Yehudit Oppenheimer, dans un article publié par Haaretz et intitulé « les abandonnés de Jérusalem », revient sur l’accident de bus qui a causé la mort de 6 enfants palestiniens et en a blessé des dizaines d’autres le mois dernier, en soulignant les responsabilités de la municipalité de Jérusalem et celles du ministère israélien de l’Education dans un tel drame.
« L’effrayant accident qui a eu lieu le mois dernier près du barrage routier d’Adam au nord de Jérusalem, qui a tué six enfants palestiniens et leur professeur, et en a blessé des douzaines d’autres, soulève un grand nombre de questions. Les remarques racistes et la joie mauvaise qu’ont laissé les visiteurs de la page Facebook du premier ministre B. Netanyahu à propos de cette tragédie sont évidemment choquants. Ce qui est non moins choquant c’est que le bureau du premier ministre n’a pas montré d’empressement à les retirer.
Mais l’important, actuellement, avec ces réactions, c’est de détourner l’attention d’un problème bien plus important – l’insupportable situation existentielle qui est le combat quotidien des habitants de cette partie de Jérusalem, et l’indifférence manifestée par les autorités israéliennes à ce sujet.
Et Israël, jamais en retard pour envoyer des équipes d’urgence sur tous les désastres humanitaires des régions les plus éloignées du monde — et pour le faire savoir– semble ne pas avoir mis trop d’empressement à envoyer de l’aide cette fois, alors que le désastre frappait dans son arrière-cour, sur la route entre les barrages routiers d’Adam et de Qalandiyah. Cette voie, contrairement à l’impression que les autorités ont essayé de donner, est au centre de la Zone C, et se trouve ainsi sous l’entière responsabilité administrative et sécuritaire d’Israël. Mais en dépit de la proximité de l’accident avec plusieurs communautés israéliennes et avec un checkpoint de l’armée, il a fallu plus de vingt minutes pour que des équipes d’urgence arrivent, au point que ce sont des passants palestiniens qui ont éteint le feu.
Et davantage encore de questions se posent, au-delà de la prise en charge de l’évènement lui-même, sur les circonstances qui l’ont entouré. Environ la moitié des enfants du bus, qui a pris feu après la collision avec un camion, étaient des habitants de Jérusalem qui vivent dans le voisinage du camp de réfugiés de Shoafat, dans des quartiers qui se trouvent sous la juridiction de la municipalité de Jérusalem. La construction du mur de séparation a laissé, il y a dix ans, ces quartiers à l’écart du mur et les a transformés en enclaves sur-peuplées et négligées, pour lesquelles les autorités en général, et la municipalité de Jérusalem en particulier, ont renoncé à leur responsabilité.
Résultat : les infrastructures et les services de ces quartiers – le camp de Shoafat, Dehiyat, al-Salam, Ras Hamis, Hew Anata, où vivent plus de 35000 personnes dans des conditions insoutenables de surpopulation – sont à deux doigts de s’effondrer. Ces quartiers ne disposent d’aucun service d’urgence, ni aide médicale d’urgence, ni pompiers. Si bien que lorsque les enfants, élèves d’une école privée en route vers leur école, ont été piégés dans un bus en flammes, leurs communautés n’ont pu envoyer ne fut-ce qu’un simple camion de pompiers ou une équipe médicale pour les aider.
De plus, il faut se demander pourquoi des enfants de familles jérusalémites , dont la plupart ont des difficultés à joindre les deux bouts, ont besoin d’étudier dans une école privée, hors de leur ville. Est-ce le choix de leurs parents, qui auraient choisi de leur donner un enseignement privé, ou bien est-ce que l’amère vérité oblige à dire que ces quartiers surpeuplés ne sont desservis que par une seule école primaire municipale, et que les conditions d’enseignement (le bâtiment est un ancien parc à moutons, proche, jusqu’à il y a peu, de ce qui était une usine polluante, en activité) sont décrites par des professionnels comme parfaitement inadaptées ?
Pour être clair : dans les quartiers arabes de Jérusalem-Est, l’enseignement privé n’est pas nécessairement synonyme de qualité. Dans bien des cas, nous entendons plutôt parler d’initiatives de semi pirates, qui ne sont pas contrôlés et n’ont aucune obligation à respecter, pas même des standards minimum, que ce soit en termes de niveau d’enseignement ni même de sécurité.
Evidemment on peut rejeter la responsabilité de ce taux élevé de morts et de blessés dans ce récent accident, sur le dos du proviseur de l’école, qui a entassé dans un seul bus plus de soixante enfants, et on doit enquêter là-dessus. Mais ni la municipalité de Jérusalem, ni le ministère de l’Education israélien ne peuvent nier qu’ils ont obligation de fournir aux enfants de Jérusalem un enseignement correct et approprié qui ne mette en danger ni leurs vies ni leur futur.
Cet accident soulève trop de questions difficiles pour les politiciens israéliens qui ont contribué à transformer des quartiers urbains, qui faisaient partie intégrante dans le passé de Jérusalem Est, en lieux isolés et abandonnés, qui se détériorent à la vitesse grand V jour après jour. Leur choix de fixer les limites de Jérusalem par des décisions unilatérales, plutôt que d’opter pour des négociations et des accords politiques, a créé des enclaves constamment en danger. D’une manière générale, les 70.000 habitant palestiniens des quartiers situés au delà du mur de séparation, mais toujours sous juridiction de Jérusalem (dans les zones de Shoafat au nord-est et dans la zone que Qalandiyah au nord) vivent aujourd’hui dans des conditions inhumaines.
Pour eux, un désastre humanitaire encore plus important, n’est qu’une affaire de temps.
La mairie de Jérusalem et le ministère israélien de l’Education ont obligation de donner aux enfants de Jérusalem une éducation convenable qui ne compromette ni leurs vies ni leur futur. »
Yehudit Oppenheimer
Source : http://www.haaretz.com/print-edition/opinion/abandoned-in-jerusalem-1.415994
Yehudit Oppenheimer est le directeur général de l’ONG Ir Amim, qui a vocation d’établir un Jérusalem stable et égalitaire avec un futur politique négocié
(Traduit par Carole SANDREL pour CAPJPO-EuroPalestine)
CAPJPO-EuroPalestine