Les mêmes qui ont soutenu le coup d’Etat militaire en Egypte se retrouvent désormais confrontés, à leur tour, à la répression de la dictature. Deux figures de la révolution égyptienne pourchassés par l’armée, et de nombreux autres militants « laïcs » en détention.. Compte-rendu du correspondant du Monde au Caire.
« Egypte : la justice ordonne l’arrestation de deux activistes
Un procureur égyptien a ordonné l’arrestation de deux figures de proue de la contestation en Egypte, dont l’un a joué un rôle actif dans le soulèvement populaire de 2011 ayant abouti au renversement d’Hosni Moubarak, a-t-on appris mercredi 27 novembre d’une source proche du parquet. Ahmed Maher, chef de file des jeunes du Mouvement du 6 avril, et le blogueur Alaa Abdel Fattah sont recherchés pour leur participation à une manifestation mardi devant le Parlement, en violation d’une nouvelle loi restreignant le droit de manifester.
Dimanche, le gouvernement mis en place par l’armée adoptait une loi obligeant les organisateurs à prévenir les autorités trois jours avant la tenue de leur rassemblement et réservant au ministère de l’intérieur le droit d’opposer son veto à tout rassemblement de plus de dix personnes.
Selon les organisations de défense des droits de l’homme, cette loi représente un recul en matière de respect des libertés publiques par rapport aux acquis de la « révolution du Nil » de 2011. Amnesty International a estimé qu’il s’agissait d’un « grave retour en arrière » donnant « carte blanche aux forces de sécurité pour utiliser une force excessive, notamment létale, contre les manifestants ».
Depuis dimanche donc, un nouveau front s’est ouvert, avec le mouvement laïc de la jeunesse, fer de lance de la révolte du début 2011, qui se lance dans la bataille. Et mercredi, les deux activistes Alaa Abdel Fattah et Ahmed Maher ont été les premiers à faire les frais de cette loi. Le procureur les accuse d’avoir « incité à manifester en contravention de la loi », selon l’agence officielle Mena.
Deux « manifestations illégales » ont eu lieu mardi dans la capitale égyptienne, l’une réclamant des sanctions pour les membres des forces de l’ordre ayant tué des manifestants, et l’autre tenue devant le Sénat où siège le comité chargé de réviser la Constitution, dénonçant le maintien d’un article autorisant les militaires à juger des civils.
A 16 heures devant le Sénat, ils étaient quelques centaines de manifestants présents quand un officier de police a lancé par mégaphone : « Cette manifestation sera dispersée en quatre minutes », rapporte Marion Guénard, notre correspondante au Caire, qui poursuit : « Il n’en faut pas plus. Les policiers ouvrent les canons à eau puis chargent les manifestants, arrêtent ceux qu’ils attrapent, leur assénant au passage des coups de matraque. Les autres prennent la fuite dans les rues adjacentes, sous une pluie de gaz lacrymogène. »
Outre MM. Abdel Fattah et Maher, 24 autres manifestants seront placés en détention dans le cadre de l’enquête sur ces deux manifestations, dans le premier incident au Caire depuis la promulgation de la loi. Mardi, une soixantaine de personnes au total avaient été arrêtées, dont la militante Mona Seif, qui avait lancé dès 2011 une « campagne contre les procès militaires de civils ». En signe de protestation, 10 des 50 membres de la Constituante suspendaient leurs travaux, menaçant le calendrier de la transition imposé par la feuille de route annoncée par l’armée le 3 juillet. Quelques heures après, Mme Seif était relâchée, avec 15 autres femmes au milieu de la nuit, sur une route désertique à une dizaine de kilomètres au sud du Caire.
Mercredi, la police a à nouveau dispersé à coup de grenades lacrymogènes une manifestation à Alexandrie, selon des responsables des services de sécurité, et d’autres militants hostiles à la nouvelle loi ont appelé à des manifestations dans l’après-midi dans le centre du Caire. Le gouvernement était pour sa part réuni pour examiner « les événements dans la rue » et « la mise en place de la loi sur les manifestations », rapportait l’agence de presse MENA.
Cette loi intervient sur fond de répression sanglante des partisans du président islamiste Mohamed Morsi destitué par l’armée début juillet. En l’adoptant, « le gouvernement s’est créé des ennemis dans son propre camp », estiment des experts. C’est l’avis de Hassan Nafaa, professeur de sciences politiques à l’université du Caire pour qui le pouvoir s’est aliéné « les vrais groupes révolutionnaires, comme le “6 Avril”, fondé par M. Maher, et d’autres mouvements à la pointe de la révolte de 2011 » qui avait chassé du pouvoir Hosni Moubarak. »
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2013/11/27/egypte-la-justice-ordonne-l-arrestation-de-deux-activistes_3521186_3212.html
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