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1991 : Les Russes et la Terre Promise

Janvier 1991. Ils s’appellent Sacha, Boris, Ludmilla. Ils sont ingénieurs, professeurs de mathématiques ou de piano. Ils sont 13 360 à débarquer d’Union Soviétique en ce premier mois de 1991.


La ruée a commencé un an plus tôt et va se poursuivre à ce rythme jusqu’en 1992. Ils fuient l’antisémitisme, mais aussi les conséquences de l’accident nucléaire de Tchernobyl, ou encore la misère, lassés de faire la queue devant ces magasins qui affichent « plus de pain », « plus de beurre », « plus d’oeufs »…

La propagande est en outre alléchante. Kol Israël (la Voix d’Israël), qui émet dans toute l’Union soviétique, promet verdure, plages de rêve, ski nautique sur le lac de Tibériade, oranges et pamplemousses à volonté. (Tellement alléchante que tous ceux qui se précipitent ne sont pas juifs ; beaucoup ont triché).

Et puis, ils n’ont pas tellement le choix. Israël est intervenu auprès des Etats-Unis et des autres pays pour qu’ils cessent d’accorder le statut de réfugiés politiques aux Juifs soviétiques. L’escale à Vienne a été supprimée parce que trop de « fuyards » en profitaient pour rejoindre l’Occident. Elle a été remplacée par une halte à Varsovie où chaque avion en provenance de Moscou est encerclé par des soldats et des chiens. Les passagers se voient confisquer leurs visas, rendus seulement à bord des Boeing El AL.

Le député Matti Peled essaie en vain de déposer une motion de censure à la Knesset : « Le sionisme affirme être la solution du problème juif. En fait le gouvernement israélien conçoit le judaïsme comme une solution aux problèmes démographiques israéliens ». L’ensemble du parlement, des travaillistes à l’extrême-droite n’en a cure : « Plus on sera nombreux, plus on sera forts », « L’immigration russe va assainir la population », en d’autres termes la blanchir ; on va bénéficier d’une main-d’œuvre qualifiée; ils vont aller occuper les « Territoires ». « Une immigration massive nécessite un grand Israël » a expliqué le premier ministre Yitzhak Shamir, en janvier 1990.

Un an plus tard, les nouveaux immigrants sont balayeurs ou veilleurs de nuit dans le meilleur des cas. Sinon ils sont au chômage et font les poubelles. Les soupes populaires sont interdites de peur que cela dissuade d’autres Russes de venir. Pas question non plus de publier les statistiques sur les suicides de Russes. Et quand l’industrie du sexe se développe, la presse entonne le refrain : « Les Russes ne sont pas comme nous, elles sont vicieuses, elles aiment ça ».

Ceux qui ne sont pas Juifs, même si leur conjoint l’est, vont connaître l’enfer. Toutes les portes se ferment, même quand ils sont bardés de diplômes : « Désolée Madame, il n’y a déjà pas assez de travail pour les Juifs ». Et gare aux petits garçons non circoncis, obligés de baisser leur culotte à l’école… la honte et les brimades vont s’abattre sur eux, raconte Marion Sigaut dans son livre reportage « Juifs errants sans terre promise ».

Des Russes écrivent assez vite à leur famille pour leur dire de ne pas venir. Mais leurs lettres n’arriveront jamais. Elles sont interceptées. Le 28 avril 1991, le ministre de la justice publie une ordonnance interdisant le passage par la poste israélienne de « tout colis postal contenant une information pouvant porter atteinte à la sécurité de l’Etat ». Quant au « droit au retour », il est à sens unique : pour quitter Israël, les Russes devront rembourser ce que l’Etat d’Israël a dépensé pour eux, transport et « panier d’intégration », et récupérer leurs papiers confisqués pour une période d’un an.

Très décevants ces Russes finalement : ingrats, aucune fibre religieuse, refusant d’aller dans les territoires. Ils ne sont généralement pas sionistes, et certains deviennent même antisémites ! Beaucoup finiront par quitter Israël.

Pendant toute cette période, le chômage s’abat en masse sur les Palestiniens citoyens israéliens, qui venaient de finir un parcours de combattant au niveau des diplômes et embauches : retour à la case départ, les Russes prennent leur place. Les ouvriers palestiniens qui ont conservé un bout de jardin après l’expropriation de leurs terres agricoles, peuvent lui dire adieu. On a besoin de place. On construit à la va-vite des kilomètres de maisons préfabriquées sur les ultimes terres qui ont échappé aux expropriations : Umm-al-Fahm se voit à elle seule déposséder de 3.200 dunams (320 hectares) en février 1991. Après avoir, pour « judaïser » la Galilée, amené des milliers de familles d’origine orientale, on installe désormais des Russes. La presse peut se vanter au cours de l’hiver 1991-1992 du fait que les Juifs sont enfin majoritaires en Galilée, leur proportion étant passée à 51 %.

Ce qui n’empêche pas Mikhaïl Gorbatchev, ex-dirigeant soviétique depuis quelques mois, de venir au printemps 1992 en visite en Israël et de s’y faire remettre en 200 000 F et divers titres honoraires pour bons et loyaux services. Il refusera pendant ces 4 jours de rencontrer la moindre délégation palestinienne, et fera des déclarations à la gloire de la colonisation israélienne.

par CAPJPO-EuroPalestine


ENGLISH TEXT———————–

1991

The Russians and the Promised Land

January 1991. They were called Sacha, Boris, Ludmilla. They were engineers, maths and piano teachers. 13,360 of them arrived from the Soviet Union during this first month of 1991. The rush had started a year earlier and was to continue at the same rhythm up until 1992. They were fleeing antisemitism, but also the consequences of the Tchernobyl nuclear accident, or quite simply the hardship of life, fed up with queueing in front of shops displaying signs like “no more bread”, “no more butter”, “no more eggs”…

Besides, the propaganda was very inviting. Kol Israël (the Voice of Israel), broadcasting throughout the Soviet Union, promised greenery, dream beaches, water-skiing on the Tiberiad lake, endless supplies of oranges and grapefruit. (Indeed, it was so inviting that many who joined the exodus cheated; they weren’t Jewish at all).
And then, they didn’t really have much choice. Israel had persuaded the United States and many other countries to stop granting the status of political refugees to Soviet Jews. The stop-over in Vienna was done away with because too many of those “fleeing” the USSR took advantage of the opportunity to disappear into Western Europe. It was replaced by a stop-over in Warsaw, where every plane from Moscow was surrounded by soldiers and dogs. The passengers had their visas confiscated, to be returned only when they were on board the Boeings of El Al.

The member of parliament Matti Peled tried in vain to move a vote of censure in the Knesset: “Zionism is claimed to be the solution to the Jewish problem. In fact, the Israeli government sees Judaism as a solution to the demographic problems of Israel.” The whole parliament, from the left to the far right, dismissed the question: “The more of us there are, the stronger we will be”; “Immigration from Russia will make the population healthier” (in other words whiter); “we will benefit from a skilled workforce”; “They will occupy the ‘Territories’.” As the Prime Minister Yitzhak Shamir explained in January 1990: “Massive immigration requires a large Israel”.

Twelve months later, the Russian immigrants were roadsweepers or nightwatchmen, in the best of cases. Otherwise they were unemployed and scrounging in dustbins. Soup kitchens were banned, out of fear that it would discourage other Russians from coming. There was no question of publishing the statistics on Russian suicides, either. And when the sex industry started to develop, the media all joined in the chorus: “Russian women aren’t like us, they are full of vice, they like it”.

Those who were not Jewish, even if their husbands or wives were, experienced sheer hell. Every door was closed to them, even when they were highly educate : “Sorry Madam, but there is already not enough work for the Jews”. And as for young uncircumcised boys, obliged to pull their pants down at school… shame and persecution were showered down on them, as Marion Sigaut reported in the book “Juifs errants sans terre promise” (Wandering Jews with no Promised Land).

Russians quickly wrote to their families and friends, telling them not to come. But their leeters never arrived. They were intercepted. On 28 April 1991, the Minister for Justice published an order forbidding the transport by the Israeli postal service of “any letter or parcel containing information that might endanger the security of the State”. As for the “right to return”, it was a one-way ticket: to leave Israel, the Russians had to reimburse what the Israeli State had spent on them, including transport and the “basket of integration”, and recover their papers, confiscated for a period of one year.

What a disappointment these Russians turned out to be: ungrately, no religious backbone, refusing to settle in the territories. They were generally not Zionist, and some even became antisemitic! Many ended up leaving Israel.

During the whole of this period, Palestinians who were Israeli citizens suffered massive unemployment, after completing an obstacle course for diplomas and recruitment: they were sent back to square one as the Russians took their place. Palestinian workers who had kept a small patch of garden after the expropriation of their farmland could say goodbye to it. Land was needed. Miles and miles of prefabricated houses were hastily built on the last land to have escaped from prior expropriations: the sole village of Umm-al-Fahm was dispossessed of 3,200 dunams (320 hectares, 770 acres) in February 1991. After bringing in thousands of families of Eastern origin, to “make Galilee Jewish”, now It was Russians who were being settled. Over the winter of 1991-1992, the press could exult that Jews were at last in the majority in Galilee, their proportion of the population having grown to 51%.

This didn’t stop Mikhail Gorbachev, who had been Soviet leader just a few months before, from visiting Israel in 1992 and being handed the equivalent of 200,000 French francs (£20,000) and various honorary titles for good and loyal services. During the four days he was there, he refused even the briefest meeting with any Palestinian delegation, making declarations to the glory of Israeli colonisation.

By CAPJPO-EuroPalestine