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La fin du mythe de  » l’Etat palestinien indépendant « , par Julien Salingue

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Julien Salingue, qui poursuit ses recherches en Cisjordanie en partageant la vie des Palestiniens, nous livre le fruit de ses réflexions, concernant la possiblité d’établir un Etat palestinien indépendant.


« Au-delà des considérations théoriques (que je ne développerai pas ici) il ressort du débat que les arguments du « réalisme », du « pragmatisme politique » et de la recherche du mot d’ordre « audible et populaire », que l’on pouvait déjà contester dans les années 70 et 80, peuvent aujourd’hui être retournés contre ceux qui les utilisaient jadis. En fait c’est le sens même de l’idée de « compromis possible » qui doit être réexaminé à la lumière de la politique concrète et des « offres » israéliennes de ces dernières années.

La conquête et le contrôle de la Cisjordanie ne sont pas venus compléter le projet sioniste, ils en font partie intégrante, de même que la Cisjordanie fait aujourd’hui partie intégrante d’Israël. Exiger du gouvernement israélien qu’il renonce à la maîtrise de la Cisjordanie n’est donc pas, en ce sens, une position « modérée », une position de « compromis ». Cela ne revient pas en effet à lui quémander quelques « concessions » mais bien à lui demander de revenir sur ce qui a été le cœur de la politique israélienne depuis 1967, de défaire ce que l’ensemble des gouvernements israéliens ont mis plus de quarante ans à construire et, en réalité, d’abandonner purement et simplement le projet sioniste d’établissement d’un Etat juif sur la Palestine mandataire au moment même où il est en passe d’être réalisé.

On peut se demander quel « pragmatisme politique » il y a dans la demande faite à Israël de déplacer, indemniser et reloger près de 500 000 colons, d’abandonner des infrastructures qui lui ont coûté, depuis 30 ans, plus de 60 milliards de dollars (sans compter le « Grand Jérusalem »), d’accepter de « rendre » Jérusalem-est aux Palestiniens ou de partager la souveraineté sur l’ensemble de la ville, de tolérer au cœur de son territoire une route reliant la Cisjordanie et Gaza ou encore de renoncer au contrôle de la frontière avec la Jordanie, le tout dans un contexte où la mobilisation populaire palestinienne s’est essoufflée et où aucune pression internationale ne s’exerce sur le gouvernement israélien.

On peut s’interroger sur le « réalisme » d’un mot d’ordre qui n’a plus de base matérielle : la « Cisjordanie », « Jérusalem-Est », sont des termes qui n’ont aujourd’hui qu’une signification très théorique puisqu’ils se réfèrent à des entités qui n’existent plus suite à leur digestion par l’Etat d’Israël. On peut se demander aussi quel « réalisme » se cache derrière un projet sans soutien populaire : il ne faudrait en effet surtout pas confondre le soutien à la revendication imprécise de l’Etat indépendant, assimilée pour une majorité de Palestiniens à l’idée même d’émancipation vis-à-vis de la domination d’Israël, et une quelconque adhésion de la population à un processus négocié qui n’aboutirait, au mieux qu’à un « Etat » au rabais constitué de cantons sous surveillance israélienne, habités pour moitié par des réfugiés dont le sort ne serait pas réglé.

Au vu des dynamiques récentes et actuelles, le mot d’ordre de l’Etat unique et démocratique n’est en ce sens pas moins « pragmatique » ou moins « réaliste » que celui des « deux Etats ». Bien au contraire.

Pas moins pragmatique car il n’exige, en dernière analyse, rien de plus : l’abandon du projet sioniste d’établissement d’un Etat juif. Beaucoup d’anciens adeptes du mot d’ordre de « l’Etat indépendant étape avant l’Etat unique », reconnaissent aujourd’hui l’inutilité d’une étape qui entretient l’illusion du « compromis possible » entre existence de l’Etat juif et satisfaction des droits nationaux du peuple palestinien mais qui pour être atteinte nécessite désormais de réunir à peu près les mêmes conditions politiques que celles requises pour la mise en place de l’Etat unique.

Pas moins réaliste car l’Etat unique existe déjà, de la Méditerranée au Jourdain, avec entre autres un seul système économique (déséquilibré mais unifié), une seule monnaie, des infrastructures communes (routes, eau, électricité…) et deux langues, l’Arabe et l’Hébreu, qui sont déjà officiellement celles de l’Etat d’Israël.

Pas moins réaliste car l’idée est en plein essor, connaît de plus en plus de partisans prêts à agir pour la défendre, contribue à sensiblement redynamiser le champ politique palestinien dans lequel elle fait à nouveau débat, et rencontre un écho évident et aisément compréhensible chez les Palestiniens de 48. On pourrait être témoins de nouvelles dynamiques de structuration et de mobilisation de la population palestinienne et par extension du mouvement de solidarité si le mot d’ordre démobilisateur et surréaliste, au vu des conditions objectives, de « l’Etat indépendant et viable au terme d’un processus négocié » était abandonné au profit de l’exigence de l’égalité des droits, dans un seul Etat, pour tous les habitants de la Palestine du mandat.

En guise de conclusion provisoire

Il ne s’agit évidemment pas de dire qu’un simple changement de mot d’ordre serait la clé de voûte d’un revirement immédiat de la situation et d’une modification instantanée des rapports de forces. Néanmoins les évolutions récentes, les dynamiques en cours et la tournure actuelle des événements indiquent que les mots d’ordre et les stratégies de ces dernières années, que ce soit dans le Mouvement National ou dans le mouvement de solidarité, nécessitent d’être réévalués. C’est ce qui se passe actuellement et c’est ce qui explique que le débat sur la pertinence du mot d’ordre de l’Etat indépendant ait ressurgi sous un jour nouveau.

Devraient être également intégrés à cette réévaluation et à ces débats les positions des dirigeants israéliens, dont la lucidité est parfois assez déconcertante. Je laisserai ainsi Ehud Olmert lui-même conclure cet article, en reproduisant un extrait d’une interview accordée au Haaretz en 2003, souvent citée depuis, à juste titre, par les partisans de l’abandon du mot d’ordre des deux Etats :

« Le temps nous est compté. De plus en plus de Palestiniens ne sont plus intéressés par une solution négociée, à deux Etats, car ils souhaitent changer l’essence même du conflit en passant d’un paradigme de type Algérien à un paradigme de type Sud-Africain ; d’un combat contre « l’occupation », pour reprendre leur vocabulaire, à un combat de type « un homme = une voix ». C’est bien sûr un combat beaucoup plus clair, beaucoup plus populaire et, au final, beaucoup plus puissant ».

par Julien salingue

Article intégral publié le mardi 27 mai sur son blog :

http://juliensalingue.over-blog.com/article-19921618.html

CAPJPO-EuroPalestine

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