Après des années de galère à Gaza, en Libye, puis en France à partir de 2007, Shadi Al-Zaqzouq commence enfin à jouir d’une reconnaissance dans les milieux artistiques internationaux, où ses oeuvres rebelles ne passent pas inaperçues. Pourtant, il a du mal à exposer en France, où son travail est jugé « trop engagé politiquement »… et il est censuré dans bon nombre de pays arabes pour indépendance d’esprit. Mais Shadi Zaqzouq ne fait pas de concessions, et il l’a montré encore récemment, en refusant d’exposer à côté de peintres israéliens lors de Dismaland, le fameux événement organisé par Bansky en Angleterre. Interview par EuroPalestine.
Shadi Zaqzouq est né en 1981 en Libye, de parents palestiniens, enseignants, étant venus chercher du travail dans ce pays . Il est revenu en 1998 à Gaza avec sa mère, mais sans père, né au Caire dans une famille de réfugiés palestiniens natifs de Jaffa, qui n’avait pas le droit de retourner en Palestine.
« Je connaissais déjà Gaza, car pour renouveler notre titre de séjour en Libye, nous devions y retourner tous les deux ans. J’y allais aussi en vacances avec ma mère pour voir la famille.
L’âge de 17 ans, j’ai continué mes études à Gaz et je suis allé au Collège de Musique de Deir El Balah (au contre de la bande de Gaza) car, à l’époque, je jouais de la guitare classique. J’ai ensuite enseigné la musique pendant 5 ans dans 4 écoles différentes à Gaza.
J’étudiais parallèlement la peinture à la maison, tout seul, dans notre grenier. En 2003, j’ai participé à un concours de peinture à Ramallah, en présentant « Ligne Rouge », 60 cartons exposés sur un mur qui forment eux-même un mur qui symbolise le mur de l’Apartheid.
rappelle le mur de Palestine. Et j’ai gagné le droit de faire un séjour à la Cité Internationale des Arts de Paris en février 2007. Un droit de résidence avec une bourse, valables 6 mois.
J’ai tenté de rentrer ensuite aux Beaux-Arts de Paris, et dans d’autres écoles d’art, mais on me disait à chaque fois que mon Français n’était pas assez bon, alors que je voyais des étudiants chinois, qui ne parlaient pas du tout le Français, acceptés.
J’ai passé une période difficile , étranger, arabe, sans papiers, sans statut. Face au déclenchement de la guerre civile entre le Hamas et le Fatah, je n’avais pas envie de retourner à Gaza.
Jusqu’au jour où j’ai trouvé un professeur d’origine tunisienne à l’Université Paris 8 de Saint-Denis qui a accepté de me prendre comme étudiant dans sa classe de philosophie, ce qui m’a donné accès à une carte de dé séjour d’étudiant. Cet enseignant auquel je dois beaucoup m’a ensuite aidé à passer au département d’Arts Plastiques à Paris 8.
– Et maintenant vous travaillez à plein temps dans votre atelier ?
Oui en banlieue parisienne, où je me suis marié et j’ai fondé une famille. Mais cela fait 9 ans que je n’ai pas pu voir mes frères !
– Pourquoi dites-vous qu’en France, « Il est facile de créer, mais pas de montrer ce qu’on fait » ?
Ma peinture n’est pas toujours bien acceptée, car elle donne le sentiment que je ris du malheur. Or ma vision des choses c’est que notre tragédie est telle, et l’injustice si énorme, que cela en devient grotesque.
Exemple : on nous interdit de mettre les pieds à Jérusalem, alors je nous représente comme des taupes dans ce tableau en cours de réalisation. (Voir ci-dessus)
C’est comme lorsqu’on me dit « Pourquoi tuez-vous tus les juifs ? » . Cela m’énerve tellement que la réponse ne peut être que surréaliste et grotesque.
« Rock me all night long »
Et en tant que Palestinien, je travaille sur notre fierté et la nécessité de balayer certaines choses pour pouvoir avoir le droit d’être fiers, libres et forts, à commencer par l’acceptation des différences culturelles, religieuses, et de la nouveauté en général.
– C’est pour cela que vous peignez des musulmans punks ?
Oui, c’est comme cela que je me sens, et pas comme on a l’habitude de représenter les musulmans. On peut être beaucoup de choses à la fois et je déteste les ghettos à l’intérieur desquels on voudrait nous enfermer.
« God bless Bansky »
En France, on me trouve trop engagé, trop réaliste, pas assez « intello abstrait ». Dans les pays arabes, à l’exception du Liban, je suis censuré. Lors du « Printemps arabe », ma toile « Dégage ! » notamment a fait scandale :
« Après lavage »
Mais je ne suis pas que Palestinien et je ne supporte pas qu’on veuille me réduire à une seule identité. Je suis également beaucoup d’autres choses. A l’intérieur de moi, c’est comme une tente…Et je trouve dommage qu’on m’invite essentiellement à montrer mon travail dans le cadre d’expositions qui ont pour thème Palestine/Israel.
« Inside me a tent »
– Vous ne regrettez pas d’avoir fait un scandale lors de l’exposition de Bansky, quand vous avez découvert que vous tableaux étaient placés à côté de ceux de peintres israéliens ?
J’ai beaucoup d’admiration pour Bansky, qui est un grand artiste engagé et je luis suis reconnaissant de m’avoir invité à exposer dans ce qui a été un événement planétaire et m’a permis de sortir de l’anonymat.. Après cette expo, j’ai été invité à exposer dans plusieurs pays, j’ai plus de 7000 contacts sur ma page Facebook, on parle de moi sur google, et je commence enfin à pouvoir vivre de mon travail.
Mais je ne sais pas ce qu’il lui a pris de placer mes toiles à côté de celles de 3 peintres israéliens — qui n’étaient en rien des opposants à la politique israélienne. A-il voulu me tester ?
En tout cas, il était évident pour moi de refuser toute forme de normalisation avec l’occupant israélien. C’est pourquoi j’ai recouvert mes toiles d’un grand drap. Un geste qui a fait à la fois scandale et a, en même temps fait parler de la situation des Palestiniens et de la nécessité du boycott culturel, tant que nous serons sous occupation, colonisés, et privés de nos droits les plus fondamentaux.
CAPJPO-EuroPalestine