Des milliers de familles, à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, tremblent pour leurs enfants, mais elles sont en même temps fières de voir la jeune génération montrer, par son action collective,l’exaspération de tout un peuple, écrit la journaliste israélienne Amira Hass, du quotidien Haaretz.
Voici son analyse (traduction CAPJPO-EuroPalestine)
Oui, c’est par dizaines de milliers que les familles palestiniennes de Jérusalem et de Cisjordanie vivent dans la peur de voir leurs enfants tués, blessés ou arrêtés en s’opposant à l’armée israélienne, ou en tentant de mener des attaques solitaires.
Quand les enfants quittent le domicile familial le matin, leurs parents ne savent s’ils prennent vraiment le chemin de l’école, ou s’ils ont rendez-vous avec des amis, ou bien s’ils vont manifester à un check-point de l’armée, ou encore s’ils projettent d’attaquer un Israélien avec un couteau.
Tout comme les services secrets israéliens et palestiniens, les parents sont stupéfaits par le mouvement de masse spontané et non organisé de la jeune génération, et des risques qu’elle prend.
Les familles savent aussi qu’elles mêmes peuvent devenir un objet de la répression, et qu’avec la politique de châtiments collectifs, l’armée israélienne peut démolir leur maison, la saisir, expulser un ou plusieurs de ses membres de Jérusalem, les mettre en prison, et les soumettre à un harcèlement sans fin du Shin Bet.
Pourtant, il apparaît que le feu vert donné par Netanyahou pour tirer sur les manifestants et appliquer systématiquement des punitions collectives, n’a à ce jour dissuadé, ni les « loups solitaires », ni ces milliers de jeunes qui vont aux check-points, défiant tant le sort que les soldats.
L’une des « hypothèses » des appareils de sécurité israéliens et palestiniens est que les jeunes menant des attaques solitaires sont influencés par les réseaux sociaux. C’est sans doute vrai. Mais ils sont aussi influencés par toutes ces vidéos, dont certaines apparaissent en premier lieu sur des sites israéliens, et qui illustrent la violence constante exercée contre les Palestiniens.
Ceux qui parlent d’incitation sous-estiment l’impact des images montrant les soldats israéliens tuant des civils.
Prenons le cas d’Ahmed Khatatbeh, de Beit Furik (nord de la Cisjordanie), et celui de Hadil Hashlamun d’Hébron (sud de la Cisjordanie).
L’armée israélienne a prétendu qu’ils ont été abattus parce qu’ils avaient attaqué des soldats israéliens.
Mais les enquêtes journalistes ont montré que ces allégations étaient fausses : il n’y avait pas eu attaque.
Prenons aussi le cas de Fadi Alloun, d’Issawiyah (Jérusalem), dimanche dernier.
La police a affirmé qu’il venait de poignarder un juif, et qu’il avait par conséquent été abattu. Mais une vidéo Youtube publié par des sites israéliens montre très clairement que, quand bien même il venait de perpétrer une attaque au couteau, il ne menaçait l’intégrité de personne au moment où il a été abattu par un tir de cinq ou six balles. La vidéo montre aussi que les policiers ont obéi à l’injonction de tuer criée par des jeunes juifs, alors que les policiers eux-mêmes n’avaient aucune idée de ce qu’Alloun avait fait ou pas fait.
Les vidéos sont un combustible, qui enflamment la situation, mais elles ne sont pas la cause de la situation.
Chaque famille craignant pour la vie de ses fils et de ses filles, mais elles ne peuvent réprimer la fierté de les voir relever la tête, et crier collectivement : « Y’en a marre de l’occupation ».
La génération perdue des accords d’Oslo des années 1990 « en a marre » de ne pas voir l’Etat indépendant qu’on leur avait promis, ils n’ont pas d’organisation politique capable de leur donner des perspectives, ils n’ont pas d’espoir de trouver un emploi correct, et que les colonies exercent une pression de plus en plus insupportable.
Il y a une différence de taille entre les « loups solitaires » et les milliers de jeunes qui partent affronter l’armée aux check-points.
Le « loup solitaire », est plongé dans une solitude absolue, qui l’a conduit dans les abymes du désespoir. Les affrontements aux check-points, et cela vaut pour toute action collective, sont des rassemblements où les participants, en dépit des risques consciemment encourus, croient quelque part qu’ils peuvent influencer le cours des choses.
Les porte-paroles palestiniens insistent pour ne pas qualifier le mouvement d’Intifada, et préfèrent parler de réaction populaire. Une « Intifada », dans l’acception que retiennent les Palestiniens, est un soulèvement organisé, s’assignant des objectifs clairement identifiés, et disposant d’une direction reconnue et acceptée. On en est loin aujourd’hui.
PENDANT CE TEMPS, ABBAS FAIT LA FETE
Le Fatah, en pleine désintégration, ne peut diriger la révolte, et la transformer en soulèvement. Ses dirigeants ont appelé à ne pas recourir aux armes à feu lors des manifestations, ce qui ne ferait que servir les intérêts d’Israël, ont-ils dit.
Le Hamas, organisation réduite à une semi-clandestinité en Cisjordanie, ne peut pas, et il est possible qu’il n’oserait pas y recourir, bien que le bloc Islamique, sa représentation officieuse dans les universités, ait appelé ses sympathisants à rejoindre la lutte.
Et le Président Mahmoud Abbas ? Il y a quelques jours, alors que les victimes de la répression commençaient à être vraiment nombreuses, Abbas a trouvé le temps d’aller inaugurer en grande pompe les luxueux bureaux d’une entreprise de promotion immobilière, Consolidated Contractors Company, à El Bireh. C’est-à-dire à deux kilomètres à peine du point le plus chaud des manifestations, le check-point de Beit El.
Abbas fait mine de considérer que la situation est normale. Il a peut-être des infos que les jeunes manifestants n’ont pas. Mais le fait qu’il ait trouvé le temps pour l’inauguration de l’entreprise prouve qu’il est coupé de son peuple. La réalité, c’est qu’il n’a ni le pouvoir, ni l’autorité pour dissuader la génération perdue d’Oslo de marcher aux check-points : et le cri qu’ils poussent, « Y’en a marre », vaut aussi pour Mahmoud Abbas.
Source : http://www.haaretz.com/misc/article-print-page/.premium-1.679758
CAPJPO-EuroPalestine