalité de Kalkiliya et qu’il s’est porté volontaire pour être imam à la mosquée Salah A-Din, de la ville. Le 17 octobre, tard dans la nuit, il a été arrêté chez lui par des soldats de l’armée israélienne. Le lendemain, il a été transféré au centre d’interrogatoire de la Sûreté générale [Shabak], dans la maison d’arrêt de Kishon. C’est alors qu’a commencé une longue série d’interrogatoires accompagnés de tortures. Avec pour conséquences de celles-ci et du fait d’avoir été étroitement attaché, de manière prolongée, à une chaise avec des menottes en acier, qu’il se retrouve avec les mains partiellement paralysées.

Lorsque, le 6 novembre, il a été conduit au tribunal pour la prolongation de sa détention, il avait les mains pendantes et il ne parvenait quasiment pas à les mouvoir. Le juge militaire a ordonné qu’on arrête les interrogatoires et qu’on envoie Khotri subir des examens médicaux. Le test de conduction nerveuse, EMG, réalisé à l’hôpital Rambam de Haïfa, a montré une « lésion axonale partielle assez sévère du nerf ».

Un médecin des services pénitentiaires a établi qu’il était à peu près évident que la lésion avait été occasionnée par une « forte pression » sur les mains. Le cabinet juridique du « Comité public contre la torture en Israël » a adressé une plainte très ferme au conseiller juridique du gouvernement. Imad Khotri est actuellement en détention, attendant l’ouverture de son procès. Son témoignage, transmis cette semaine comme déclaration sous serment à l’avocat Maher Talhami du « Comité public contre la torture », présente en détail les modes d’interrogatoire de la Sûreté générale, des années après que la Cour suprême a interdit explicitement la torture. Ce n’est pas le premier témoignage montrant que la Sûreté israélienne agit selon son habitude, et ouvrant une fenêtre sur ce qui se fait dans nos salles d’interrogatoire.

Voici donc, moyennant de nécessaires coupures, la déclaration sous serment d’Imad Khotri.

« Vers deux heures du matin, un groupe de soldats est arrivé à l’immeuble d’habitation familial où je vis avec mes parents et mes quatre frères. Ils ont sonné à la porte, et lorsque nous avons ouvert la fenêtre pour voir qui sonnait, les soldats m’ont crié de descendre. Nous avons obéi aux ordres des soldats et sommes descendus dans la cour de la maison… Le capitaine Mounir, un officier de la Sûreté, m’a dit de le conduire et de lui donner, maintenant, tous les hommes recherchés. J’ai dit à Mounir que je ne savais pas où ils étaient et il s’est mis à crier et il a ordonné aux soldats de me faire monter dans la jeep. Les soldats m’ont attaché les mains par devant, avec des menottes en plastique, bandé les yeux et fait monté dans la jeep ».

Après avoir été transféré en plusieurs endroits, le détenu est arrivé, le lendemain à neuf heures du soir, au centre de détention de Kishon où il a été placé dans la cellule d’isolement n° 18. « Le lendemain, un des gardiens de la prison m’a transféré, menotté et les yeux couverts par des lunettes noires, à la salle des interrogatoires. Dans cette salle, il y avait un interrogateur qui s’est identifié sous le nom d’Eldad et le gardien m’a fait m’asseoir sur une chaise fixée au sol, m’a attaché les mains derrière le dos, a introduit la chaîne des menottes dans un cadenas derrière la chaise et m’a bouclé de telle manière que je ne pouvais pas bouger les mains. J’ai été maintenu ainsi, avec le dos sur le dossier de la chaise et, jusqu’à la fin, le gardien n’a pas resserré les menottes. Ce jour-là, j’ai été interrogé jusqu’à neuf ou dix heures du soir. Au cours de l’interrogatoire, l’interrogateur m’ôtait régulièrement les menottes, un quart d’heure toutes les deux heures, et il m’était alors possible de manger, d’aller aux toilettes ou de prier.

« L’interrogateur m’a accusé d’aider les hommes recherchés et a commencé à m’interroger. J’ai nié toute implication et l’interrogateur s’est mis à me crier dessus et il m’a dit qu’il voulait me faire passer un examen au polygraphe. J’ai d’abord refusé car j’étais terriblement angoissé et effrayé, et que je ne croyais pas en l’honnêteté de cet examen, mais suite aux pressions exercées par Eldad et un certain nombre d’autres interrogateurs comme Effi, Maimon et Franco, j’ai accepté de passer cet examen.

« Au cours de la deuxième semaine, du 21 au 25 octobre, j’ai subi un interrogatoire intensif quotidien. Pendant les trois premiers jours de la semaine, j’ai été interrogé 24 heures sur 24, les interrogateurs m’empêchant de dormir. Durant tout l’interrogatoire, j’étais attaché comme décrit plus haut, avec des entraves métalliques… Le soir du troisième jour, l’interrogatoire s’est achevé et on m’a descendu dans la cellule d’isolement n°16 où je me suis endormi sitôt allongé sur le matelas.

« Le quatrième jour, mercredi, j’ai encore subi un examen au polygraphe. A la fin de l’examen, le commandant Effi est entré et m’a fait passé dans une autre salle, celle du capitaine Adi, il m’a fait asseoir sur une chaise fixée au sol et m’a attaché les mains derrière le dos, mais sans fixer les menottes à la chaise. Le commandant Effi m’a expliqué que j’avais échoué à l’examen et je lui ai expliqué que cela pouvait être dû à la tension et à la peur que j’éprouvais à cause de l’interrogatoire et des soupçons portés contre moi. Effi m’a dit que je mentais et m’a annoncé qu’on s’apprêtait à me faire subir un interrogatoire militaire.

« Tout de suite après, l’interrogatoire militaire a débuté. Dans la salle, il y avait le capitaine Eldad, le capitaine Adi, Maimon et Franco, le commandant Effi et Peretz. Les interrogateurs alternaient mais au moins trois d’entre eux étaient présents en permanence.

« Le commandant Effi a apporté une chaise sans dossier et l’a fixée au sol à la place de l’autre chaise. Puis il m’y a fait asseoir et m’a attaché les mains avec d’étroites menottes métalliques. Il s’est assis en face de moi, a fait passé mes pieds derrière les pieds de la chaise et m’a maintenu avec ses pieds afin que je ne puisse pas bouger les miens. Le capitaine Adi était assis derrière moi et Effi a commencé à me gifler et m’a ordonné de pencher le dos en arrière, et quand je me suis fatigué de me tenir en suspens, il m’a fait tomber en arrière et m’a maintenu dans cette position douloureuse pendant quelques minutes, puis il m’a soulevé en m’attrapant par la chemise et ensuite il m’a repoussé en arrière. Le capitaine Effi a utilisé cette méthode pendant une vingtaine de minutes et quand mon corps était en suspens, Effi passait la main sous la chaise, attrapait mes mains en dessous de mon dos et tirait vers lui.

« Après ça, Effi m’a enlevé les menottes, a enfilé une chaussette sur chacune de mes mains puis m’a de nouveau attaché les mains derrière le dos. Ensuite, il a apporté d’autres menottes qu’il a serrées au niveau de mes avant-bras, les mains toujours attachées derrière mon dos, et alors un autre interrogateur est intervenu et tous deux se sont mis à serrer de toute leur force les menottes sur mes mains, pendant qu’un autre interrogateur me tenait le cou et me giflait. Les interrogateurs ont employé cette torture pendant 5 à 10 minutes, pendant lesquelles je criais de douleur et implorais qu’ils arrêtent. Il y avait des interrogateurs qui se moquaient de moi.

« Après cela, ils ont enlevé les menottes des avant-bras tout en laissant les menottes aux mains, et ils m’ont ordonné de prendre la position « Kambaz » par laquelle ils me forçaient à m’accroupir et à me tenir sur la pointe des pieds. Un des interrogateurs se tenait derrière moi et un autre devant moi. Régulièrement, ils me giflaient, et ils me faisaient tenir cette position pendant 20 minutes. A la fin de cette torture, je n’étais plus capable de me tenir debout et l’interrogateur me saisissait par la chemise et me poussait jusqu’à la chaise, me laissant alors me reposer une dizaine de minutes, après quoi ils répétaient la même méthode de torture tout en menaçant d’arrêter ma mère et mon père. Les tortures ont duré de trois heures de l’après-midi à six heures du matin, quand les interrogateurs ont été remplacés.

« A six heures du matin, il y a eu changement de poste et une nouvelle équipe d’interrogateurs est arrivée. L’interrogateur Victor et un autre se sont assis avec moi, m’ont enlevé les menottes et m’ont apporté une tasse de thé qu’à ce moment-là, j’ai bu à l’aide d’une paille parce que je souffrais de douleurs dans les mains. Franco m’a dit qu’il valait mieux que je dise tout ce que je savais, que sinon, ils avaient l’autorisation de continuer à me torturer pendant des jours et des semaines. J’ai raconté plein de choses à Franco, mais j’ai redit que je ne savais absolument rien sur de futures opérations militaires. Victor m’a dit que je savais encore des choses et il a continué à m’interroger. Après ça, ils m’ont demandé de subir encore un examen au polygraphe et j’ai accepté.

« Vers 10 heures, ils m’ont fait descendre en cellule d’isolement. J’y suis arrivé brisé, j’avais de terribles difficultés à marcher et à bouger les mains. Je me suis allongé sur le matelas de la cellule d’isolement et j’ai éprouvé des douleurs dans toutes les parties de mon corps. J’avais trop mal pour parvenir à m’endormir. Le vendredi, sixième jour, j’ai encore subi un examen au polygraphe. Le résultat de l’examen était indécidable du fait de mon état de santé et le technicien du polygraphe a interrompu l’examen au beau milieu en me disant qu’il leur demanderait de me laisser me reposer trois jours.

« J’ai été maintenu en isolement jusqu’au lundi puis j’ai de nouveau subi un examen au polygraphe. Mon état de santé était encore toujours mauvais et j’éprouvais des douleurs terribles. Après trois heures, le technicien a décidé que je ne disais pas vrai. Le capitaine Victor est entré dans la pièce et m’a conduit à la salle des interrogatoires où se trouvaient Adi, Effi, Peretz et encore deux autres que j’entendais appeler « colonel » et « général ». Les interrogateurs m’on dit que je mentais à l’examen et que je ne comprendrais que par un recours à la force, et ils ont recommencé un interrogatoire militaire comme décrit plus haut, depuis le début de l’après-midi jusqu’au lendemain matin.

« Cette fois, les interrogateurs employaient plus de force qu’auparavant, au point que j’ai commencé à inventer des histoires, eux me disant qu’il s’agissait de mensonges. Le mercredi, à six heures, alors que je venais de subir des tortures pendant toute la nuit, on m’a fait descendre en cellule d’isolement et, le soir, on m’a fait remonter dans la salle des interrogatoires où ils ont continué à me faire subir un interrogatoire militaire qui a duré jusqu’à minuit. Après quoi on m’a fait descendre en cellule d’isolement en me disant qu’on m’apporterait de nouveaux vêtements, parce que ceux que je portais étaient trop grands pour moi et pleins de sueur et de salive. L’interrogatoire s’est achevé le jeudi et alors, on m’a fait monter pour rédiger le témoignage, après quoi j’ai été transféré pour une prolongation de détention et là, j’ai raconté au juge ce que j’avais subi et je lui ai montré que, du fait de mes interrogatoires, je ne pouvais plus bouger les mains ».

Et c’est ainsi que le juge militaire, le lieutenant-colonel Arie Avriel, a noté dans sa décision du 6 novembre : « Le suspect m’a fait part de ce qu’il avait été torturé et que, selon ses dires, il se retrouve avec une paralysie des mains, et il m’a montré l’état de ses deux mains, celles-ci retombant visiblement vers le bas dans une position qui n’est pas naturelle… J’ordonne l’arrêt de son témoignage… J’ordonne que le suspect soit examiné par un médecin du centre afin d’objectiver le problème médical soulevé par le suspect et si la chose est effectivement fondée, j’ordonne que lui soit immédiatement apporté des soins médicaux ».

Le docteur Alex Adler, officier principal du service de santé des services pénitentiaires, a écrit : « Le détenu a été examiné par un médecin du centre de détention qui a fait admettre le prisonnier aux urgences où il a été examiné par un médecin spécialisé en médecine interne et par un neurologue. Il a été diagnostiqué comme souffrant d’une faiblesse des deux mains et il pourrait y avoir lésion due à une pression intense. Un électromyogramme s’impose. » L’examen a eu lieu le 29 novembre à l’hôpital Rambam et, au terme de cet examen, le docteur Semion Galler a noté : « Tableau neurophysiologique correspondant à une lésion axonale partielle assez sévère bilatérale du nerf radial… avec signes de dénervation active » (soit, en termes simples, une atteinte du nerf de la main qui passe par l’avant-bras et une destruction du nerf – G.L.).

L’avocate Samah Elkhatib Ayoub, du « Comité public contre la torture » a envoyé, il y a quelques semaines, une lettre au conseiller juridique du gouvernement, dans laquelle elle développe toute cette affaire. Samah Elkhatib Ayoub exige du conseiller qu’il ordonne l’ouverture d’une enquête par le Département d’Investigation de la Police et la comparution des interrogateurs tortionnaires devant un tribunal, pour violence physique grave. Elle cite un passage de l’arrêt de la Cour suprême contre la torture : « Le recours à la torture ou à un traitement cruel et inhumain à l’égard de la personne interrogée est interdit pendant l’interrogatoire ».

Les [féminines] porte-parole de la Sûreté générale ont communiqué ce qui suit à « Haaretz », cette semaine :

« Imad Khotri est un militant du Hamas, de Kalkiliya, appartenant à l’infrastructure militaire du Hamas dans sa ville, qui a tenté, au début de l’année, de perpétrer un attentat infernal au cœur d’Israël, attentat qui a été déjoué par les forces de sécurité.

« Khotri a été arrêté pour interrogatoire le 17 octobre 2007, sur base d’une information indiquant son implication dans des efforts faits en vue de perpétrer un nouvel attentat contre des cibles israéliennes.

« Son interrogatoire a été mené conformément à la loi, aux règles et aux directives, sous contrôle étroit.

« Au cours de son interrogatoire, Khotri a confirmé les soupçons portés contre lui : il a reconnu appartenir à l’infrastructure militaire du Hamas dans sa ville et qu’il était censé participer à un attentat contre des cibles israéliennes. Il a en outre fourni des informations concernant d’autres militants – dont un militant du Hamas qui avait accepté, il y a quelques mois, de collaborer à un attentat-suicide. Ces militants ont été arrêtés, interrogés et ont confirmé l’information livrée par Khotri au cours de son interrogatoire.

« Les plaintes de Khotri ont été transmises aux instances compétentes du Ministère de la Justice et font l’objet d’une investigation encore inachevée. Soulignons encore qu’au cours de l’interrogatoire, Khotri a été envoyé, pour des examens médicaux, chez un médecin de la prison dans laquelle il est détenu et que, par la suite, il a été envoyé, pour examens, dans un hôpital. Suite à ces examens, un traitement et un suivi ont été décidés. »

Depuis la chambre 2 de l’aile 10 de la prison de Megiddo où Imad Khotri est actuellement détenu, attendant son jugement pour l’accusation de commerce avec une cellule combattante et entraînements militaires sans autorisation, il a récemment transmis un témoignage supplémentaire : « Je ne peux pas me débrouiller seul, sans l’aide des amis codétenus, qui me déshabillent avant que je n’aille aux toilettes, et qui m’aident à manger ».

Source : Haaretz, 11 janvier 2008

Traduction de l’hébreu : Michel Ghys

Publié par CAPJPO – EuroPalestine

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