Traversée de Khan Younes
Khan Younès [خان يونس] est un camp de réfugiés situé au cœur de la bande de Gaza.
Il regroupe aujourd’hui plusieurs centaines de milliers de Palestiniens.
Ce n’est pas le seul camp de réfugiés dans la bande : il y en a huit, dont les plus importants sont situés à Jabaliya (nord), Khan Younès (centre) et Rafah (sud). Tous sont gérés par l’UNRWA (l’office créé par l’ONU en 1949 pour gérer les conséquences dramatiques de son vote de 1947 prônant un partage de la Palestine).
Le samedi 29 décembre, nous allons le visiter en compagnie d’Attef dont la famille habite ce camp depuis près de 65 ans.
Ses deux grands-parents ont été chassés de leur terre en 1948. Ils sont venus se réfugier ici. Depuis, les différentes générations de la famille s’entassent sur le même petit lotissement : après la génération n°1 de la Nakba (1948), il y a la génération n°2 des Territoires occupés par Israël (1967), la génération n°3 de la première Intifada (1987) et maintenant la génération n°4 du retrait israéliens (2006).
« Dans le camp, la vie sociale est structurée par les familles qui se regroupent et habitent ensemble. Nous sommes de plus en plus nombreux sur cette petite superficie. Et maintenant que la quatrième génération se trouve en âge de se marier, la situation devient critique. Il n’y a plus de place. On ne va plus pouvoir les loger. C’est un problème. »
Nous parcourons en sa compagnie les ruelles du camp.
Tout est gris, gris de poussière. Il ne s’agit pas d’un bidonville : les maisons sont en dur, mais faites de matériaux disparates.
Ici aussi, les attaques israéliennes ont laissé des traces, éventrant des maisons, défonçant des rues.
Bien vite, à notre approche, des enfants, puis des femmes, enfin des hommes sortent des maisons.
Les enfants sont éclatants de joie et de rires. Les femmes brillent de couleurs d’autant plus vives qu’elles contrastent avec la grisaille du lieu. Tous nous adressent leurs sourires ; nous leur rendons le nôtre, un peu gênés de notre visite impromptue : nous savons que nous passons mais qu’ils demeurent.
Notre ami nous fait visiter un petit bâtiment sans étage, composé d’une cour intérieure et d’une salle, vide. Il nous explique : « C’est une salle commune, qui sert aux mariages, ou aux réunions collectives, par exemple pour régler les différends entre les gens. Quand on y vient, chacun apporte son siège, et des gâteaux. »
Puis nous rencontrons de plus en plus de monde jusqu’à atteindre la place centrale de Khan Younès, occupée par un marché animé et bordée par la forteresse turque de l’émir Younès (celui qui donne son nom à la ville). Nous rentrons dans la forteresse et atteignons une mosquée qui nous offre l’hospitalité (nous pérégrinons depuis le matin, et la nuit va bientôt tomber).
Cette traversée du camp, constituera pour beaucoup d’entre nous un moment-clef de notre voyage : nous y prenons mieux mesure de la persévérance du peuple palestinien faisant face à une série cumulative d’injustices et arrivant, malgré tout, à transmettre sur déjà quatre générations consécutives la flamme de la résistance, opiniâtre, courageuse.
Mieux : nous sentons que les gens rencontrés – notre ami, ceux de sa famille, les autres que nous avons croisés d’un regard – ont la dignité manifeste de gens qui vivent pleinement, fut-ce dans la misère et la détresse. Et je me dis : « Finalement, ce sont les Palestiniens qui vivent, intensément ; et ce sont les Israéliens qui ne font que survivre. Donc les Palestiniens ne peuvent, à terme, que l’emporter. »
Nous repartons, fiers d’avoir été accueillis par ces gens comme leurs égaux et conscients de la responsabilité qui nous incombe, de la mission qu’ils nous confient : témoigner, dans nos pays respectifs, qu’à Khan Younès, résistance rime avec existence, endurance et constance.
François Nicolas
(Photos prises par les participants à la mission)