L’Union Européenne publie d’un côté des directives contre la colonisation, et de l’autre, encourage cette dernière en intégrant dans ses programmes de recherche et développement une entreprise aussi coloniale que Mekorot, la compagnie israélienne des eaux. Ci-dessous l’article publié par Dominique Waroquiez, militante belge, à l’occasion de la Journée Internationale de l’eau, célébrée le 21 mars.
Eau palestinienne polluée par la colonie d’Ariel
« La journée internationale de l’eau 2017 et la société israélienne MEKOROT
Alors que le 21 mars était comme chaque année célébré comme « journée internationale de l’eau », nous avons tenté d’en savoir un peu plus au sujet des partenariats établis avec MEKOROT, la société israélienne de l’eau, dans le cadre de Horizon 2020 (le huitième programme-cadre européen qui organise le financement de projets de recherche et développement industriels).
Le premier exemple de consortium impliquant MEKOROT est coordonné par l’Université de Vérone. Il regroupe une trentaine de partenaires, dans le cadre du projet « SMART-Plant », un projet de station d’épuration de l’eau utilisant une technologie à basse empreinte carbone. Ce projet bénéficie de 7.536.300 euros de la part de l’UE pour un coût total de 9.768.806 euros, allant du 1er juin 2016 au 31 mai 2019.
Le deuxième exemple de consortium auquel participe MEKOROT, appelé AquaNES (www.aquanes-h2020.eu) consiste à créer des stations d’épuration dans plusieurs pays européens, en Inde et en Israël. Il bénéficie de 7.837.292 euros de fonds européens pour un coût total de 10.740.011 euros, et pour une période identique.
Or, cette coopération avec MEKOROT soulève un problème éthique important. C’est un exemple flagrant de l’hypocrisie des décideurs européens qui, tout en se lamentant face à la poursuite de la colonisation israélienne, ferment les yeux sur le rôle joué par la société nationale des eaux israélienne dans l’accaparement continu des eaux et des terres palestiniennes.
MEKOROT (www.mekorot.co.il) a été créée en 1937, pendant le mandat britannique (dix ans avant le plan de partition de la Palestine). Jusqu’en 1951, elle a été dirigée par un des fondateurs de la Histadrout (syndicat israélien), qui s’occupait de promouvoir l’agriculture irriguée et faisait partie du Haut commandement de la Haganah (groupe terroriste sioniste à l’époque mandataire) et qui occupera, après 1951, de nombreux postes au sein du gouvernement israélien (Ministre de l’agriculture et du développement, Ministre des finances , Ministre de la Défense …). (Article de Jacques Bude publié sur www.info-palestine.eu, le 19 janvier 2015 au sujet de l’accord Haavara).
Depuis qu’Israël s’est étendu sur la totalité de la Palestine mandataire en 1967, et qu’il s’est implanté dans les territoires occupés, MEKOROT exploite les aquifères palestiniens, continuant à jouer un rôle majeur dans la poursuite de la colonisation des terres palestiniennes – ce dont, bien entendu, elle se vante d’autant moins que la politique israélienne de l’eau est de plus en plus dénoncée (voir par exemple Trouble Waters, Rapport d’Amnesty International du 29 octobre 2009 ou encore les rapports de l’ONU publiés sur www.ohcr.org) et même décrite en terme d’apartheid.
A la veille des accords d’Oslo II, en 1995, alors que 75% de l’eau étaient captés en Cisjordanie (Palestine occupée), près de 80% étaient destinés à Israël, un « partage » inégal qui a été consolidé par la création (au départ pour cinq ans) du Joint Water Commitee (JWC). Celui-ci est présenté comme instance de co-décision (Israël-Autorité Palestinienne), mais il est en réalité dominé par Israël. C’est ainsi que les Palestiniens ne peuvent pas utiliser l’eau des aquifères cisjordaniens, creuser des puits ni même y accéder librement sans obtenir une permission du JWC. Israël dispose donc du droit de décision finale et peut refuser ce droit sous divers prétextes, notamment « sécuritaires » (proximité d’une colonie, du Mur, zone à « développer » …).
Alors que l’eau de Cisjordanie est utilisée en Israël et dans ses colonies pour approvisionner des piscines, enjoliver des parcs, des zones touristiques, irriguer des cultures intensives, les Palestiniens doivent l’acheter et la payer à Mekorot.
Et la consommation d’eau en Israël est de 330 litres par jour en moyenne par habitant, de 339 litres pour les colons et qu’elle descend jusqu’à 70 litres pour les Palestiniens des territoires occupés (notamment dans les zones villageoises de la Vallée du Jourdain). (Calculs qui tiennent compte de l’ensemble de l’eau utilisée, tant par les individus que les collectivités publiques, les industries et l’agriculture, et qui amènent l’OMS à estimer à 100 litres par jour le minimum sanitaire moyen par habitant).
Quant à l’Autorité Palestinienne, elle est contrainte de négocier le prix et la quantité d’eau dont elle pourra bénéficier avec le COGAT (acronyme de « Coordination des activités gouvernementales dans les Territoires »), un organisme dirigé par l’armée israélienne, qui contrôle les activités dans les territoires occupés.
Tout cela alors que pour les Palestiniens l’accès à l’eau en Cisjordanie et à Jérusalem-Est est d’autant plus compliqué que le territoire est morcelé en zones A,B,C depuis Oslo, qu’à l’Est la quasi totalité de la vallée du Jourdain (de plus en plus colonisée et exploitée comme terre agricole) est considérée comme zone militaire par Israël, et qu’à l’ouest, la construction du Mur a permis le vol de nombreux puits palestiniens au profit d’Israël et des colonies.
Et dans la Bande de Gaza (où il n’y a plus de colonies depuis 2005 mais où il y a par contre un blocus depuis 2007 et des bombardements récurrents), la quasi totalité de l’eau de l’aquifère est impropre à la consommation (du fait de sa pollution et des infiltrations d’eau salée), sachant qu’un tiers des infrastructures ont été endommagées ou carrément détruites par l’armée israélienne durant l’été 2014.
Bien entendu, de cela il n’est guère question dans la publicité utilisée par Mekorot pour se vendre sur le marché mondial de l’eau et sur d’autres marchés (agricoles, touristiques …), dans les foires mondiales de l’eau, lors des meetings médiatiques organisés par les lobbyistes et les « think tanks », ou lors des visites de décideurs politiques en Israël. Là, Mekorot se présente en tant que société experte en gestion technique de l’eau, leader en désalinisation et en épuration.
Et elle utilise, en plus des clichés habituels en matière d’écoblanchiment (« greenwashing ») et d’hydrobusiness, la propagande employée par le Fonds National Juif (le KKL), une institution créée en 1901 qui se vante de « faire fleurir le désert », tout en participant à la ségrégation et à l’expulsion des Bédouins.
Israël propose ainsi d’apporter ses compétences techniques « nationales » à l’UE, en échange de sa participation au programme-cadre Horizon 2020 (voir l’article publié le 28 janvier 2015 sur www.iserd.il, le portail israélien consacré aux programmes-cadres européens).
Mais d’autres considérations politiques expliquent la participation de Mekorot au programme-cadre européen Horizon 2020. Tout d’abord, les programmes cadres de recherche et développement de l’UE sont sous la responsabilité de la Commission Européenne, dont les commissaires ne sont pas élus. Depuis le 1er novembre 2014, le Commissaire européen à la recherche, à l’innovation et à la science est un homme politique portugais, Carlos Moedas. Il est devenu commissaire à la Recherche européenne après que le Président de la Commission, Jean-Claude Juncker, eût approuvé une proposition faite par le Premier Ministre portugais. C’est un banquier qui a travaillé notamment pour le groupe Suez, pour Goldman Sachs, et comme coordinateur au sein de l’unité de recherche économique du Parti social- démocrate (wikipedia).
Mekorot est membre du WSSTP (Water Supply and Sanitation Technology Platform), une association internationale sans but lucratif dont le siège est à Bruxelles et qui indique avoir bénéficié de financements de la commission européenne pour sa création en 2004. Fière de sa croissance, elle indique avoir comme objectif d’aider la Commission à atteindre les objectifs du Millénaire en matière de développement. Un exemple de « bonne gouvernance » !
En jetant un coup d’oeil sur la liste de ses membres et cotisants, on trouve notamment Veolia (inclus dans le groupe de travail « Gaz de schiste »), Coca-Cola, Shell, Suez (groupe de travail Eau et TIC, l’acronyme pour Technologies de l’Information et de la Communication), Solvay, l’Université de Gent, l’Université Brunel (UK)… On peut aussi en se rendant sur son site internet (www.wsstp.eu) constater qu’elle organise des événements auxquels sont invités à prendre part des représentants européens (par exemple les membres du Parlement du « Water Group »). Bruxelles, on le sait, est un des plus importants lieux de lobbying sur la planète.
Les « liaisons dangereuses » entre Mekorot et l’Union Européenne sont encore plus faciles à comprendre quand on lit certaines déclarations du secrétaire général de l’OCDE (une institution prônant le libéralisme et la gouvernance mondiale), le diplomate mexicain Angel Gurria (un ancien négociateur de l’Alena qui a fait entrer Israël dans l’OCDE). Après une visite à Mekorot en juin 2012, se transformant en véritable propagandiste et agent publicitaire international d’Israël, il a ainsi déclaré qu’Israël pouvait nous donner des leçons en matière d’innovations « vertes » ( www. oecd.org). Notons qu’Angel Gurria est non seulement un économiste qui bénéficie de nombreux prix (notamment le prix Ben Gourion du leadership) et titres honorifiques (notamment de l’Université de Haïfa), mais qu’il a dans sa carrière présidé le groupe de travail international sur le financement de l’eau pour tous du Conseil Mondial de l’eau, qu’il est membre du Conseil consultatif sur l’eau et l’assainissement auprès du secrétaire régional des Nations-Unies- l’UNSGAB- et du Conseil de réflexion mondiale sur la sécurité de l’eau du Forum Economique mondial. Rien que cela !
Pour conclure, on peut résumer en reprenant ce qu’écrivait la journaliste Laurence Bernard dans son article « Faillite de l’Union Européenne en Palestine » publié en novembre 2013 dans le Monde Diplomatique : la coopération avec Israël se fait comme si l’occupation n’existait pas et l’Union Européenne proteste sans conviction. Ou encore cette terrible accusation d’ Alain Gresh (dans un encart publié sur la même page et où il évoque le droit international) : « Il fut un temps où les puissances coloniales pensaient que ce droit ne pouvait s’appliquer aux peuples « sauvages ». En Palestine, on en est toujours là. »
En effet, faisant fi de l’avis de la Cour Internationale de Justice de 2004 indiquant aux Etats leurs devoirs par rapport au Mur et au régime associé, l’Union Européenne ne suspend même pas ses accords d’association avec Israël, qui peut continuer dès lors à bénéficier d’exonération de taxes à l’exportation alors qu’il viole pourtant allégrement les droits humains et les principes démocratiques qu’elle a elle même indiqués dans ses traités. Quant aux « lignes directrices » qui, depuis leur entrée en vigueur en janvier 2014, fixent des conditions à la participation des entités israéliennes dans le cadre de la recherche européenne, on constate qu’elles n’empêchent nullement la participation de Mekorot à Horizon 2020. Si elles ont été publiées en juillet 2013 par l’UE (alors que le septième programme-cadre devait céder la place à Horizon 2020) c’est très probablement suite à l’indignation de quelque 250 membres académiques de 14 pays qui, en juillet 2012, avaient protesté dans une lettre commune à la Commission contre la participation de sociétés coloniales comme Ahava (une société de cosmétiques israélienne exploitant les boues de la Mer Morte) aux programmes-cadres de recherche européens. Les lignes directrices ont été fort contestées par Israël mais en juin 2014, le Président de la Commission Européenne (à l’époque c’était José Manuel Barroso) a finalement signé l’accord Horizon 2020 avec Israël, un programme-cadre auquel participe MEKOROT mais encore d’autres entités israéliennes impliquées dans la colonisation. »
Dominique Waroquiez
CAPJPO-EuroPalestine