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« Les soldats israéliens sont venus arrêter mon père »

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Histoire vraie, qui s’est passée la semaine dernière à Ramallah. Et tous les jours en Cisjordanie occupée se déroulent des faits identiques, que nous n’avons pas le temps de traduire, et que vous ne prendriez plus la peine de lire. Jusqu’à quand ? Si l’on attend que Sarkozy décrète une « No flying zone » au-dessus des territoires palestiniens et de leur population constamment agressée, on peut toujours attendre. A nous de réagir !


« La semaine dernière, le 21 avril, des soldats israéliens ont envahi ma maison à Ramallah, ont retenu en otages toutes les personnes présentes et, sous la menace d’une arme, m’ont contrainte à appeler mon père, écrivain et avocat des droits de l’homme, afin qu’il se livre. Il s’agit d’une manière de faire habituelle pour les forces d’occupation israéliennes. Cette fois-ci, néanmoins, elles avaient pris en otage une ressortissante américaine résolue à s’exprimer. Et je ne resterai pas silencieuse.

Je suis née à New-York , mais j’ai surtout grandi à Ramallah, en Cisjordanie occupée. Je fais actuellement mes études au Caire, mais j’étais revenue à Ramallah passer en famille les congés de Pâques. Ma joie devait bientôt faire place au chagrin.

Dans la soirée de mercredi dernier, juste passé minuit, ma mère et moi étions en train de bavarder quand nous avons soudain entendu frapper à la porte et quelqu’un crier, avec cette prononciation estropiée de l’arabe qui nous est familière et glaçante : « iftakh bab ! » (ouvrez la porte). Nous avons regardé précautionneusement de derrière le rideau entrebâillé, pour nous rendre compte qu’un grand nombre de soldats de l’armée d’occupation encerclaient l’immeuble, lourdement armés et en formation de combat. Peu après, ils sont entrés et ont investi la maison.

soldat_born_to_kill-3.jpgIls ont pointé leurs fusils vers nous en nous déclarant qu’ils voulaient fouiller la maison. Ma cousine Naï, 14 ans, et ma tante âgée de 69 ans dormaient à l’intérieur. Sans plus réfléchir, je me suis précipitée vers ma chambre pour prévenir Naï, de sorte qu’elle ne s’éveille pas avec une arme braquée vers son visage. Ce qui avait été l’expérience qui m’avait le plus hantée dans ma propre enfance traumatisante, lorsque les forces israéliennes avaient arrêté mon père bien des années plus tôt.

Pour autant, Naï s’est réveillée tremblante et muette, bien que le silence ne soit pas l’une de ses vertus. Dans le même temps, comme sur un mot d’ordre, ma mère avait bondi pour éveiller ma tante. Les soldats manifestement agités tenaient nos mouvements pour hostiles et nous ont donné l’ordre d’y mettre fin, en nous visant à la tête.

Après une fouille infructueuse, les soldats sont montés à l’appartement au-dessus du nôtre, dont les propriétaires, – citoyens américains eux aussi – étaient absents. Ils ont enfoncé la porte et dévasté l’endroit.

Nous en étions là, quatre femmes palestiniennes d’âges différents, coincées dans une pièce avec un faisceau de fusils pointés vers nous. Ils ont confisqué nos téléphones, nous coupant ainsi du monde extérieur. Je ne pouvais pas empêcher quelques larmes de couler sur mes joues, malgré mes efforts pour ne pas y céder face aux militaires. Je me disais que je n’aurais pas la possibilité de dire au revoir à mon père – qui est bien plus que mon papa bien-aimé : il est mon mentor. Mes vacances prennent fin dans quelques jours et je retournerai à mon université. Son rêve était que j’obtienne mon diplôme, de sorte que je dois poursuivre à tout prix.

Soudain, Naï a interrompu le cours de mes pensées en disant « Ecoute, nous pouvons pleurer ou parler sans arrêt » – cette dernière option étant son passe-temps favori. Elle et moi avons donc dépassé notre peur et décidé de parler, de rire, de plaisanter et de bavarder, au point d’amener les soldats à regretter le moment où ils avaient eu la cruauté d’envahir notre maison.

Pour nous aider à nous rasséréner, Naï a joué sur son I-Pod « Li Beyrouth », une charmante chanson de la vedette libanaise Fayrouz. Un soldat manifestement irrité lui a crié : « Donne-moi ce foutu machin ». Elle le lui a tendu – mais non sans se moquer de lui : « Espèces de lâches ! Même Fayrouz vous fait peur ! » Au moment où ils s’apprêtaient à pénétrer dans ma chambre, j’ai averti leur chef « Mon I-Pad et mon Blackberry sont dedans ; j’espère qu’ils y seront encore après votre fouille ».

« Nous ne prenons jamais rien qui ne nous appartienne pas » a-t-il riposté sur un ton courroucé . Je n’ai pas pu me retenir de crier « Outre le fait que vous nous voliez constamment notre terre, il y a neuf ans, des soldats israéliens ont été pris sur le fait en train de voler des objets de valeur dans de nombreuses maisons palestiniennes. N’ayez donc pas le front de prétendre que vous ne volez pas ce qui ne vous appartient pas ! » Il m’a fait taire en braquant sur moi son M-16 made in USA. Quelle ironie qu’une arme fabriquée dans mon pays natal soit utilisée par des soldats israéliens pour me réduire au silence, tandis qu’ils saccagent ma propre chambre au milieu de la nuit.

Ils nous ont dit qu’ils cherchaient mon père, Ahmad Qatamesh.
De façon non surprenante, ils n’ont pas expliqué pourquoi ils voulaient l’arrêter. Ils nous ont confiné contre notre volonté dans le salon, en soulignant qu’il faudrait qu’il « se pointe » avant qu’eux s’en aillent. Ma mère leur a dit : « Il n’est pas ici, et il n’est pas attendu ». C’est seulement à ce moment que nous nous sommes rendu compte que nous étions retenues en otages.

Mon père, à soixante ans, est un spécialiste de sciences politiques, écrivain et militant des droits de l’homme, largement respecté dans la société palestinienne. Ce choc m’a ramenée à mes neuf ans, quand j’attendais avec inquiétude sa libération imminente devant la grille d’une prison israélienne. Pendant près de six ans, il avait été retenu en « détention administrative », sans chef d’accusation, sans jugement, sans avoir la moindre possibilité de se défendre ou même de savoir de quoi il était accusé. Amnisty International et d’autres organisations de défense des droits de l’homme condamnent cette procédure comme un affront à la justice. Je l’avais alors embrassé comme si je le voyais pour la première fois et je lui avais demandé de promettre de ne plus s’absenter pour si longtemps. Avec une honnêteté sans faille, il avait répondu : « J’espère que je le pourrai. Mais il faut d’abord que les Israéliens sortent de nos vies avant que je puisse faire une telle promesse ».

Toujours en pointant son arme sur moi, le chef des soldats m’a obligée à appeler mon père, qui était chez son frère. Je l’ai fait. Il a alors saisi mon téléphone et lui a hurlé : « Rends-toi ou bien je vais détruire ta maison ». Mon père a répliqué, assez fort pour que je puisse l’entendre « Toi et tes soldats êtes les instruments de l’occupation. Vous violez nos droits fondamentaux. Vous n’avez aucun droit à être dans notre maison. Venez m’arrêter ici et laissez ma famille tranquille ! ». Quelques uns des soldats sont partis pour l’arrêter et c’est seulement après que ceux qui étaient restés chez nous se sont préparés à partir. Avant que le dernier soit sorti, il m’a cependant passé son arme sur le visage en disant : « On a attrapé ton père et on va s’occuper de lui ! ». Au bord des larmes, j’ai crié « Il est capable de s’occuper de lui-même ! Vous n’êtes que des criminels ».

Le principe le plus important que j’ai appris de mon père est peut-être de ne jamais laisser des obstacles m’empêcher de réaliser mes rêves. Je vais continuer à rêver de liberté pour la Palestine. Sans trêve, je continuerai à dénoncer la brutalité de l’occupation israélienne de notre terre – et de nos maisons. »

Hanin Qatamesh

Hanin Qatamesh est née à New-York en 1989. Elle a vécu en Palestine occupée jusqu’à la fin de ses études secondaires. Elle est étudiante en Licence à l’université américaine du Caire (AUC) dans la filière Communication et Masse Médias.

Source : The Electronic Intifada, Ramallah, 2 mai 2011.

(Traduit de l’anglais par Anne-Marie PERRIN pour CAPJPO-EuroPalestine)

CAPJPO-EuroPalestine

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