« Lâcher prise sur la Ligne verte en ce moment serait une erreur grave, peut-être irréversible. Le caractère illégal des activités israéliennes dans le TPO conserve la faculté pour les Palestiniens de poursuivre Israël et les dirigeants israéliens devant les tribunaux internationaux et nationaux. C’est aussi un élément important dans le renforcement des efforts du mouvement de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS), créé et dirigé par la société civile palestinienne. », écrit Nadia Hijab, directrice exécutive d’Al-Shabaka, réseau politique palestinien Al-Shabaka*.
Nous publions de larges extraits de l’analyse de cette Palestinienne, qui n’oppose pas la solution à deux Etats à celle d’un seul Etat, mais souligne l’importance de ne pas lâcher prise sur la Ligne verte et l’illégalité des colonies, après le vote israélien pour l’annexion des territoires palestiniens occupés de Cisjordanie.
(…) En bref, Israël ne peut répéter la victoire initiale du mouvement sioniste avec la création d’un État en Palestine, incluant l’expansion des frontières de cet État bien au-delà de celles définies par le Plan de partition de 1947, sur lequel repose son existence. Israël est dans le mauvais siècle pour ce projet colonial.
La Ligne verte – la ligne d’armistice à la fin des combats entre les armées arabes et israéliennes en 1949 – est à la base du refus de la communauté internationale de légaliser l’occupation d’Israël car elle distingue ce que le monde considère comme l’État israélien, du territoire qu’il a occupé en 1967 et des actes illégaux qu’il y a commis.
Plus important, le statut du TPO, ce n’est pas une chose qui concerne uniquement le peuple palestinien : il concerne tout État exposé à une perte de territoire. Et la menace posée par les changements israéliens unilatéraux pour la stabilité de l’ordre mondial concerne l’Europe en particulier, qui a souffert de deux guerres mondiales.
C’est pourquoi la Résolution 2334 du Conseil de sécurité des Nations-Unies, votée le 23 décembre 2016, n’est pas importante seulement pour les Palestiniens : elle l’est pour l’ensemble de l’ordre de l’après-guerre, car elle réaffirme l’illégalité des colonies et l’application du droit international – notamment les lois régissant l’occupation militaire – au territoire occupé. Et c’est pour cela qu’Israël a été si en colère après la 2334 : sa capacité à effacer la Ligne verte en a pris un gros coup.
Bien que l’hypocrisie de la communauté internationale soit évidente dans sa façon de traiter très différemment l’occupation de la Palestine par Israël et l’occupation de la Crimée par la Russie, ces deux occupations ont comme base la même législation internationale.
Peut-être que la déclaration la plus importante nous venant de la nouvelle Administration US est celle de l’ambassadrice des USA aux Nations-Unies, Nikki Hayley, devant le Conseil de sécurité, à propos de la flambée de violences en Ukraine au début de ce mois. Elle a appelé à une cessation immédiate de l’occupation russe de la Crimée, et déclaré que les USA ne lèveront pas leurs sanctions contre la Russie tant que la Crimée ne sera pas rendue à l’Ukraine. Étant donné les mots chaleureux de Trump à propos de la Russie, la déclaration a été une surprise mais, sans aucun doute, elle a été bien accueillie par les Européens.
Lâcher prise sur la Ligne verte en ce moment serait une erreur grave, peut-être irréversible. Le caractère illégal des activités israéliennes dans le TPO conserve la faculté pour les Palestiniens de poursuivre Israël et les dirigeants israéliens devant les tribunaux internationaux et nationaux. C’est aussi un élément important dans le renforcement des efforts du mouvement de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS), créé et dirigé par la société civile palestinienne.
À ce jour, les efforts visant l’État n’ont eu qu’un succès modeste parce qu’Israël s’est positionné comme précieux pour la communauté internationale dans les domaines du commerce, du développement des armes, et de la géopolitique. La révélation de l’intention véritable des dirigeants israéliens, concernant l’acquisition permanente du TPO par la force, rend le moment opportun pour une pression concertée par l’OLP/Palestine pour, au minimum, obtenir l’interdiction totale des produits des colonies et la fin des relations avec l’État israélien et les organismes du secteur privé, telles que les banques, qui financent les colonies de peuplement.
La Ligne verte n’entre pas dans l’opposition un État contre deux États
La Ligne verte est considérée comme la frontière sur laquelle reposerait une solution à deux États. Pourtant, arguer que les Palestiniens ne doivent pas laisser tomber la Ligne verte, ce n’est pas se déclarer comme partisan d’un résultat politique avec une solution à deux États. En revanche, c’est un argument pour utiliser toutes les sources possibles et efficaces d’une force disponible, sans renoncer aux droits inaliénables des Palestiniens.
Il est important de plaider cette cause à présent, car les voix sont plus nombreuses chez les Palestiniens et dans le mouvement de solidarité avec la Palestine à demander de changer le but politique des Palestiniens, d’une solution à deux États vers une solution à un seul État, ou vers une lutte pour les droits civils. Ces voix vont probablement devenir plus fortes à l’approche de l’anniversaire de la 50e année d’occupation en juin prochain, avec les Palestiniens qui, tant en Israël que dans les TPO, sont confrontés aux menaces israéliennes les plus draconiennes pour leur existence sur leur terre depuis le début de l’occupation.
Il est naturel qu’un peuple en quête de ses droits nationaux et humains, et ses alliés, veuillent la clarté et l’unité sur le but politique final. En outre, la fissure croissante entre ceux qui plaident pour un État ou une lutte pour les droits civils, dont beaucoup sont des militants palestiniens et de leurs sympathisants populaires, d’un côté, et ceux qui sont favorables à deux États de l’autre, dont beaucoup sont des dirigeants et hommes d’affaires palestiniens (aussi bien que les sionistes libéraux), cette fissure a nui à la capacité des Palestiniens à s’unir autour d’une action collective.
Malheureusement, parvenir à la clarté du corps politique palestinien sur l’objectif final n’est pas réalisable à ce stade. (…)
Le mouvement BDS se base sur le droit et non sur une « solution ». En ne se prononçant pas pour une issue politique finale, le mouvement peut mobiliser le plus grand nombre d’acteurs palestiniens et de la solidarité, encourageant chacun à agir à sa façon pour contester les violations du droit par Israël. Ils peuvent, en effet, se concentrer sur l’occupation et/ou sur les droits des citoyens palestiniens d’Israël, et/ou sur les droits des réfugiés palestiniens.
Beaucoup d’énergie est gaspillée sur la question de l’objectif final, une énergie qui serait mieux utilisée pour élaborer des stratégies spécifiques afin de mettre un coût sur l’occupation et les violations du droit par Israël.
Cela n’aurait aucun sens d’abandonner toutes les sources de pouvoir disponibles pour arrêter et faire reculer les actes illégaux d’Israël et promouvoir les droits des Palestiniens, y compris, et peut-être surtout, la Ligne verte. Les questions les plus immédiates sont dans la façon d’éviter les pièges à venir dans les négociations menées par l’Administration Trump, tout en tirant parti de l’objectif d’Israël de révéler ses véritables intentions à l’endroit du TPO, d’une manière qui rende impossible pour quiconque de fermer les yeux. (…)
L’un des principaux dangers est le désir de Trump de faire un « deal » sur la Palestine et Israël. Israël fera probablement monter la pression économique et militaire qu’il exerce sur les Palestiniens sous son occupation, et qui sont déjà sous très haute pression. En outre, la démarche de l’Administration Trump pèse déjà lourdement sur les Palestiniens avec la nomination du partisan des colons par excellence, David Friedman, au poste d’ambassadeur US.
Le défi ici est de réfléchir à la façon dont l’OLP/Palestine peut résister à cette poussée, avec le soutien (et la pression) des citoyens palestiniens d’Israël et le soutien international, et quelles stratégies elle peut adopter pour qu’elle n’apparaisse pas comme un « partisan du refus », qu’elle ne s’écroule pas sous la pression (notamment des États arabes), et qu’elle puisse exercer une contre-pression. En interne aussi, elle doit trouver les moyens de supprimer peu à peu toute coordination sur la sécurité avec Israël. (…)
La mobilisation de vastes secteurs de la société civile américaine sur les droits des immigrés, la santé et l’éducation, et contre le racisme et la discrimination, pourrait changer radicalement la composition du Congrès lors des prochaines élections, passant des Républicains au Parti démocrate. Et les forces progressistes comme celles qui soutiennent la cause palestinienne – soutenant notamment des sanctions contre Israël – grandissent au sein du Parti démocrate.
L’Europe, l’autre grande arène, est aussi préoccupée. L’UE fait face au retrait de la Grande-Bretagne, aux menaces d’élections de dirigeants d’extrême-droite dans des pays clés, et à l’imprévisibilité de la nouvelle Administration américaine. Mais les Européens craignent aussi un affaiblissement de l’ordre mondial, et les actions d’Israël peuvent fournir l’occasion pour la société civile de faire pression sur leurs gouvernements afin qu’ils prennent leurs responsabilités et mettent fin à leurs relations avec les entités israéliennes qui fonctionnent au-delà de la Ligne verte, ou qu’ils envisagent les mêmes sanctions qui sont appliquées contre la Russie après son occupation de la Crimée.
L’OLP/Palestine a évolué sur des fronts qui peuvent être, et qui sont, mis en avant plus efficacement, tels que l’adhésion de la Palestine à la Cour pénale internationale (CPI), et son engagement auprès du Conseil des droits de l’homme, incluant la décision du Conseil de créer une base de données de toutes les entreprises engagées dans une activité illégale dans le TPO. Ces points d’entrée peuvent aussi être utilisés par les organisations palestiniennes de défense des droits de l’homme qui sont engagées directement avec la CPI et le Conseil des droits de l’homme, entre autres organisations internationales, en coordination avec ou par les activités de lobbying de l’OLP/Palestine.
Et l’adoption de la Résolution 2334 du Conseil de sécurité des Nations-Unies, malgré tous ses défauts, notamment le maintien de la coordination de sécurité avec Israël, va plus loin que les textes précédents des Nations-Unies en demandant à « tous les États » de « faire la distinction dans leurs relations » entre territoire israélien et territoire occupé en 1967.
C’est pourquoi Israël lutte durement contre cette résolution, notamment au niveau de chaque État des États-Unis citant expressément la RCSNU 2334.(…)
La hâte de la droite israélienne à s’emparer du pouvoir en Israël et à terminer l’annexion de la Palestine va créer plus d’ouvertures pour l’action. Alors que la société civile américaine se mobilise contre Trump, c’est le moment de tenir ferme, de défendre les acquis, d’exploiter les opportunités, et de se prémunir contre les concessions. Et c’est le moment de s’accrocher à cette Ligne verte. »
Nadia Hijab
Nadia Hijab, directrice exécutive d’Al-Shabaka, réseau politique palestinien, dont elle est co-fondatrice en 2009, est basée aux Etats-Unis. Elle intervient fréquemment comme conférencière et commentatrice dans les médias, et maître de conférences à l’Institut des Études palestiniennes.
Texte intégral sur : http://www.agencemediapalestine.fr/blog/2017/02/17/ne-pas-lacher-prise-sur-la-ligne-verte-cest-le-talon-dachille-disrael/
*Source et traduction : JPP pour L’Agence Media Palestine
Version originale : Al Shabaka
CAPJPO-EuroPalestine