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Retour de Palestine occupée, un citoyen suisse dénonce l’hypocrisie de son gouvernement

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Au terme d’un déplacement en Cisjordanie occupée, Carlo Baumgartner, ex-Conseiller municipal de la ville suisse de Meyrin, interpelle son gouvernement. Le journal genevois « Le Courrier » publie ci-dessous le réquisitoire implacable de Baumgartner, contre l’occupant israélien et ses complices.


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Meyrin, le 8 décembre 2013
Lettre ouverte à Monsieur Didier Burkhalter

Chef du Département fédéral des Affaires étrangères
Président de la Confédération suisse pour 2014
Palais fédéral ouest
3003 Berne

Un voyage révélateur en Palestine.
Monsieur le Conseiller fédéral,

A Naplouse, à la sortie d’une mosquée, un petit vieillard nous demande, si quelqu’un parmi notre petit groupe de touristes parlait l’espagnol. Il avait jadis vécu en Amérique latine. Curieux, je me suis approché.

Ce vénérable personnage m’a donc interpellé :
« On m’a dit que vous veniez de Suisse. Je me permets de solliciter votre aide. Le gouvernement suisse soutient Israël : il fournit d’une part des armes très sophistiquées à l’industrie d’armement israélienne et des munitions. D’autre part, il est un bon client et achète entre autres des drones à Israël. Ainsi, il participe activement au développement de la force de frappe de l’armée israélienne.

« S’il vous plaît : interpellez votre Gouvernement, car ces armes sophistiquées sont destinées à nous (Palestiniens) asphyxier, à nous anéantir (il fit le geste d’un égorgé), à nous chasser de nos terres. Dites à votre gouvernement qu’il ne peut pas, sous couvert de neutralité, participer activement à la destruction du peuple palestinien. »

Durant notre voyage en Palestine, nous avons pu constater l’impact horrible des méfaits de l’occupant israélien.

Voici quelques observations que j’ai pu faire durant notre voyage :

D’abord le vécu d’un paysan de la Vallée du Jourdain :

Ce paysan reçoit du gouvernement israélien deux fois par mois de l’eau pompée de la nappe phréatique palestinienne. Cette eau appartient juridiquement aux Palestiniens. Mais Israël s’est accaparé cette eau d’une manière illégale, parfaitement contraire au droit international, et l’utilise exclusivement selon son bon vouloir. A travers une société israélienne ad hoc, il revend cette eau palestinienne aux Palestiniens, mais à un prix plus élevé que ce que paie un Israélien.

Evidemment, les deux livraisons d’eau fournies par mois au paysan que nous avons rencontré, ne suffisent ni à ses besoins personnels, ni à ceux de son agriculture. Il lui faut donc acheter de l’eau supplémentaire à la compagnie israélienne qui lui vend cette eau légalement, mais à un prix majoré par rapport à celui déjà surfait, vendu ordinairement aux Palestiniens.

On peut constater une grande perversité dans l’attitude de l’autorité militaire israélienne. S’il est légal d’acheter de l’eau à la compagnie israélienne, ni celle-ci ni le paysan palestinien n’ont le droit
de la transporter au domicile du paysan ! Que fait alors le paysan palestinien ? Il est pris à la gorge : pour cultiver sa terre, il a besoin d’eau. Donc, il va « légalement » l’acheter à la compagnie israélienne, puis la transporter « illégalement » dans son domaine.

Mais l’armée israélienne s’amuse alors d’une manière sadique (ce qui est manifestement prévu) au détriment du paysan palestinien, en l’arrêtant lors du transport de cette eau, lorsque l’envie la prend. Selon le paysan, l’arrestation a lieu en moyenne une fois sur dix.

L’arrestation se déroule toujours selon le même schéma :
• L’armée arrête le paysan arbitrairement et fait venir une dépanneuse pour transporter le tracteur (qui est bien sûr en état de fonctionner), son char et le récipient d’eau sur un dépôt « israélien ».
• Elle lui confisque l’eau achetée, sans dédommagement.
• C’est le paysan qui doit alors payer les frais pour la dépanneuse.
• Elle confisque en plus le tracteur, le char et le récipient pendant six semaines et fait payer un 
droit de dépôt important. Peut-on imaginer les conséquences pour le paysan, privé de son tracteur et d’eau pendant six semaines ? 
En Cisjordanie – territoire palestinien – les colons israéliens qui y vivent illégalement ont droit à 80% de l’eau palestinienne. Les 20% restants sont « accordés » aux Palestiniens. 
Une telle attitude du gouvernement israélien a des conséquences désastreuses, mais voulues. Il veut se débarrasser des Palestiniens et les déposséder de leur terre pour agrandir le territoire d’Israël.

En 1967, 320.000 Palestiniens vivaient dans la Vallée du Jourdain. Aujourd’hui, ils sont moins de 80.000 !! Il s’agit là d’une épuration ethnique caractérisée !


Une deuxième situation observée sur une colline en Cisjordanie, à la frontière de l’Etat d’Israël.

Un paysan nous mène sur un terrain où environ une douzaine de tas de pierres représentent les restes de maisons détruites par l’armée israélienne. 
Comme d’habitude, l’armée avait informé les propriétaires que leurs maisons allaient être détruites pour des « raisons stratégiques », sans préciser le sens de cette expression, ni le moment où la destruction aurait lieu. Un beau jour, elle a imposé un couvre-feu dans le village adjacent en y déployant des centaines de soldats.

Puis elle a complètement démoli les maisons, en utilisant des bulldozers. 
Le propriétaire d’une de ces maisons veut rentrer chez lui pendant les opérations, sans avoir eu préalablement connaissance des intentions des Israéliens. En voulant s’approcher de sa maison en train d’être détruite, il est abattu, et l’armée le laissera perdre son sang et mourir, sans lui porter secours.

Israël, par de tels procédés, veut démontrer son pouvoir, son arrogance et sa cruauté, dans le but d’inciter d’autres Palestiniens à abandonner leurs terres, puisqu’une « terre abandonnée » est alors confisquée automatiquement par Israël.


De cette même colline, on aperçoit un stade de football en construction, grâce à un financement de l’Union européenne. « Pour des raisons stratégiques », l’armée a toutefois ordonné l’interruption de la construction bien avancée de ce stade. Ainsi l’argent dépensé par l’Union européenne a été gaspillé, d’ailleurs sans grande protestation de celle-ci. Les villageois, eux, sont privés d’un équipement sportif. 
Notre paysan-guide nous montre son domaine proche de la colline où nous étions. En 1967, il cultivait 3,2 hectares de terre. Aujourd’hui il lui reste 1,3 hectare, Israël s’étant accaparé les 1,9 hectare restants, en érigeant le mur traversant sa propriété. Malgré cela, ce paysan courageux se bat et a développé entretemps une agriculture bio exemplaire.

Son domaine actuel est entouré sur trois côtés, d’une part, par le mur de la honte, et par deux murs le séparant d’un complexe industriel regroupant 11 unités de fabrication chimique hautement toxique : engrais etc.

Ce complexe était, à l’origine, situé en Israël, mais sous pression des habitants israéliens, qui dénonçaient le danger lié à cette industrie, il a été transféré sur son emplacement actuel.

Sous l’effet des vents de la mer, les nuages toxiques sont désormais portés en direction des villages palestiniens de Cisjordanie. Si une plainte des habitants palestiniens a été acceptée par un tribunal israélien, ce jugement est resté sans effets, et les Palestiniens sont toujours victimes de ces nuages toxiques.

Le mur de séparation

Durant notre voyage, en nous déplaçant sur quelques collines du Grand-Jérusalem, nous nous sommes demandé, à quoi pouvait bien servir ce mur d’une longueur d’environ 850 km, érigé par Israël. Ce que nos journaux nous racontent ne correspond absolument pas à la réalité. Il ne protège point Israël d’attaques palestiniennes.

La preuve: 600 Palestiniens traversent ce mur quotidiennement, illégalement, soit pour aller travailler, soit pour se faire soigner à l’hôpital, soit pour visiter des membres de leur famille, séparés par le mur.

Ils escaladent ce mur ou creusent des tunnels par-dessous. (Beaucoup d’autres Palestiniens traversent par ailleurs les check-points tous les jours, mais avec une autorisation israélienne.)

Si l’on observe le tracé du mur dans cette région, on se rend compte qu’il préfigure les futures frontières conçues par Israël. Le mur étant en grande partie constitué de plaques en béton mobiles, il pourra donc être déplacé en fonction des « besoins stratégiques » israéliens, dans le but d’agrandir le territoire sioniste, de satisfaire des intentions d’expansion clairement proclamées.

Les autorités israéliennes ont déjà exproprié plus d’un tiers de la partie est de Jérusalem, aussitôt confisqué et déclaré « territoire de l’Etat ». En raison du mur de séparation, le tracé annexe de facto près de 10% du territoire de Cisjordanie et maintient 60% de sa superficie sous le contrôle total d’Israël, en zone C, alors que ce territoire appartient théoriquement aux Palestiniens. (1)

Un autre exemple qui m’a frappé durant notre voyage : un enfant de 12 ans qui avait jeté une pierre contre des soldats de l’armée israélienne a été arrêté, puis les soldats lui ont brisé la main « coupable », comme au moyen âge.

Dans son édition du vendredi 6 décembre 2013, le journal israélien Haaretz titre : « Antar Shibli al- Aqraa » (qui voulait se marier 15 jours plus tard), abattu comme un chien : L’abominable meurtre d’un ouvrier palestinien illégal » (3).

Voilà quelques exemples parmi beaucoup d’autres de ce que nous avons pu observer lors de notre voyage en Cisjordanie ou lire dans la presse. Je pourrais énumérer bien d’autres situations qui illustrent la cruauté permanente de l’Etat colonisateur.

Le gouvernement israélien «négocie sous la pression internationale, mais, dans les faits, il « négocie » pour gagner du temps, pour réaliser son expansion territoriale.

Israël a déjà œuvré avec succès pour rendre la solution de deux Etats impraticable, en créant une situation d’apartheid, la Cisjordanie n’étant en réalité plus qu’un archipel de petits ilots. (2) Le monde occidental a toléré cette expansion territoriale.

D’autre part, le Gouvernement israélien n’envisage nullement de créer un « état démocratique, indépendant, d’un seul tenant et viable » (4), rendant possible – comme dans un Etat moderne – une coexistence multiethnique, englobant aussi toutes les religions dont le berceau se trouve précisément au Moyen-Orient. Un Etat qui ne serait donc pas exclusivement juif.

Alors que faire ?

Cinq questions.
• Pour revenir au questionnement du vieillard : Le Conseil fédéral peut-il s’accommoder de telles pratiques et collaborer militairement et économiquement avec Israël? Peut-il s’accommoder de l’impunité totale dont jouit Israël, alors que celui-ci ne respecte ni le droit international, ni les droits et les devoirs de l’occupant, pourtant stipulés par les conventions internationales ou celles de Genève dont la Suisse est garant ?
• En 2002, votre Département, sous la direction de Madame Calmy-Rey, tentait de trouver une solution équitable au problème israélo-palestinien, en lançant courageusement « L’initiative de Genève ». Votre Département a-t-il entretemps choisi de renoncer à sa vocation pacifique, à l’esprit de Genève ? Se range-t-il désormais totalement du côté de la machine de guerre high-tech israélienne et de l’occupant israélien ?
• L’Assemblée générale de l’ONU a décrété le 26 novembre 2013, par 110 voix, 56 abstentions et 7 voix opposées (Israël, USA, Australie, Canada et trois pays inféodés : les Iles Marshall, la Micronésie et Palaos : « L’année internationale de la solidarité avec le peuple palestinien. » Hélas, la Suisse s’est abstenue. Est-ce à dire que la Suisse se désolidarise désormais du peuple palestinien ?
• Selon le rapport Goldstone, rédigé à la demande du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Israël a été formellement accusé de « crimes de guerre et de crimes contre l’humanité ». Israël qui a refusé de collaborer avec la Commission Goldstone, a tenté de réfuter après-coup ces accusations, entre autres, en mettant le juge Goldstone, juif de religion, sous d’énormes pressions. Celui-ci s’est très partiellement rétracté. Par contre, les trois autres membres de ladite Commission ont résisté et ont confirmé les accusations contenues dans le rapport. Comment votre Département peut-il se taire face à ces crimes ? En tolérant de tels crimes, ne devient-il pas coresponsable de la souffrance du peuple palestinien ?
• Depuis notre séjour en Cisjordanie, Israël qui détient aussi le monopole de l’électricité, coupe celle-ci à Gaza, pendant 18 heures par jour. De ce fait (entre autres), les installations de pompage d’eau sale ne fonctionnent plus. L’eau sale se répand ainsi dans les rues de Gaza et représente une menace médicale énorme. Comment le Gouvernement suisse peut-il rester neutre face à de telles actions ?

Conclusions : 
Actuellement, Israël, après l’accord concernant l’Iran, est plus isolé que jamais. Au point, où Nétanyahou réfléchit à de nouvelles alliances. Les critiques au sein d’Israël même se font vives. Exemple : Haaretz déclarait le 6 décembre 2013 que Yuval Diskin, ancien chef du Shin Bet, avait raison d’affirmer que le conflit avec les Palestiniens était plus dangereux pour Israël qu’un Iran nucléaire et qu’il fallait maintenant un accord. 
Lors des cérémonies célébrées en l’honneur du dixième anniversaire de « l’Initiative de Genève », Diskin affirmait encore (cité par Haaretz le même jour) : « Je voudrais être sûr que notre pays possède des frontières clairement définies…. » Il ajoutait : « Je veux une patrie qui ne présuppose pas l’occupation d’un autre peuple pour pouvoir survivre. » (2) 
Je rêve d’un Gouvernement suisse qui profiterait de cette toute nouvelle situation pour lancer une « Initiative 2 de Genève » et qu’il se souvienne de la vocation humanitaire de la Suisse. 
Il est heureux que nous Suisses puissions interpeller nos responsables gouvernementaux directement, lorsque de graves problèmes de conscience se posent, problèmes politiques qui exigeraient des solutions équitables, vivables. Je veux bénéficier de cette liberté et je vous remercie à l’avance de vos réponses.

Veuillez agréer, Monsieur le Conseiller fédéral, l’expression de mes sentiments sincères.

Copie à quelques médias et quelques personnalités.

1) Selon Le Monde diplomatique de novembre 2013.
2) Cf. l’Humanitarian Atlas, publié par OCHA oPT.
3) Traduction libre de ma part.
4) Définition de l’Union européenne.

CAPJPO-EuroPalestine

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