Nadine et Leila reviennent de Gaza où elles ont passé très peu de temps. Mais ce peu de temps leur a suffi pour toucher du doigt les conséquences dramatiques du siège imposé à près de 2 millions de personnes. Ci-dessous leur récit.
Gaza : au secours !
Par Nadine et Leila
Nous sommes à l’Hôpital Shifa où le Dr Naser El Tater, chef du service de cardiologie, nous décrit la situation de ce centre de 700 lits, quand la lumière s’éteint brusquement, tout comme son ordinateur. Un moment de silence angoissé emplit la pièce où se trouvent trois autres médecins. Puis le bruit d’un générateur prend le relais, tout se rallume et les conversations reprennent.
Les coupures d’électricité ont beau être quotidiennes, et de puissants générateurs être installés dans les hôpitaux et cliniques, personne ne s’habitue à cette situation qui provoque des drames quotidiens.
De nombreux appareils médicaux ne supportent pas ce régime d’arrêts intempestifs et fréquents. ils finissent par se détériorer et tomber en panne.
Quant aux générateurs, ils ne prennent pas toujours le relais instantanément. La semaine dernière, des nouveau-nés qui se trouvaient dans des incubateurs en ont été victimes.
Morts pour cause de blocus imposé par Israël, avec l’assentiment des autres gouvernements, qui acceptent que l’approvisionnement en électricité de Gaza couvre à peine la moitié des besoins de sa population.
Et l’été, qui dure ici 4 à 5 mois, c’est encore pire, car la climatisation, les ventilateurs, les frigos, incontournables dans la plupart des lieux, augmentent la consommation d’électricité.
Dans les rues, en plein jour, par 30° en cette fin septembre, les commerçants sont obligés de faire tourner, à tour de rôle, leurs générateurs dont la pollution sonore vient s’ajouter à celle de la circulation intense.
Et qui dit générateurs, dit aussi accidents domestiques qui ont déjà fait plusieurs centaines de victimes. « Un médecin du service est mort en mars dernier, en utilisant son générateur qui a explosé », indique le Dr. El Tater.
Israël tout comme l’Egypte ont réduit y compris les livraisons d’essence à Gaza, en provenance du Qatar. Actuellement la bande de Gaza ne reçoit
qu’environ 100,000 litres par jour, alors qu’il en faudrait 500.000. L’unique centrale électrique de Gaza a même été obligée de fermer ses portes en juin dernier quand une livraison du Qatar a été empêchée de passer.
Les répercussions sur les familles sont évidentes :
– problème de conservation des aliments quand les frigos sont hors service pendant 12 heures d’affilée et qu’il fait chaud.
– impossibilité de communiquer y compris en situation d’urgence si on n’a pas pu recharger son téléphone
– parents qui préparent la nuit les repas de la famille, ainsi que ce qu’ils ne pourront pas faire dans la journée, sans électricité
– enfants perturbés dans leur sommeil quand la lumière, le courant et le bruit reviennent brutalement en plein milieu de la nuit
– personnes bloquées chez elles quand elles habitent un étage élevé dans une tour et que l’ascenseur ne fonctionne pas
– nombreuses victimes de brûlures avec des bougies renversées qui enflamment rapidement un environnement plongé dans le noir.
D’une manière générale le blocus de Gaza provoque une situation médicale et sanitaire catastrophique.
Dans les hôpitaux, les médecins ne manquent pas. Ils sont même souvent très spécialisés, malgré l’interdiction qui leur est faite d’aller compléter leur formation à l’étranger. Ceci grâce aux méthodes d’apprentissage sophistiquées via internet et les vidéo-conférences qu’ils ont mises en place, et grâce au dévouement des plus expérimentés, qui en plus de leurs heures de travail, consacrent beaucoup de temps à transmettre leurs compétences aux plus jeunes.
« Mais à quoi nous sert notre spécialisation, quand nous manquons du matériel qui nous permet de l’exercer ? » nous fait remarquer un jeune chirurgien maîtrisant depuis peu des techniques pointues de chirurgie maxillo-faciale, mais qui ne dispose que d’un seul distracteur (à usage unique !) pour l’ensemble des patients.
Même chose dans les domaines de la cancérologie ou de la transplantation d’organes. Les médecins maîtrisent les thérapies, il se pratique même des opérations à coeur ouvert à l’hôpital Shifa, mais le blocus prive les malades de médicaments essentiels à la guérison de ces patients.
Sans parler du problème récurrent des pièces de rechange qui font défaut.
« Des pays nous ont fait don d’IRM et autres scanners très performants, mais Israël ne laisse pas passer les pièces de rechanges, considérées comme de dangereux auxiliaires terroristes ! »
Au plan sanitaire, le blocus fait également des ravages au sein d’une population qui avoisine maintenant les 2 millions de personnes ne bénéficiant pas d’eau potable ni de possibilité de recycler les déchets. Israël déverse les siens dans la bande de Gaza, mais y interdit la construction d’usines de recyclage.
L’impossibilité générale de construire par manque de ciment et autres matériaux de construction –dont une partie transite par les tunnels, mais à des prix prohibitifs– pourrit littéralement la vie des Gazaouis.
Pas assez d’écoles. Donc des classes de 50 à 60 élèves et seulement 4 heures de cours par jour.
« J’ai 57 élèves dans ma classe en cours d’anglais, nous dit Abou Ayman. Il y en a forcément un certain nombre qui s’agitent et empêchent les autres de se concentrer. Comment enseigner correctement dans ces conditions ? »
Les problèmes de logement sont dramatiques. les familles s’entassent souvent à plus d’une dizaine par pièce pour dormir. Et la demande est tellement plus élevée que l’offre en matière d’appartements à Gaza, que les prix de l’immobilier ont rejoint ceux de Paris, alors que le salaire moyen est en dessous des 400 euros par mois, quand on a la chance d’avoir un travail.
A la campagne, les agriculteurs ne sont pas mieux lotis. N’ayant pas le droit d’exporter leur production, et les Gazouis n’ayant pas assez d’argent pour consommer correctement, ils voient leurs récoltes pourrir sous leurs yeux.
Les pêcheurs gazaouis, on le sait, ne peuvent pas, malgré leur longue tradition et leur expérience, aller suffisamment loin pour ramener le poisson nécessaire. Ils sont limités à une distance de 3 km, au-delà de laquelle les navires israéliens leur tirent dessus. Les 70.000 Gazaouis qui dépendent de la pêche pour survivre sont donc extrêmement appauvris.
Le gisement de gaz, d’une capacité estimée à 28 milliards de mètres-cubes, qui se trouve dans les eaux de Gaza, pourrait bien contribuer à cette limitation. Il n’est toujours pas exploité, alors qu’il pourrait apporter de l’oxygène à l’économie palestinienne. Mais Israël, qui voudrait bien en tirer profit pour son propre compte, s’est jusqu’ici débrouillé pour bloquer les négociations entre Palestiniens et la compagnie British Gas, concernant son exploitation.
Quant aux tunnels, ils permettent certes de se procurer une partie des matières premières manquantes, mais à quel prix !
S’il y a maintenant des centaines de tunnels, transportant de tout, y compris du lait maternisé, des voitures, des moutons, du mobilier, des personnes avec leurs bagages, et constituant le seul poumon artificiel permettant à la population de Gaza de ne pas étouffer complètement, ils coûtent chers à bien des égards.
Tout d’abord en vies humaines. Il y a maintenant plus de 200 Gazaouis qui sont morts, lors d’ accidents du travail.
Pas plus tard que la semaine dernière, lors de notre passage, un travailleur est mort et un autre a été blessé, suite à l’effondrement d’un tunnel à Rafah.
Ces risques inhérents à ce palliatif, de même que le fait d’avoir à aller chercher jusqu’au Caire, en catimini, des produits dont on a besoin, rend bien entendu le prix de bon nombre de ces produits quasiment prohibitif une fois sur le marché gazaoui.
A tel point que nous nous sommes étonnées de voir passer par les tunnels des objets de peu de valeur, tel un bureau en bois défraîchi, parce qu’un Gazaoui ayant étudié en Egypte estimait qu’il lui revenait moins cher de rapatrier ce meuble que d’en acheter un nouveau à Gaza.
Les « propriétaires » des tunnels sont les seuls à trouver un profit et à s’enrichir rapidement en creusant de la sorte. Mais le gouvernement tient à faire cesser le plus vite possible cette situation et a demandé au nouveau gouvernement égyptien la mise en place d’une zone de libre échange pour toutes les marchandises entre les deux pays.
En attendant, les femmes, les hommes et les enfants de Gaza souffrent, de manière inhumaine et injuste. Nous ne pouvons pas l’ignorer.
Certes, personne ne meurt littéralement de faim parce que les chaînes de solidarité existent, et que les criminels de guerre israéliens qui avaient annoncé lors de l’opération « Plomb durci », vouloir faire retourner la population gazaouie à l’âge de pierre, ont perdu ce pari.
La résistance est là, elle se sent tous les jours et à tous les niveaux.
C’est ainsi qu’un savant comme Suleiman Baraka, astrophysicien qui vient d’être nommé président du département d’Astronomie, d’Astrophysique et des Sciences de l’Espace à l’UNESCO (au grand dam des sionistes qui ont envoyé, en vain moulte protestations), a choisi de rester vivre et travailler à Gaza.
Il nous a reçues dans sa nouvelle maison de Khan Younes, où sa famille et lui vivent très simplement. Sa maison, comme celles de tous ses frères, a été détruite par les bombardements israéliens à la fin décembre 2008.
Son fils Ibrahim, 11 ans, qui se trouvait dans la maison, a été tué par une bombe au phosphore larguée par les courageux aéronefs israéliens.
Suleiman Baraka se trouvait à ce moment-là aux Etats-unis, pour ses travaux de renommée internationale. Et il a été invité par le gouvernement américain à venir s’installer aux Etats-Unis avec toute sa famille dès la fin des bombardements, afin d’y mener une vie plus confortable et de pouvoir continuer tranquillement ses travaux scientifiques de la plus haute importance.
Une offre que Suleiman a déclinée, expliquant que la Palestine était son pays et qu’il souhaitait continuer à y vivre et y travailler quelles que soient les difficultés.
Alors, quand la propagande israélienne demande de « choisir entre la civilisation et les sauvages » (sic, voir les affiches dans le métro de New-York), il faut se demander sérieusement qui sont les sauvages et qui sont les civilisés.
Le Pr. Suleiman Baraka invite toutes les personnes qui souhaitent soutenir ses recherches sur l’astronomie, et de manière générale, « toutes les personnes qui ont un coeur et une raison » à venir se rendre compte, sur place à Gaza, des terribles conséquences du blocus, et à agir pour sa levée.
CAPJPO-EuroPalestine
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STOP THE BLOCKADE ON GAZA !
Nadine and Leila have just returned from a very short visit to Gaza. Nonetheless, it allowed them to scratch the surface of the dramatic consequences of the siege of nearly 2 million people. Below is their story.
Gaza: help!
Nadine and Leila
We are at the 700-bed Shifa Hospital where Dr. Naser El Tater, head of the cardiology department, describes the situation when the lights suddenly go out, aswell as his computer. An anguished moment of silence fills the room where there are also three other doctors. Then the noise of a generator takes over, everything comes back on and conversations resume.
With power cuts on a daily basis, and despite having powerful generators installed in hospitals and clinics, nobody gets used to this situation that causes dramas each day. Many medical devices cannot withstand these constant shutdowns. They eventually deteriorate and breakdown. As for the generators, they do not always take over instantly. Last week, they claimed the lives of new-born babies placed in incubators. They died due to the Israeli blockade, imposed with the consent of other governments, who accept that the electricity supply to Gaza barely covers half the needs of its population.
During the summer, which lasts 4 to 5 months here, it’s even worse because the air conditioning, fans, fridges, unavoidable in most places, increase electricity consumption.
On the streets it’s 30 ° during the day in late September, where shop-owners must take turns in using the generators, of which the noise is added to the heavy traffic.
This extensive use of generators causes frequent domestic accidents which have claimed hundreds of victims. « One of our doctors died last March, because the generator in his house exploded, » says Dr. El Tater.
Israel and Egypt have reduced their deliveries of Qatari fuel to Gaza. Currently Gaza receives about 100,000 litres per day, instead of the necessary 500,000. The only power plant in Gaza was forced to shutdown in June because a delivery from Qatar was prevented from passing. The impact on families is obvious:
– The problem of food preservation when fridges are out of service for 12 consecutive hours in the heat.
– The inability to communicate in an emergency if you cannot recharge your phone.
– Because they cannot do it during the day, parents must try to prepare the family meals at night, and often without electricity.
– Children are disturbed in their sleep when the light, the electricity and the noise return abruptly in the middle of the night.
– People who live at top floors in high buildings can remain blocked when their lift is not working
– Many are burned by the flame of candles that get knocked over during the night and set fire to the surroundings.
Overall the blockade on Gaza causes a catastrophic health and medical situation.
In hospitals, there is no shortage of doctors. They are very often highly specialised, despite the ban which prevents them from completing their training abroad. But thanks to sophisticated learning methods via the Internet and the video conferencing they have put in place, the more experienced doctors, thanks to their dedication, spend a lot of time passing on their skills to their younger colleagues, in addition to their already long working hours.
« But what good is our specialisation, when we lack the equipment that enables us to put it into practice ? » asks a young surgeon who is new to mastering the skills of maxillofacial surgery, and has only a single distractor (single use !) for all patients.
It’s the same problem in the fields of cancer and organ transplantation. Doctors have in-depth knowledge of the therapies involved, even open heart surgery is carried out at Shifa hospital, but the blockade deprives patients of essential medicines to be cured and enable them to recover.
Not to mention the recurring problem of a shortage of spare parts. « Some countries have donated MRI’s and other highly efficient scanners, but Israel does not let us have spare parts, which they consider to be of use to dangerous terrorists! »
From a health standpoint , the blockade also wreaks havoc amongst a population approaching the 2 million mark, which has no drinking water nor the opportunity to recycle waste. Israel empties its waste into the Gaza Strip, but it prohibits the construction of recycling plants.
Throughout Gaza there is an impossibility to build because of the lack of cement and other building materials – some of which transits through the tunnels, but at prohibitive prices – which literally rots the lives of Gazans. There is a lack of schools. So classes have 50 to 60 students and only 4 hours of class per day.
« I have 57 students in my English class, says Abu Ayman. There is always a few who mess around and prevent others from concentrating. How can I teach properly in these conditions? »
Housing problems are dramatic. Families are often crammed at more than ten per bedroom. And demand is so much higher than the supply of apartments in Gaza, that property prices have equalled those of Paris. Though the average salary is below 400 euros per month, when you are lucky enough to have a job.
In the countryside, farmers are not better off. Not having the right to export their produce, and Gazans do not have enough money to eat properly, they see their crops rot before their very eyes.
Gaza’s fishermen, as we know, despite their long traditions and experience, are prevented from going far enough to access the fish needed. They are limited to a distance of 3 nautical miles, beyond which Israeli ships shoot at them. Consequently the 70,000 Gazans who depend on fishing to survive are extremely impoverished.
A gas reservoir with an estimated capacity of 28 billion cubic meters, and is within Gaza’s territorial waters, may explain this limitation. It remains unexploited and would be a formidable boost to the Palestinian economy. But Israel, who would like to benefit from it, has so far managed to block the drilling negotiations between the Palestinians and the British Gas company.
As for the tunnels, they certainly enable to get a lot of the missing materials, but at what price!
Despite there being hundreds of tunnels, through which all types of things are brought, including infant formula milk, cars, sheep, furniture, people with their luggage, and being the only artificial lung allowing the people of Gaza to breath, they are costly in many ways.
Firstly, in human lives. More than 200 Gazans have died because of accidents. No later than last week, during our visit, a worker was killed and another was injured following the collapse of a tunnel in Rafah.
The risks inherent to this life line, as well as having to go to Cairo to obtain certain necessary products, renders the price almost prohibitive once on the Gazan market.
So much so that we were surprised to see go through the tunnels, objects of little value, such as an old dishevelled wooden desk, because a Gazan who studied in Egypt found that it was cheaper to bring furniture back rather than buy it in Gaza.
The « owners » of tunnels are the only ones to make a profit doing this and enables them to get rich quickly. But the government wants to stop this situation as soon as possible and has asked the new Egyptian government to establish of a free trade zone for all goods between the two countries.
In the meantime, women, men and children in Gaza suffer, in a inhumane and unjust way. We must not ignore this.
It’s true that nobody literally dies of hunger, thanks to solidarity, and the Israeli war criminals who announced during Operation « Cast Lead », that they will send Gaza back to the Stone Age, have lost.
The resistance is alive and well, and can be seen every day and at all levels.
That is why a scientist like Suleiman Baraka, an astrophysicist who has been appointed Chairman of the Department of Astronomy, Astrophysics and Space Science at UNESCO (to the displeasure of the Zionists who protested in vain), chose to live and work in Gaza.
He welcomed us in his new house in Khan Yunis, where he and his family live very simply. His house, like those of all his brothers, was destroyed by Israeli bombing in late December 2008.
His son Ibrahim, 11, who was in the house, was killed by a phosphorus bomb dropped by a brave Israeli aircraft.
Suleiman Baraka was at that time in the United States for his work of international renown. He was invited by the U.S. government to settle in the United States with his family at the end of the bombing, to lead a more comfortable life and to continue his scientific work of utmost importance in a more serene environment.
But Suleiman declined the offer, explaining that Palestine was his country and he wanted to continue to live and work there whatever the difficulties.
So when Israeli propaganda asks us to « choose between civilisation and savages » (sic, see the posters in the New York metro), we must seriously ask who are savages and who are civilised.
Suleiman Baraka Prof. invites all those who wish to support research in astronomy, and in general, « all persons who have reason and a heart » to come to see for themselves in Gaza, the terrible consequences of the blockade, and act to have it lifted.
CAPJPO-EuroPalestine