Assia Zaino nous présentera jeudi soir 17 novembre le livre-enquête qu’elle vient de publier aux éditions Agone : une série de témoignages et d’analyses inédits et très instructifs sur l’évolution de l’organisation des prisonniers palestiniens, de leurs conditions de détention et de leurs revendications, à l’intérieur des prisons israéliennes de 1970 à nos jours.
Depuis plusieurs années, le village palestinien de Nabi Saleh, au nord de Ramallah, lutte contre l’occupation de ses terres par la colonie israélienne voisine – et fait face héroïquement à une politique d’arrestations massives sans parler des blessés et des morts, y compris lors de manifestations non violentes.
Pendant des mois, Assia Zaino* a partagé la vie et le combat des habitants du village, manifestant avec eux chaque semaine, subissant les raids de nuit. Anciens prisonniers et familles de détenus lui ont raconté leur vécu de la prison, et leur manière de positiver l’expérience de la détention, de donner du sens aux sacrifices et aux traumatismes vécus.
Selon qu’ils ont été emprisonnés avant ou après les accords d’Oslo, selon qu’ils sont issus du Fatah ou du Hamas, qu’ils ont été arrêtés enfants, adolescents ou adultes, qu’ils subissent de longues peines ou des emprisonnements à répétion, leurs récits diffèrent, bien entendu.
Mais, prisons dans le désert, avec 5 toilettes et 2 douches pour 700 personnes, ou dans des souterrains où ne perce jamais la lueur du jour, la solidarité et la fraternité entre les prisonniers sont impressionnantes.
Ils s’entraident, racontent comment ils se préparent aux méthodes d’interrogatoire, de chantage et de torture, ainsi qu’ à l’infiltration de collaborateurs. Les femmes prisonnières doivent en plus affronter les doutes inhérents aux violences qu’une femme peut subir en prison : le harcèlement, le viol…
– « Les Israéliens connaissent les tabous de notre culture, et ils les exploitent. Ils harcèlent les femmes pendant l’interrogatoire pour faire pression et les forcer à parler. « , raconte Ahlam.
Les prisonniers interviewés décrivent aussi leurs moments les plus difficiles, comme pendant les accords d’Oslo :
– « À l’époque, le moral n’était pas au plus haut : les prisonniers se sentaient trahis. Tout le monde sait que, lorsqu’il y a des accords de paix entre deux pays, la libération de tous les prisonniers de guerre des deux côtés est une condition fondamentale. Mais les négociateurs palestiniens nous avaient oubliés ! Nous avons passé vingt ans de plus en prison à cause de la faiblesse des négociateurs palestiniens, de leur manque d’intérêt et d’investissement pour les prisonniers. Si au moins ils avaient demandé notre libération, au nom du droit international, comme condition préalable aux négociations… mais ils ne l’ont pas fait. » constatent plusieurs d’entre eux, pourtant du Fatah.
Certains déplorent également les marques de la « société de consommation » à l’intérieur des prisons :
– « Aujourd’hui, les jeunes qui arrivent, au lieu d’étudier et de participer aux assemblées, regardent la télé ; à la radio ils suivent le Real Madrid au lieu de l’actualité politique… »
Ils décrivent très bien le système d’interrelations, de contacts entre la prison et la société extérieure.
Les femmes prisonnières expliquent notamment que, malgré toutes les épreuves subies en prison, c’est leur vie à l’extérieur, quand elles ont la charge de toute la famille, leur mari ou leurs fils étant détenus, qu’elles ont le plus souffert.
– « J’ai connu la détention, les arrestations, l’interrogatoire. Même si c’étaient des moments très éprouvants, ça a sûrement été des expériences beaucoup plus faciles au regard de ce que je dois affronter – et que doit affronter ma famille – chaque fois qu’ils arrêtent mon mari. « , dit Narriman.
– « Et je ne peux pas céder. Car si la femme, si la mère palestinienne se rend, c’est toute la société qui s’écroule. La femme est le pilier de la société palestinienne, la racine et le symbole du soumoud pour la cause.
Narriman et Rana
Pourtant elles expriment leurs doutes face à l’arrestation de leurs enfants :
– » Je ne sais pas, j’ai des sentiments contradictoires : je suis fière de leur soumoud, de leur capacité à résister à tout ce qu’ils subissent, du fait qu’ils ne se perçoivent pas que comme des victimes, mais en même temps, je me demande pourquoi, je ne veux pas que mes enfants soient obligés d’être si forts, qu’ils voient la prison comme quelque chose de normal, de naturel, qu’ils imaginent parfois un avenir de prison et de lutte. Ce n’est pas naturel, enfin, ça ne devrait pas l’être. «
Les hommes aussi soulignent des contradictions difficiles à vivre pour les prisonniers :
– « Idéalisés par les Palestiniens et méprisés par les Israéliens, nous vivons un processus de déshumanisation d’un côté comme de l’autre. », dit Saïd. « La société nous demande d’être des héros, sans faiblesse aucune. C’est comme s’il ne nous était pas permis de nous tromper, de commettre des fautes. Parfois, quand un détenu sort, il a des comportements différents, il reste influencé par sa vie en prison, et notre société devrait être plus compréhensive envers lui. »
Mais une détermination intacte :
– « Combattre pour la liberté soit transmise de génération en génération, c’est empêcher que mes enfants s’habituent à l’occupation, au manque de liberté, à une condition de victimes. »
, conclut Basim.
Et un appel qu’il faut entendre :
« Vous, les activistes, vous n’avez aucun rôle dans vos pays ni dans la communauté européenne. Vous venez – pas tous, évidemment, mais la plupart –, vous venez chez nous, vous mangez et dormez chez nous, vous découvrez des choses, vous vivez des expériences fortes, exotiques, nouvelles, vous pensez avoir fait quelque chose d’important et après, une fois rentrés, vous n’avez aucun rôle, vous n’arrivez pas à vous faire entendre par les gouvernements. Il faut faire plus.
* Née en Italie, Assia Zaino est venue en France pour faire un master en histoire du monde arabe à l’INALCO. Entre 2010 et 2015, elle a fait quatre séjours de plusieurs mois dans les Territoires occupés, en particulier, dans le village de Nabi Saleh.
VENEZ ET INVITEZ VOS AMIS A CETTE CONFÉRENCE DÉBAT EN PRÉSENCE D’ASSIA ZAINO :
JEUDI 17 NOVEMBRE A PARTIR DE 19 H
A LA LIBRAIRIE RÉSISTANCES
4 Villa Compoint (Angle du 40 rue Guy Môquet) – 75017 Paris
M° Guy Môquet ou Brochant. Ligne 13. Bus 31 : Arrêt Davy-Moines
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