Lettre de Donia, reçue par Danièle, qui montre ce que l’on fait subir aux habitants de la Bande de Gaza qui ont besoin de sortir provisoirement.
Bonjour les amis,
Oui c’est vrai, on a réussi à sortir de Gaza ce n’était pas un voyage facile. Actuellement je suis en Algérie avec les enfants, mon époux est bloqué en Egypte.
Après la guerre, on avait vraiment besoin de sortir un peu, mais ce n’était pas la peine d’y penser avec la fermeture des passages, on vivait toujours dans le stress et l’angoisse. Les derniers mois on a appris que les passages s’ouvraient de temps en temps, chaque mois ou deux, pour 2 ou 3 jours, mais juste pour des cas précis : des étudiants ou ceux qui ont une résidence à l’étranger, ou bien des malades, etc.
Dans ce cas, il faut s’inscrire au niveau du ministère de l’intérieur à Gaza et présenter les papiers nécessaires qui prouvent le besoin de voyager. Dans mon cas, j’ai présenté des papiers montrant que je suis née en Algérie et ai déjà la nationalité algérienne et pars pour régulariser les papiers, pour moi et les enfants. Pour Mohammed, il avait son inscription à l’université en Egypte pour sa recherche doctorale.
Si les papiers sont ok, on vous donne des tickets avec un numéro de bus.
L ‘étape suivante est de suivre sur le site du ministère et d’attendre que l’on affiche les jours d’ ouverture de passage avec l’Egypte, et de chercher si le numéro de notre bus est prévu pour passer ce jour-là. Le problème qui se pose est que l’on est au courant de la date d’ouverture que la veille, quelques heures avant l’ouverture.
Depuis 6 mois, nous tentions notre chance : la première fois on a obtenu le numéro 15 et une autre fois le numéro 30 et les deux fois notre tour n’est pas arrivé pour deux raisons :
– Il y a des milliers de voyageurs inscrits qui désirent sortir et qui sont bloqués
– Même si on ouvre le passage pendant 2 ou trois jours, on ne fait passer que quelques bus, maximum 5 ou 6 , soit 600 personnes à peu près. Donc la crise existe toujours.
Les Egyptiens travaillent très lentement et font exprès de bloquer le processus du passage des frontières. Des fois, ils renvoient des voyageurs et ne les laissent pas passer pour des raisons inconnues, parfois juste pour le plaisir de nous humilier. C’est une façon de faire comprendre au Hamas que ce sont les Ehyptiens qui contrôlent les passages.
Bref la veille du mardi 15 sept, on affiche sur le net que le passage va ouvrir pour 3 jours. Cette fois on refait l’ inscription et l’on obtient le n° de bus 11. On avait peu d’espoir que ça marche, on a même oublié d’indiquer le motif du voyage.
Mercredi le 16 sept à 1 h du matin mon époux me réveille pour m’annoncer que ce mardi, on a fait passer le 8 bus et qu’on vient d’afficher que ce mercredi ce sera le tour des bus 10 et 11, et qu’il fallait a 5h du matin se retrouver au regroupement des bus devant le stade de Gaza.
J’ai paniqué, je n’avais que quelques heures pour faire les bagages, réveiller les enfants, préparer les papiers, couvrir les meubles, et au fond de moi je me disais que l’on avait peu de chances de passer et que l’on reviendrait sûrement.
À 5h du beau matin, on se retrouvait dans le stade. Je n’ai même pas fait des adieux aux amis et à ma famille ….Il y avait trop de monde, on a attendu jusqu’à midi sous le soleil brûlant, jusqu’à ce qu’on appelle les passagers du bus 11 pour monter. Je ne sais comment je me suis retrouvée dans le bus, c’est la foule qui m’a poussée, on étouffait dans la foule, on bousculait mes enfants effrayés, mais assez courageux pour ne pas pleurer. Mohammed était très inquiet pour moi, parce qu’on attend notre 3ème enfant. J’en suis à mon 3ème mois.
A 13h, on était sur les frontières avec l’Egypte devant la porte d’entrée de la salle palestinienne, mais ça ne s’ouvrait pas parce qu’il y avait les bus 8 et 9 d’hier toujours à l ‘intérieur, qui n’étaient pas passés hier du côté égyptien. Donc tout simplement comme il est trop tard de revenir avec le risque de perdre sa place, on passe la nuit dehors.., un désert, pas de toilette, ni de cafétéria, ni restaurant …du sable, quelques arbustes et quelques jeunes qui habitent dans l’entourage qui venaient vendre des biscuits et des sandwichs, de l’eau ….!
Il faisait très chaud, on restait dans le bus pour s’abriter du soleil, la nuit adultes et hommes descendaient pour s’allonger et essayer de dormir par terre, pour laisser la place aux enfants et aux femmes qui essayaient de dormir dans le bus.
La nuit, il faisait très froid. Heureusement que j’avais pensé à amener deux petites couvertures avec moi, bien que j’aie oublié beaucoup de choses nécessaires avec le peu de temps que j’avais.
Le jeudi 17 sept, on attendait toujours … . À 13h, ils décident d’ouvrir le portail. On était hier 80 dans le bus pour se retrouver à peu près à 100 ce matin, je ne sais comment, le piston existe toujours, on a fait glisser des gens pendant la nuit.
Après 2 heures pour cacheter les passeports, on se retrouve devant l’entrée de la Salle Egyptienne, où il faut attendre aussi dans les mêmes conditions. Cette fois j’ai eu besoin de m’allonger, ça me faisait très mal au dos de dormir assise, j’ai passé la nuit allongée sur la terre, heureusement elle n’était pas dure, c’était une petite colline de sable. Les enfants tellement fatigués passaient leur deuxième nuit dans le bus.
Le vendredi à 3h du matin, on se retrouve dans la salle égyptienne pour vérifications des passeports. Mohammed a pris une photo des enfants très sales, très fatigués, ils n’ont mangé que des sandwichs de n’importe quoi, j’avais très pitié d’eux.
La salle était aussi très sale, puisqu’elle est faite pour recevoir les voyageurs palestiniens ! ce n’est pas la peine de vous décrire l’état des toilettes, la cafette vide, et en plus l’officier égyptien qui voulait nous renvoyer à Gaza parce que je n’avais pas de visa pour aller en Algérie. Il m’a fallu une heure de négociations, de dépression, et de stress pour le convaincre que je suis née en Algérie, que j’ai la nationalité et que je peux passer sans visa, que je n’avais pas le temps de demander un visa puisque le voyage est imprévu et que l’on ne sait jamais quand on va pouvoir sortir
Enfin il a accepté, mais bien sûr on nous a regroupées, moi et toutes les autres palestiniennes qui voulaient aller dans un autre pays, dans un bus pour nous envoyer directement à l’aéroport, et bien sûr avec des gardes, pour faire un trajet de 7 heures.
Nous n’avons pas eu le droit de descendre dans un hôtel prendre une douche, nous reposer et continuer le voyage le lendemain. Nos frères égyptiens nous traitent comme des chiens ! Malheureusement c’est la vérité.
Le vendredi 18 sept à 14h, je me retrouve à l’aéroport du Caire. Il fallait que je prenne mes billets. Je ne savais pas si je pourrais passer ou pas pour faire la réservation en avance. Heureusement j’ai trouvé un vol pour l’Algérie le jour même, sinon j’étais obligée de passer nuits et jours dans l’aéroport sur les chaises d’attente jusqu’à ce que l’on trouve des places, même si c’était pour plusieurs jours… Ce fut d’ailleurs le cas d’autres familles palestiniennes qui étaient dans le même bus et qui se rendaient dans d’autres pays.
Pour mon époux, il a montré son papier d’inscription à l’université du Caire, donc il a eu le droit d’entrer en Egypte. Mais le système fait qu’on lui retire son passeport, en lui disant qu’il peut le récupérer après une semaine auprès du service de sécurité au Caire.
Je me suis dit en une semaine, j’aurais le temps de lui obtenir un visa pour qu ‘il me rejoigne en Algérie, mais voilà , cela fait 3 semaines que je suis en Algérie avec les enfants et lui toujours en Egypte ! On ne lui a pas encore rendu son passeport et bien sûr, nos vacances sont gâchées.
Et voila l’histoire d’une famille palestinienne qui décide de passer des vacances : angoisse, stress, souffrance, risque, fatigue, humiliation, voila ce que cela représente pour nous.
Je suis arrivée en Algérie même sans visa, les officiers algériens m’ont bien reçue, avec un grand respect, étant née en Algérie et ayant vécu là-bas. Ils étaient étonnés de l’état dans lequel je suis arrivée. Ils avaient les larmes aux yeux; mon frère m’attendait, il m’a dit, on dirait que vous sortez d’une bataille …..sans commentaire.
Si Mohammed réussit à nous rejoindre, on passera quelque temps ici et l’on va aussi profiter de cette liberté pour aller à Dubaï chez mes beaux-frères. Cela fait 6 ans qu’on ne s’est pas vu, ils ne connaissent même pas mes gosses, et dieu sait quand sera la prochaine fois où nous pourrons voyager …
Et, à la fin, on retournera à Gaza, même si j’obtiens le passeport algérien. Vous, vous aller trouver cela étrange…, mais ma maison, c’est là-bas, c’est mon pays…….vous allez sûrement comprendre.
Excusez – moi pour cette longue lettre, mais c’était difficile de vous expliquer comment on est sorti de Gaza, malgré le blocus, en quelques phrases …
Je vous embrasse.
Dania
CAPJPO-EuroPalestine