Nous reproduisons ci-dessous une lettre et un article intéressants, publiés sur le site de Michel Collon et celui de Il Manifesto, concernant les attentes envers le nouveau président américain et les mécanismes du pouvoir.
Hola, Mister Barack Obama ! Bienvenido! Mais basta !
par Jean Araud
Monsieur Barack Obama,
Il semble que beaucoup vous souhaitent une sincère bienvenue dans le concert des nations. Mais beaucoup avec aussi des points d´interrogations, particulièrement dans notre continent sud-américain.
A Bush, j´ai écrit une lettre de «good bye», avec un «Hey George» et tutoiement, parce que le vulgaire «cow-boy» qu´il a démontré être ne mérite pas le titre de Monsieur.
Monsieur Obama, beaucoup veulent placer en vous une espérance, l´espérance d´un nouveau monde possible. Ceux qui ont cru au «rêve» de Martin Luther King, ceux qui en ont assez des discriminations raciales, ceux qui voudraient pouvoir dialoguer d´égal à égal avec le véritable peuple des Etats-Unis et pas seulement avec un Empire de yankees, de gringos ou pire de faucons de Washington ou de Marines.
Luther King a dit qu´il avait le «rêve» que ses enfants vivent un jour dans une nation où ils ne seront pas jugés par la couleur de leur peau, mais à la mesure de leur caractère.
Monsieur Obama, vous êtes ce «rêve» de Luther King devenu réalité.
Monsieur Obama, qui sait si vous n´êtes pas l´espérance d´une «révolution silencieuse» de votre peuple éveillé par l´escroquerie d´une crise économique et fatigué de verser son sang pour des guerres souvent inutiles et pas même victorieuses. Vos prédécesseurs et adversaires, Monsieur Obama, démontrent jusqu´à la dernière minute qui sont-ils vraiment. Face à leur défaite probable, ils vous inventent soudain des péchés graves, ceux de noir, musulman ou de socialiste, ou celui qu´ils considèrent le pires des pires: communiste.
Monsieur Obama, ne croyez-vous pas qu’est venu le temps où la nation qui déclare défendre la liberté commence par respecter celle des autres peuples, leurs races, leurs croyances et leurs modèles politiques, même si elle ne partage pas les mêmes opinons ou les mêmes convictions ?
De vous peut dépendre de démentir la théorie que «gringo is gringo (équivalent du ‘yankee’ en Amérique latine ndlr), du Mayflower à nos jours». Pour cela, Monsieur Obama, basta ! Par exemple :
. Basta des prétendus dégâts collatéraux de Washington en Irak ou ailleurs, alors qu´en réalité la majorité des victimes de vos soldats sont civiles, souvent femmes, enfants et vieillards.
. Basta des invasions au nom de la liberté pour s´emparer des ressources d´autrui et pour détruire leurs patrimoines culturels qui parfois sont des patrimoines de l´humanité.
. Basta des destructions préméditées pour fabriquer pour vos multinationales de plantureux contrats de reconstruction.
. Basta de toujours qualifier l’adversaire de terroriste parce que celui qui lutte sur le territoire de son pays envahi n´est pas forcément un terroriste, mais parfois tout simplement un résistant.
Et, Monsieur Obama, dans ce que Washington considère son «jardin de derrière», on lance aussi de nombreux « basta »:
. Basta le ridicule blocus de Cuba condamné par toutes les nations réunies à l´ONU, moins 3. Chacun est libre de penser ce qu´il veut du régime castriste mais avant tout cela appartient au peuple cubain de Cuba et pas à la minorité extrémiste des cubains de Miami. Ce qui est sûr est que les pires des prisons sur le territoire cubain sont bien les vôtres à Guantanamo.
. Basta qu’un Luis Posada Carriles soit libre et protégé à Miami par vos autorités fédérales. Car il s´agit bien là d´un terroriste qui, entre autres attentats, a non seulement avoué mais avec orgueil celui qu´il a commis contre un avion de ligne avec 73 victimes, toutes civiles.
. Basta, encore en Floride, des programmes de vos médias qui présentent et font les éloges des camps d´entraînement de mercenaires pour assassiner des présidents de notre hémisphère.
. Basta le projet d’envahir l’Amazonie figurant dans les textes scolaires de votre Junior High School sous prétexte que «la région est habitée par les peuples cruels, primitifs, incultes et ignorants de huit nations: Brésil, Pérou, Colombie, Vénézuéla, Guyana, Surinam et Guyane Française».
. Basta la provocation de la 4ème Flotte avec ses troupes de débarquement et programme de navigation en «eaux vertes» et «eaux marrons», c´est-à-dire nos eaux territoriales et nos fleuves.
Monsieur Obama, vous représentez pour beaucoup l’espérance d’un monde nouveau parce que tous ces basta se réfèrent à des situations dont vous n´avez pas été complice. Alors Monsieur Obama, «bienvenido» !
Et, Monsieur Obama, comme c´est de Caracas que je vous écris, basta aussi pour :
. Basta d´accuser le Venezuela de pays narcotrafiquant quand en réalité ses seuls péchés sont d´être limitrophe du pays le plus grand producteur de drogue qu´est la Colombie et d´être sur la route de ravitaillement du pays le plus grand consommateur de drogue, qui est votre pays.
. Basta des provocations de votre ambassade qui, non contente de financer des opérations de déstabilisation et coups d´Etat a été capable de la stupidité diplomatique d´organiser dans sa résidence un spectacle avec un «pantin» pour ridiculiser notre président.
Monsieur Obama, nous savons qu’une opposition apatride et des médias complices vous ont présenté le président Chavez comme un vulgaire dictateur populiste. Il ne s´agit là que de «pitiyankees» menteurs, Monsieur Obama, et ne croyez pas qu’ils aient pour vous le sentiment de sympathie qu’une bonne partie du monde vous porte. Ces «pitiyankees» sont motivés surtout pour vos dollars financés par vos citoyens pour alimenter leurs ONG à faux prétextes démocratiques.
Monsieur Obama, ils vous ont menti. Chavez, avec son style et sa personnalité, est dans le fond un bon gars avec un cœur qui déborde d´humanisme et qui simplement défend son peuple. Ce n´est pas par hasard qu´élu démocratiquement, puis ayant gagné une dizaine d´élections en augmentant chaque fois son pourcentage, il jouit après dix ans au pouvoir d´une popularité en hausse.
Ils vous ont menti en vous présentant Chavez comme agressif vis-à-vis de votre pays. Chacune de ses prétendues agressions, n´a toujours été qu´une légitime défense ponctuelle aux attaques des Bush, Condoleezza, Negroponte et autres tristes personnages.
Par contre, Monsieur Obama, lorsque votre peuple a souffert de la catastrophe de Katrina, le dit antiyankee Chavez a ordonné une aide financière et la société vénézuélienne CITGO a été sur votre territoire la seule à ne pas spéculer sur ses tarifs de carburants, à l´encontre de toutes vos multinationales, sans exception. Chavez a aussi fait subventionner le carburant pour certaines de vos communautés indiennes et pauvres du Bronx pour qu´ils puissent affronter les rigueurs du froid.
Monsieur Obama, en vous référant au Venezuela, vous avez déclaré que vous pensiez nécessaire pour votre pays de développer de nouvelles sources énergétiques pour réduire votre dépendance du pétrole. Vous avez raison, Monsieur Obama, et Chavez partage votre opinion. Il a exprimé la même idée de nouvelles sources énergétiques face au pétrole pour n´être qu´une ressource naturelle non renouvelable qui sera épuisée. Déjà, au Venezuela, existe un programme d´économies énergétiques dans le secteur électrique, pour non seulement économiser du pétrole mais aussi parce qu´il est l´une des sources de contamination d´une planète où nous devons tous cohabiter.
Monsieur Obama, vous devez savoir que c´est précisément ce diable de Fidel Castro qui le premier a incité Chavez sur cette voie, à peu près en ces termes «Attention Chavez, même si le Venezuela est producteur de pétrole, tu dois faire des efforts pour réduire son gaspillage».
Monsieur Obama, serez-vous enfin le président des Etats-Unis qui reconnaîtra que son pays est celui qui contamine le plus notre planète et signerez-vous le Protocole de Kyoto qui, depuis 1998, attend que se joigne la signature de Washington à celles de 172 nations ?
Nous savons tous que les énergies alternatives ne fonctionneront pas du jour au lendemain. Alors en attendant, Monsieur Obama, traitez honnêtement avec le Venezuela pour acheter à un juste prix votre pétrole à un pays qui de tout temps s´est révélé comme un producteur fiable. N´oubliez pas que Chavez a été le premier à proposer une «fourchette de prix» du baril, un minimum juste pour ceux à qui appartient la ressource, un maximum pour ne pas déstabiliser les pays importateurs.
Monsieur Obama, vous allez assumer la présidence d´une nation avec certains handicaps. Hors les quelques pays amis sincères des Etats-Unis, incluant même ceux qui ont trop besoin de vos dollars pour avoir le courage de s´exprimer, sans nul doute et pour l’instant les Etats-Unis d’Amérique inspirent à beaucoup de nations des sentiments d’antipathie.
Vous allez assumer la présidence de la nation qui accuse d’autres de prétendre posséder des armes nucléaires, mais qui est l’unique nation de l’histoire universelle à avoir utilisé une arme de destruction massive contre des populations civiles, urbaines et totalement désarmées.
Vous allez assumer la présidence de la nation qui pointe du doigt tous les pays qui prétendent à des forces armées pour défendre leurs souverainetés, mais la présidence de la nation qui possède plus de la moitié de l´armement existant au monde à ce jour.
La crise économique qui actuellement secoue votre pays, malgré tout le mal qu´elle peut causer est peut-être aussi une chance inespérée pour un monde meilleur. La majorité de vos citoyens ont maintenant découvert les supercheries de vos banquiers et de vos grands groupes financiers.
Certains pensent, Monsieur Obama, que vous ne pourrez pas gouverner un pays qui est entre les mains de toute-puissantes multinationales, transnationales et corporations.
Monsieur Obama, c´est peut-être une révolution qui vous est proposée dans les urnes, la révolution silencieuse de l´immense majorité contre une petite minorité de puissants.
Monsieur Obama, vous ne connaissez pas le continent sud-américain. Mc. Cain s´est limité à rendre visite au Mexique et à la Colombie… bien sûr. Venez nous voir, Monsieur Obama. Rencontrez des Hugo Chavez, Lula da Silva, Cristina Kirchner, Rafael Correa, Fernando Lugo et Evo Morales. Si vous êtes sincère, vous rencontrerez des gens avec lesquels il est facile de s´entendre, des pays qui n´aspirent à rien de plus qu´à la paix mais des présidents bien décidés aussi à ce que leurs peuples et leurs territoires soient respectés.
Monsieur Obama, bienvenido pour un nouveau monde meilleur.
Pourquoi pas ?
Good Luck, Mister Barack Obama !
Jean Araud,
Caracas
L’ « Obomanie » et la gauche critique
par Marco D Eramo
Envoyé spécial aux Etats-Unis pour Il Manifesto, qui a interviewé le journaliste américain John Cockburn, et lui a demandé « Que peut-on attendre d’Obama ? »
Voici sa réponse :
« D’après ce qu’on a vu jusqu’à présent, pas grand-chose. Ses positions pendant les quatre années au Sénat ont toutes été de centre droit, et plutôt opportunistes. Son instinct fondamental est le modérantisme, le bipartisanisme, le centrisme. La première fois que j’en ai entendu parler, c’était en 2006 quand il est allé dans le Connecticut pour soutenir aux primaires démocrates ce sale type qu’est Joe Liebermann (l’ex-candidat démocrate à la vice-présidence avec Al Gore en 2000, passé maintenant au soutien de McCain, et représentant de pointe du lobby juif) contre le candidat pacifiste.
Toutes les positions progressistes qu’il avait prises aux primaires pour conquérir la base de gauche, il les a ensuite reniées. Pour limiter la corruption électorale, il s’était engagé à limiter ses dépenses au financement public. McCain a tenu sa promesse, mais Obama dès qu’il a vu qu’il était en train de recueillir le triple des fonds de McCain a dit qu’il n’allait pas utiliser le financement public pour pouvoir avoir les mains libres.
En février, il s’était déclaré contre les interceptions non autorisées par un juge et ensuite, en juin, il a voté pour, en soutenant que « la capacité de surveiller et pister des gens qui veulent attaquer les Etats-Unis est un outil vital de l’anti-terrorisme ». Il s’était légèrement rapproché des Palestiniens, mais en juin dernier il a couru discuter avec le lobby juif pour déclarer son soutien sans faille à toute politique israélienne. Il avait promis un retour immédiat d’Irak, maintenant il se dit prêt à un retrait responsable, c’est-à-dire dilué dans le temps et partiel. Surtout, il s’est engagé à augmenter de 90.000 unités les forces armées et à augmenter encore plus le budget de la défense. Tiens compte du fait que, avec 635 milliards de dollars, le budget de l’an dernier a été en termes réels le plus haut de toute l’histoire américaine et que les Etats-Unis dépensent déjà maintenant pour le Pentagone plus d’argent que tout le reste du monde n’en dépense en budget militaire. Et Obama promet de bombarder une nation souveraine comme le Pakistan, et son vice-président Biden a déjà dit que « les relations avec la Russie seront le premier test important de la nouvelle administration ».
Mais il faudra bien faire quelque réforme, étant donnée la crise économique.
« S’il continue comme maintenant, il fera quelques réformettes. Et surtout, il va engloutir en dépenses militaires les sous qu’il devrait consacrer aux réformes. S’il continue comme ça, il finira comme la Grande Société et la Guerre à la Pauvreté de Lyndon Johnson, qui furent englouties et passées à la moulinette par la guerre au Vietnam. Il sera pris en tenailles entre les réformes et, au contraire, renforcer l’empire. Et puis cette folie de la guerre en Afghanistan ! S’il ne prend pas des positions radicales, il est fini, et en deux ans il perd les élections de mi-parcours. Mais ses principaux conseillers sont de l’école monétariste, ce sont des Chicago boys. Et son ministre du Trésor viendra certainement d’un géant de Wall Street, si ce n’est pas Robert Rubin (ex-ministre du Trésor de Clinton), ce sera un autre de Goldman Sachs (dont le surnom est Government Sachs, vue la quantité de ministres qui viennent de la banque).
Wall Street a donné un paquet de sous à Obama qui en a ramassé un chiffre record. Si ça avait été les républicains qui avaient recueilli cette même somme, tous les liberals (progressistes, NdT) d’Amérique (Etats-Unis, NdT) seraient maintenant là à couiner sur le grand capital qui veut faire élire son comité d’affaires. S’il est soutenu même par quelqu’un de droite comme Colin Powell et par la voix du capital mondial, c’est-à-dire le Financial Times, ça veut bien dire quelque chose ».
Mais les réformes ne sont pas venues de haut, le New Deal ça n’est pas Franklin Roosevelt qui est allé l’inventer, mais un très puissant mouvement social, une vague de grèves jamais vue. Même Johnson a lancé la « guerre contre la pauvreté », poussé par les révoltes noires et par les mouvements pour les droits civiques. A présent on ne voit rien de tel à l’horizon.
« Potentiellement, il y a un très puissant mouvement populiste, même si pour le moment il est informel. Les gens sont dans une rogne noire avec le sauvetage des banques. Ils veulent voir les Blancs de Wall Street pendus aux ponts. J’aime bien le sénateur du Montana, John Tester, quand il dit que les gens « veulent voir les Blancs qui ont planté Wall Street ramasser les canettes vides le long des autoroutes, en tenue de prisonniers » (aux USA, la manutention routière est faite par des détenus). Si Palin était moins conne, elle aurait le potentiel pour organiser ce mouvement et le pousser dans une voie poujadiste. Mais ça pourrait être un mouvement de gauche, si quelqu’un savait l’organiser, quelque chose pourrait arriver.
Si Obama a la majorité parlementaire qu’il lui faut pour gouverner, la première chose qu’il devrait faire c’est une commission d’enquête pour incriminer les banquiers de Wall Street. Mais le fait est qu’Obama a fait comme si la gauche lui était acquise et s’est de plus en plus déplacé vers la droite. Et la gauche n’a rien fait pour lui mettre la pression. Elle n’a même pas essayé. Regarde quelqu’un comme Michael More qui avait soutenu Nader en 2000 : maintenant, il n’a pas exprimé la moindre critique sur Obama. Même parmi nos lecteurs qui en 2000 étaient pour Nader : il y en a très peu maintenant qui vont voter pour la candidate verte Cynthia McKinney ou pour Nader. Le fait est que les jeunes d’aujourd’hui sont analphabètes politiquement. Les enfants de mon co-directeur Jeffrey St Clair sont fous d’Obama, mais aucun d’eux ne s’est inscrit sur les listes électorales. Ils devraient apprendre l’abc du conflit, peut-être relire un peu de Capital de Marx ».
L’Europe aussi charge Obama d’une immense expectative.
« Il y a une terrible inflation des expectatives et une attente exagérée pour ce qu’un président peut faire. En économie, le président ne peut pas grand chose sans le Congrès. Ça me fout en l’air ces gens qui disent qu’Obama va restaurer l’autorité américaine, la bonne réputation de l’Amérique. On est tous contents parce qu’Obama va restaurer l’empire américain ! Parce qu’il va être un empereur bon, un Titus Flavius. Mais on est devenu fou ? Personne ne sait plus ce qu’est l’internationalisme. Si tu vivais au 4ème siècle, qu’est-ce que tu voudrais ? Un empereur bon ou bien que les barbares se déversent sur l’Empire pour le faire disparaître ? La gauche ne sait plus où est passé l’anti-impérialisme. S’il n’est pas con, Obama fermera Guantanamo et mettra les tortures hors la loi, mais rien que les tortures les plus extrêmes, pas toutes. Et comme ça il sera un bon empereur et il renforcera l’empire et il pourra bombarder l’Afghanistan, étrangler de faim les Palestiniens, renverser Chavez, reprendre le contrôle de l’Amérique latine. De ce point de vue, Bush a été un excellent président, il a plus fait, lui, pour miner l’empire que n’importe quel anti-impérialiste au monde. Nous ne devons pas nous souhaiter des Titus Flavius , mais des Néron. Vive Domitien ! »
Edition de dimanche 2 novembre de il manifesto
http://abbonati.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/02-Novembre-2008/sezione2.php
(Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio)
CAPJPO-EuroPalestine