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« Moyen Orient : le double jeu européen », par Luisa Morgantini

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Luisa Morgantini, vice-présidente du Parlement européen, analyse l’attitude plus qu’équivoque de l’Union Européenne dans la question palestinienne. Elle répond aux questions de Medafrique.


Moyen Orient : le double jeu européen

« La question palestinienne est depuis les années ’70 au cœur de tous les débats aussi bien dans les relations directes de l’UE avec le Monde arabe (Méditerranée, Ligue arabe, CCG, etc.) qu’indirectement avec l’Afrique dans les rapports avec les Etats-Unis ou la Russie et la Chine).

Le sujet est en fait d’importance qui préoccupe la communauté internationale.

Il a surtout valeur de témoignage de la capacité – ou non – de l’Europe unie à exister sur la scène internationale.
Javier Solana, que l’on présente comme le chef de la diplomatie européenne, n’a aujourd’hui d’autre pouvoir que d’être celui qui gère les communications téléphoniques des 27 Etats membres, par référence à la célèbre question de Henry Kissinger qui ne savait, prétendait-il, à quel numéro joindre la fantomatique diplomatie commune.

La politique extérieure commune est pour l’heure plus une vision d’avenir qu’une réalité. Le traité de Lisbonne devait en concrétiser l’existence. Jusqu’à présent, le Haut représentant paraît plus jouer à une sorte de « monopoly diplomatique » sans conséquences et sans réel bénéfice, un jeu de géostratégie qui prouve qu’il n’y a pas encore en Europe une réelle conviction dans la nécessité d’agir. Les moyens utilisés ailleurs ne sont même pas envisagés, comme d’envoyer sur le terrain une force de protection d’une population qui n’en peut plus à force de privations, d’exactions, d’étouffement.

Peut être la diplomatie européenne a-t-elle plus une fonction « anesthésiante » que thérapeutique. Sa mission serait d’adoucir le tableau face à la « brutalité » américaine, allié stratégique et sans faille d’Israël. La Commission européenne a, elle, le rôle parfois ingrat de casque bleu budgétaire et comme l’avait fait remarquer l’ancien Commissaire européen, Manuel Marin, elle ne semble avoir d’autre tâche que de réparer des dégâts causés par Israël, l’allié stratégique que l’on ne peut condamner ni faire payer.

Pour analyser l’attitude, équivoque, de l’UE et du « chef » de sa diplomatie, Luisa Morgantini, vice-présidente du Parlement européen, qui n’a de cesse de réclamer une médiation vigoureuse et équilibrée de la part de l’UE.

Elle répond aux questions de MedAfrique. (F.B.)

L’UE joue-t-elle franc jeu avec les Palestiniens ?

Non, je ne le pense pas. L’Europe a un double standard dans son approche du conflit israélo-palestinien et dans la recherche d’une solution juste et durable. Depuis juillet 1980 à Venise les neuf États membres de la Communauté européenne ont reconnu l’OLP et « considéré que les liens traditionnels et les intérêts communs qui relient l’Europe au Moyen-Orient les obligent à jouer un rôle spécial et exige d’eux maintenant de travailler d’une façon plus concrète vers la paix » (Déclaration de Venise 13 juin 1980). L’Europe a reconnu la nécessité de la création de deux États pour deux peuples vivant côte à côte en paix et en sécurité mais elle n’a pas été conséquente ni cohérente dans la mise en œuvre de cet objectif et du projet final.
A cela deux raisons. Je mentionne juste les principales: le système politique d’alliances hérité de la guerre froide, dans lequel les États-Unis ont imposé leur vision du monde reposant sur l’installation de bases militaires et sur des États amis ou alliés, tels que l’État d’Israël.

De plus, la tragédie de l’Holocauste (..)mais aussi de vraies erreurs politiques de la part des gouvernements post-coloniaux (Royaume uni) ont contribué à créer un sentiment de culpabilité parmi les consciences et les politiques européennes envers Israël: de nombreux gouvernements israéliens en ont appelé à ces sentiments de culpabilité afin de poursuivre, en toute impunité, une politique arbitraire et illégale violant la loi internationale sans aucune intervention de l’UE ou de l’ONU pour les arrêter.

Presque 30 ans ont passé depuis la Déclaration de Venise – reformulant le besoin de mettre en œuvre les résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité des Nations unies et renforçant « le droit à l’existence et à la sécurité de touts les États de la région, y compris Israël, et à la justice pour tous les peuples, ce qui implique la reconnaissance des droits légitimes du peuple palestinien » – pourtant, en dépit de ces mots et promesses, aucune solution juste n’a encore été trouvée au problème palestinien et pour la paix dans la région.

Au contraire, la population palestinienne vit sous occupation depuis 1967, soit plus de 40 ans maintenant. L’accord d’Oslo n’a jamais été appliqué et leur [les Palestiniens, NdT) liberté de mouvement niée par des centaines de check-points militaires et par le mur de l’apartheid, jugé illégal par la Cour de Justice des Nations unies: un mur qu’Israël définit comme une barrière de séparation, afin de se défendre des attaques terroristes, mais qui divise concrètement les Palestiniens d’autres Palestiniens, annexant la terre et l’eau au profit d’Israël.
Selon un rapport récent, 15 000 Israéliens sont partis s’installer en Cisjordanie depuis le début 2008, en dépit de l’engagement du premier ministre Ehud Olmert de mettre un terme aux implantations et des déclarations suivant la Conférence d’Annapolis: environ 250 000 colons vivent aujourd’hui en Cisjordanie et plus encore à Jérusalem est, ce que, contre toute légalité internationale, Israël considère comme la partie occupée de sa capitale. L’augmentation des implantations est l’une des questions principales capables de miner non seulement des négociations de paix, mais aussi l’avenir de l’État palestinien.

Naturellement, l’Europe n’est pas la seule à porter des responsabilités, la communauté internationale entière, les Nations unies et spécialement les États-unis n’ont jamais essayé d’obliger Israël à mettre en œuvre les résolutions des Nations unies. Maintenant, l’UE tente de soulager sa conscience par la mise en œuvre de projets sur le terrain et des allocations d’aide permettant aux Palestiniens de survivre mais sans donner parallèlement de solutions politiques et, pire, en prenant la place d’Israël en remplissant les responsabilités économiques qui appartiennent, selon le droit international, à l’occupant à l’égard de la population occupée.

La situation se détériore tragiquement avec la punition collective infligée au peuple palestinien avec le siège de Gaza, avec la séparation en cours des Territoires occupés et la division du leadership palestinien. Bien sûr, il est nécessaire de stopper toute sorte de violences ou d’attaques suicides contre la population civile israélienne mais, dans le même temps, il est essentiel d’arrêter la politique d’occupation. Les Palestiniens auraient vraiment besoin de trouver dans l’UE, pas seulement un des principaux donateurs et contributeurs d’aide, mais par-dessus tout un défenseur solide, impartial et convaincu de leurs droits: malheureusement, ce n’est pas le cas.

Est-elle finalement un protagoniste crédible ?

Pour toutes ces raisons que j’ai essayé d’expliquer auparavant, pour toutes les attentes trahies au cours de toutes ces années, pour les promesses non respectées suite à une « politique du double standard », l’UE risque vraiment et dramatiquement d’être considérée comme non fiable et indigne de confiance, mais aussi d’être complice et responsable du conflit actuel, pour des décennies de Nakbah, d’injustice, d’humiliations, de violence et de dépossession subies par les Palestiniens et par les victimes civiles israéliennes.

Nous voyons cette fragilité politique de l’UE chaque fois que nous ne sommes pas capables – ou mieux que nous ne voulons pas – de rendre Israël responsable des violations du droit international, telles que la construction du mur, illégal aux yeux de la Cour Internationale de Justice depuis de nombreuses années, l’expansion des implantations illicites, la punition collective de la population civile de Gaza à travers son siège, l’usage réitéré de la détention administrative et l’emprisonnement de milliers de Palestiniens, y compris des parlementaires, des enfants et des femmes, et de nombreux autres actes illégaux qui passent chaque jour dans le silence et restent impunis. Dans le même temps, les gouvernements israéliens blâment les gouvernements européens de leur approche déséquilibrée de la situation.

Quoi qu’il en soit, il y a eu une réelle évolution au Parlement européen (PE) au cours des années, et un engagement à exiger de pousser l’UE à endosser un rôle plus orienté politiquement : de nombreux membres du Parlement de l’UE sont allés en Palestine et en Israël et ont vu la situation de leurs propres yeux. Ainsi, même si cela s’est fait après un travail difficile et de nombreuses difficultés, quelques résolutions importantes ont été votées appelant Israël à remplir ses obligations internationales, à mettre un terme à la punition collective, ainsi qu’à prier les extrémistes palestiniens à arrêter toute action terroriste.
En outre, nous avons demandé à l’UE d’agir concrètement afin de mettre un terme au siège de Gaza, de respecter les droits de tous les prisonniers palestiniens, en premier lieu les enfants, et de libérer tous les parlementaires détenus: mais évidemment, ces résolutions n’ont pas été suffisantes.

Le PE n’a pas le poids législatif nécessaire pour imposer ses opinions aux Affaires étrangères de l’UE, qui, par conséquent, restent divisées en beaucoup de différentes politiques appartenant aux simples États membres. La situation rend l’UE incapable de parler d’une seule voix et de jouer un rôle politique fort et impartial pour mettre fin à l’occupation. Nous sommes encore perçus comme un pouvoir « mou » (soft power), nous devrions apprendre à utiliser notre diplomatie d’une façon plus indépendante des politiques des États-Unis, de plus en plus dominante, après la chute du mur de Berlin et jusqu’à présent essayant encore malheureusement d’exporter la démocratie au moyen des armes et des guerres.

Les Palestiniens ont besoin d’une solution politique, leur problème ne peut pas être résolu par l’aide économique ou humanitaire. Nous avons encore plus de crédibilité que les États-unis, il ne nous faut pas la perdre: afin d’être fiables et dignes de confiance, nous devrions simplement suivre nos principes fondamentaux d’abord le respect des droits de l’homme et de la justice.

Que doit-elle faire ?

L’UE devrait d’abord demander pardon pour ne pas avoir aidé à stopper l’occupation militaire d’Israël et pour ne pas avoir réussi à convaincre de créer deux peuples et deux États.

Elle devrait demander pardon pour toutes les victimes – Palestiniens, Israéliens, Libanais – de cette tragédie sans fin.
Il faut travailler à l’unité des territoires palestiniens et au leadership et au renforcement de l’Autorité et du gouvernement palestiniens. L’UE devrait aider le dialogue entre le Fatah et le Hamas: ça a été une grande erreur de ne pas reconnaître le gouvernement démocratiquement élu par la population palestinienne, et encore plus de ne pas reconnaître le gouvernement d’unité qui est sorti grâce à l’effort des prisonniers palestiniens appartenant à toutes les factions, en premier lieu de Marwan Barghouti.

Nous aurions dû aider le Hamas à travailler sur un système démocratique et à lutter contre l’occupation au moyen de la résistance non-violente.

Les négociations doivent continuer, mais avec des résultats qui changent la situation sur le terrain: geler les implantations, libérer les prisonniers, ouvrir les check-points, c’est seulement à travers tous ces pas que les Palestiniens peuvent croire aux négociations. Jusqu’à maintenant, le Hamas observe la trêve (is keeping the truce) : ouvrir le dialogue avec lui aidera à arrêter de façon permanente toutes sortes d’attaques contre la population civile israélienne.

L’UE devrait essayer de se servir de son pouvoir de pression sur Israël: si il ne se conforme pas à ses droits, nous pourrions utiliser différents moyens, à commencer par le refus de coopérer dans la recherche militaire ou la vente d’armes, le gel de l’Accord d’Association UE-Israël, comme prévu dans l’article 2 en cas de violations des droits humains de la part des pays tiers. Cela permettrait d’envoyer un message fort au gouvernement israélien qu’il n’y a aucun pays ni gouvernement au-dessus des lois, le même message serait envoyé aux États-unis.
De plus, depuis que l’envoyé spécial du Quartet, Tony Blair, ainsi que dénoncé par de nombreuses ONG travaillant sur le terrain dans les Territoires palestiniens occupés, a échoué dans son objectif d’améliorer les conditions de vie de la population palestinienne, il est nécessaire de lui rappeler de prendre son travail au sérieux et de mettre les projets en œuvre.

Le soutien et la relance de l’initiative arabe, ouvrant les frontières et les relations diplomatiques à Israël, fourniraient bien sûr la solution à la question palestinienne et, parallèlement, seraient la meilleure assurance pour Israël que son existence n’est pas en jeu mais qu’il peut devenir un État normal au Moyen-Orient, jouant un rôle économique important dans la région.

L’UE devrait soutenir politiquement et financièrement les organisations des sociétés civiles israéliennes et palestiniennes luttant ensemble d’une façon non-violente contre l’occupation et pour les droits et la dignité de tous, mais également toutes les organisations des droits de l’homme tant israéliennes que palestiniennes, ou les organisations tels que les Combattants pour la paix – composées d’anciens soldats israéliens et de militants palestiniens qui ont passé de nombreuses années en prison et maintenant travaillent ensemble pour une paix juste et la fin de la violence – et le Cercle des Parents (Parent’s Circle) – des familles israéliennes et palestiniennes qui ont perdu ceux qui leur étaient chers autant à cause de la violence des colons qu’à cause de la violence des soldats ou des Palestiniens. Ils représentent tous un exemple d’une culture capable de détruire la figure de l’ennemi et la culture de la revanche, une culture où tout le monde est perdant.
Dans le même temps, il faut développer un mouvement de la société civile fort en Europe qui représente la fin de l’occupation et la reconnaissance d’un État palestinien parallèlement à l’État israélien ou – si un jour les Israéliens et les Palestiniens le préfèrent – un État pour tous les citoyens. »

Propos recueillis par: Fathi B’CHIR

Bruxelles (11/11/2008)

http://medafrique.info:80/news/show.php?id=561&login=&token

CAPJPO-EuroPalestine

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